R. c. Villeneuve, 1999 CanLII 13333 (QC C.A.)
Il convient d’abord de déterminer la portée du droit visé par l’article 462.42(1) C.cr.
Dans un arrêt récent, notre Cour a décidé que la disposition ne visait pas les créanciers ordinaire mais seulement les créanciers qui avaient «un droit sur un bien confisqué» (dans la version anglaise «an interest in the property»). Cet arrêt confirme la position prise par le premier juge dans la cause type La Reine c. Jean-Pierre Leblanc et Revêtements Idéal Jacques Tremblay Inc. Cependant, en l’espèce le créancier a acquis un droit réel sur le bien entre le moment de l’ordonnance de blocage et le moment de la confiscation. La question se pose donc: est-il nécessaire que le droit réel existe avant l’ordonnance de blocage?
Avec égards pour l’opinion contraire, je ne partage pas cette interprétation rigoriste de l’article 462.42 C.cr (...)
Je crois que les mots:
Ou celle qui a obtenu un titre ou un droit sur ce bien d’une personne accusée d’une telle infraction dans des circonstances telles qu’elles permettent raisonnablement d’induire que l’opération a été effectuée dans l’intention d’éviter la confiscation des biens.
laissent supposer qu’un créancier puisse acquérir un droit réel après le blocage du bien. Cependant, le juge devra examiner les circonstances et appliquer le test ci-haut défini. Il est bien évident qu’une telle situation pourra être utilisée par le juge pour déterminer si l’opération a été effectuée dans l’intention d’éviter la confiscation du bien.
Après avoir appliqué le paragraphe 1 de l’article 462.42 C.cr., le juge devra passer à la seconde étape, soit l’application du paragraphe 4 (...):
À cette fin, il devra d’abord déterminer que la personne qui présente la requête n’est pas l’accusé.
Ensuite, il devra déterminer si le tiers semble innocent de toute complicité ou de toute colllusion à l’égard de l’infraction qui a donné lieu à la confiscation.
Je crois qu’il appartient au requérant de convaincre le juge qu’il semble innocent de toute complicité et de toute collusion. En l’absence d’une disposition contraire, celui qui allègue un droit a le fardeau d’en prouver les éléments essentiels. Son fardeau de preuve, cependant, n’est pas celui du droit criminel qui s’applique à la Couronne, au-delà de tout doute raisonnable. Il doit établir une prépondérance des probabilités, soit le fardeau civil. Bien que la disposition se retrouve au Code criminel, il ne s’agit pas de déterminer la responsabilité criminelle de quiconque. C’est pourquoi, la présomption d’innocence n’est pas applicable en l’espèce. Il s’agit plutôt de déterminer les droits économiques et civils d’un tiers qui prétend avoir un droit sur des biens qui ont été déclarés produits de la criminalité et confisqués au profit de la Couronne.
D’ailleurs, l’honorable Hnatyshyn, ministre de la Justice à l’époque de l’adoption de l’article 462.42 C.cr. s’exprimait ainsi à la Chambre des communes:
Dans notre système, bien entendu, il faut établir non pas au-delà de tout doute raisonnable, mais plutôt en fonction de probabilités raisonnables que la demande de l’intéressé est bien fondée.
Cette opinion ministérielle est indicative de l’intention du législateur.
La complicité est un concept bien connu et bien défini en droit criminel, la collusion au contraire est un concept de droit civil, dont on doit définir la portée.
Gérard Cornu, dans son Vocabulaire juridique, la définit ainsi:
Entente secrète entre deux ou plusieurs personnes en vue d’en tromper une ou plusieurs autres.
Le Dictionary of Canadian Law quant à lui en donne la définition suivante:
Coming together to commit fraud or to deceive.
Hubert Reid propose la définition qui suit:
Entente secrète entre deux ou plusieurs personnes dans le but de causer un préjudice à une ou plusieurs autres personnes ou d’atteindre un objectif prohibé par la loi.
À l’aide de ces définitions, je crois qu’on peut retenir que la collusion comporte deux éléments: une entente d’abord et ensuite un but, soit tromper une ou plusieurs personnes. Nous verrons comment appliquer cette notion aux faits de la présente cause.
L’entente peut être établie par une preuve directe ou peut être inférée du comportement des parties. Le comportement de l’appelant que le juge qualifie d’aveuglement volontaire peut être pris en compte non pour établir en soi s’il y a aveuglement volontaire mais plutôt pour établir s’il y a collusion.
La disposition semble en outre accorder au premier juge une discrétion d’émettre ou de ne pas émettre une ordonnance d’exclusion du bien du tiers, de la confiscation. Cependant, cette discrétion doit être exercée de façon judiciaire à la lumière du but de la législation sur les produits de la criminalité: empêcher qu’un délinquant puisse profiter du fruit de ses crimes.
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