lundi 5 avril 2010

Requête pour exclure de la preuve des antécédents judiciaires de l'accusé

Michaud c. R., 2007 QCCS 2253 (CanLII)

[12] Le Tribunal doit s’assurer que seule la preuve pertinente et légalement admissible est utilisée lors du procès.

[13] L’article 12 de la Loi sur la preuve prévoit que :

« Un témoin peut être interrogé sur la question de savoir s’il a déjà été déclaré coupable d’une infraction autre qu’une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions, mais incluant une telle infraction si elle aboutit à une déclaration de culpabilité par mise en accusation. »

[14] L’article 12 s’applique à tous les témoins. L’accusé, lorsqu’il décide de témoigner, peut donc être contre-interrogé sur ses antécédents judiciaires. Cependant, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Corbett, a reconnu que sa situation est différente de celle des autres témoins. Dans son cas, le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire d’exclure du contre-interrogatoire les antécédents dont l’effet préjudiciable l’emporterait sur la valeur probante. Cette exclusion se justifie parce que la pertinence des antécédents a trait uniquement à la crédibilité de l’accusé et qu’en aucun cas ils ne peuvent être utilisés comme preuve de propension de l’accusé à commettre l’infraction.

[15] L’arrêt Corbett demeure l’arrêt de principe en cette matière. Le juge Brossard de la Cour d’appel du Québec a subséquemment résumé les principes applicables avec concision dans l’arrêt Trudel :

«- Il y aura ouverture possible à une telle preuve dans tous les cas où la crédibilité d'un accusé est mise en cause, soit de façon directe dans le cadre de son propre témoignage, soit dans les cas où lui-même, dans son témoignage, attaque la crédibilité des témoins à charge;

-Il y aura lieu, cependant, de peser la valeur probante de cette preuve en regard du préjudice qu'elle est susceptible de causer à l'accusé relativement à la nature de l'infraction qui lui est reprochée. Il faut garder à l'esprit, à ce sujet, que l'objet de cette preuve est d'attaquer la crédibilité de l'accusé et non de faire une preuve de caractère visant à établir que l'accusé est un individu qui a la personnalité voulue pour commettre un crime de la nature de celui qui lui est reproché;

-La valeur probante et l'effet préjudiciable de la condamnation antérieure découlent donc directement de la nature de cette dernière. Comme le souligne le juge La Forest, "plus l'infraction qui a donné lieu à la condamnation antérieure ressemble à la conduite pour laquelle l'accusé subit son procès, plus le préjudice résultant de son admission en preuve risque d'être grand." Par ailleurs, un antécédent "de fraude, de tromperie, ou de tricherie, indiquant un manque d'honnêteté ou d'intégrité, vise directement la crédibilité du témoignage de l'accusé," ainsi que le disait la Court of Appeal, du district de Columbia, dans l'arrêt Gordon v The United States, auquel réfère avec approbation le juge La Forest;

-Le Tribunal doit donc être fort réticent à admettre en preuve une condamnation pour un crime antérieur similaire, dont la nature n'a rien à voir avec la crédibilité ou la véracité possible du témoignage de l'accusé;

-La pertinence de la preuve ayant comme contrepoids la nature du préjudice possible, il y a donc lieu pour le juge du procès d'écarter tout élément de preuve dont la valeur probante se révélerait nettement inférieure à l'effet préjudiciable possible;

-C'est donc la connexité entre la crédibilité et la nature de l'antécédent judiciaire qu'il faut considérer et non la connexité entre la nature de cet antécédent et la nature du crime en l'instance;

-La proximité dans le temps entre les deux infractions constitue également un facteur susceptible d'affecter soit sa pertinence, soit le degré de préjudice causé à l'accusé;

-Enfin, la preuve de cet antécédent constitue-t-elle un élément de preuve nécessaire ou utile à la Couronne au point que la résolution du litige peut en dépendre. »

[16] Le juge Doyon rappelle, dans l’arrêt Tremblay, que l’accusé assume le fardeau de démontrer l’inadmissibilité d’un antécédent judiciaire. Il s’exprime ainsi :

« Lorsqu'il s'agit de déterminer si une condamnation antérieure doit être exclue, le juge doit se demander si l'accusé a démontré, selon le poids des probabilités, que l'admissibilité de cette condamnation antérieure entraînerait pour lui un préjudice supérieur à la valeur probante de cette preuve. Il n'y a pas de règle absolue et cet exercice s'effectue en tenant compte de plusieurs facteurs et critères. Chaque décision constitue un cas d'espèce et dépendra des faits particuliers d'une affaire. Dans R. c. Corbett, précité, le juge Dickson précise, à la p. 697, que, dans le doute, l'admissibilité en preuve doit être privilégiée :

''La valeur probante d'un élément de preuve peut être forte, faible ou nulle. En cas de doute, il vaut mieux pécher par inclusion que par exclusion et, à mon avis, conformément à la transparence de plus en plus grande de notre société, nous devrions nous efforcer de favoriser l'admissibilité, à moins qu'il n'existe une raison très claire de politique générale ou de droit qui commande l'exclusion.'' »

[17] Chaque cas est un cas d’espèce et s’évalue selon les paramètres spécifiques du dossier sous étude. L’inclusion des antécédents judiciaires de l’accusé est la règle. D’ailleurs, il y a unanimité sur cette question des juges de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Corbett.

[18] Finalement, citons les propos du juge Doyon dans l’arrêt Tremblay, lorsque la défense se prévaut de son droit de contre-interroger les témoins de la poursuite sur leur passé judiciaire afin de les rendrent non-crédibles aux yeux du jury :

« Par ailleurs, comme il est permis de contre-interroger les autres témoins sur leurs antécédents judiciaires, le fait d'"épurer" le casier judiciaire d'un accusé ou, pire, d'en taire complètement l'existence, peut avoir pour effet de donner au jury un portrait faussé de la réalité en lui laissant croire que seuls les témoins de la poursuite ont des antécédents et que leur crédibilité est donc affaiblie par rapport à celle de l'accusé qui, lui, n'en possède pas ou encore, en apparence, a été condamné moins souvent et pour des crimes différents de la réalité. Dans R. c. Charland 1996 CanLII 7284 (AB C.A.), (1996), 110 C.C.C. (3d) 300, (pourvoi rejeté par la Cour suprême, [1997] R.C.S. 1006), la Cour d'appel de l'Alberta indique qu'il ne faut pas donner faussement au jury l'impression que l'accusé a mené une vie exemplaire :

''Generally, previous convictions for violent offences such as sexual assault do not directly reflect on honesty and truthfulness and, depending on the circumstances of the case, have limited probative value in assessing credibility. However, particularly in the context of a lengthy criminal record, such prior convictions have probative value that is greater than trifling because a jury could reasonably conclude that the convictions reflect a disregard for the laws and rules of society, making it more likely that the person who harbours such attitudes would lie. Here, excluding the sexual assault convictions from the cross-examination could leave the jury with an erroneous impression that the accused had not been convicted of any offences since 1988. The accused would have appeared to have lived a "crime free" life in the community for six years, when a substantial portion of that time was spent in jail. In the circumstances of this case, I cannot say that the trial judge's finding that the probative value of the accused's prior sexual assault convictions outweighed the prejudicial effect, constituted a clear or palpable error.” »

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