Desbiens c. R., 2010 QCCA 4 (CanLII)
[40] D'une part, que la perte de mémoire et l'amnésie ne constituent pas, en soi, des motifs justifiant l'arrêt des procédures. Encore faut-il démontrer que le droit à une défense pleine et entière est brimé, établir un préjudice irréparable au droit de présenter une défense pleine et entière ou encore à l'intégrité même du système judiciaire : R. c. Giguère, [2001] J.Q. 1190 (C.Q. crim. & pén.), paragr. 145. Il arrive généralement que le problème de perte de mémoire n'a pas l'effet requis, par exemple, parce que l'accusé a témoigné lors d'un procès antérieur et peut utiliser ce témoignage lors d'un deuxième procès (R. c. Majid, précité); parce que l'amnésie a été causée par des blessures que l'accusé s'est lui-même volontairement infligées (R. v. Morrissey, précité); parce que la preuve démontre que, de toute façon, l'accusé n'aurait eu aucune autre défense à faire valoir (R. c. L.J.H.[2], précité, et R. c. Rioux[3], [2003] J.Q. 17938 (C.Q. crim. & pén.), cité par le juge de première instance) ou encore n'aurait pu dire plus que ce qu'il avait déjà dit après son arrestation, si ce n'est l'effet du passage du temps (R. c. Devereaux reflex, (1988), 72 Nfld & P.E.I.R. 175); parce que la preuve indique que l'accusé a tout intérêt à inventer son état d'amnésie ou encore parce que l'amnésie n'est pas établie par prépondérance de preuve (R. c. L.J.H., précité).
[41] Par ailleurs, dans la plupart des cas, le problème sera résolu par le constat que l'accusé est en mesure de comprendre les accusations, de mener son procès et de communiquer adéquatement avec son procureur. Il aura, à ce titre, tout le loisir de contre-interroger les témoins de la poursuite, de présenter ses propres témoins et de contester la valeur probante de la preuve présentée par la poursuite en faisant valoir, notamment, sa perte de mémoire. Dans de telles circonstances, le droit à un procès équitable et à une défense pleine et entière n'est généralement pas enfreint.
[42] D'autre part, que même si la requête est rejetée, le tribunal aura l'obligation de tenir compte de l'amnésie lorsque viendra le moment de déterminer si la poursuite s'est déchargée de son fardeau et a démontré la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable. Comme je le mentionnais précédemment, le juge Philp écrit, dans R. c L.J.H., précité :
[…] and he (l'accusé) is entitled to put his alleged amnesia before the jury as part of his defence.
[43] Comme la jurisprudence le reconnaît, la situation s'apparente à la perte ou à la destruction d'un élément de preuve que l'accusé prétend être de nature à le disculper ou encore au décès d'un témoin que l'accusé aurait voulu faire entendre pour sa défense. Même si cela n'est généralement pas suffisant pour ordonner un arrêt des procédures, le jury ou le juge en tiendra compte lorsque viendra le temps d'évaluer la preuve de la défense ou parfois même celle de la poursuite[4]. En l'espèce, il devrait en tenir compte, entre autres, pour lui permettre de comprendre pourquoi l'accusé n'explique pas les raisons de sa conduite, alors qu'on s'attendrait normalement à de telles explications.
[44] Selon l’appelant, étant donné qu’il est incapable de fournir des explications sur sa conduite dangereuse au moment de l’accident, un tort irréparable est causé à son droit à une défense pleine et entière. En d’autres mots, il prétend qu’il est incapable de se défendre au regard de la mens rea puisqu’il est incapable d’expliquer pourquoi il roulait dans la voie inverse. Bien que cet argument semble séduisant à première vue, il reflète à mon avis une mauvaise compréhension de l’arrêt Beatty. En effet, la mens rea, bien qu’elle puisse s’inférer de l’actus reus (R. c. Creigthon, précité), doit également être examinée de manière contextuelle, tel qu’expliqué dans Beatty, de sorte qu'il arrive qu'elle ne puisse pas s'inférer de l'actus reus. Ainsi, le fait que l'appelant ne peut témoigner de son état d'esprit au moment des événements ne signifie pas automatiquement que la poursuite réussira à prouver la mens rea hors de tout doute raisonnable.
[45] Même si l’appelant a souffert d’une amnésie rétrograde et antérograde qui l’empêchait d'expliquer son comportement en apparence délictuel, il lui était tout à fait possible d'argumenter que, en tenant compte de l'ensemble de la preuve, notamment de son amnésie, le tribunal devait conclure que la poursuite ne s'était pas déchargée de son fardeau de prouver que sa conduite constituait un écart marqué par rapport à la norme, ce qui nierait l'existence de la mens rea. Il n’y a donc pas de préjudice irréparable justifiant l'emploi d'une mesure aussi exceptionnelle que l’arrêt des procédures.
***Note de l'auteur de ce blog***
Les paragraphes 33 à 39 de cette décision font une revue de la jurisprudence ainsi que de la doctrine sur cette problématique
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