Chevreuil c. R., 2008 QCCA 82 (CanLII)
[30] Tout accusé a droit à l'assistance effective et, donc, compétente d'un avocat : il s'agit là d'un principe de justice fondamentale, qui assure l'équité du procès pénal et qui est à ce titre protégé par les articles 7 et 11, paragr. d), de la Charte canadienne des droits et libertés. Comme l'écrit la Cour suprême dans R. c. G.D.B. :
24 Aujourd’hui, tout inculpé a droit à l’assistance effective d’un avocat. Au Canada, ce droit est considéré comme un principe de justice fondamentale. Il découle de l’évolution de la common law, du par. 650(3) du Code criminel canadien ainsi que de l’art. 7 et de l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés.
25 L’importance de l’assistance effective d’un avocat est évidente, mais elle a été expliquée en détail par le juge Doherty dans R. c. Joanisse 1995 CanLII 3507 (ON C.A.), (1995), 102 C.C.C. (3d) 35 (C.A. Ont.), à la p. 57 :
[traduction] L’importance de l’assistance effective d’un avocat au procès est évidente. Nous faisons confiance au processus de débat contradictoire pour déterminer le bien-fondé des accusations criminelles. Ce processus repose sur la prémisse que le meilleur moyen de déterminer le bien-fondé des accusations criminelles est « la présentation partisane par les parties de leur thèse respective » : U.S. c. Cronic, 104 S. Ct. 2039 (1984), le juge Stevens, à la p. 2045. La représentation effective de l’accusé par un avocat rend l’issue du processus de débat contradictoire plus fiable puisque l’accusé a bénéficié de l’assistance d’un professionnel ayant acquis les compétences qui sont requises durant le procès. L’avocat compétent peut mettre à l’épreuve la preuve avancée par la poursuite en plus de rassembler des éléments de preuve et de présenter la thèse de la défense. Nous nous fions aussi aux diverses garanties procédurales pour assurer le niveau requis d’équité dans le cadre du processus de débat contradictoire. Le droit à l’assistance effective d’un avocat favorise également le caractère équitable du processus décisionnel en ce qu’il adjoint à l’accusé un défenseur possédant les mêmes compétences que le poursuivant, compétences qui peuvent servir à faire bénéficier l’accusé de toute la panoplie des mesures de protection procédurale disponibles.
Lorsque l’avocat ne représente pas l’accusé de façon effective, l’équité du procès en souffre, tant du point de vue de la fiabilité du verdict que du point de vue du caractère équitable du processus décisionnel menant à ce verdict. Dans certains cas, il en résulte une erreur judiciaire
[31] Renchérissant sur ces propos, la Cour, sous la plume du juge Gendreau, écrit ce qui suit dans Carignan c. R. :
[27] Le droit à une représentation adéquate est une composante à la garantie constitutionnelle du droit d'un accusé à une pleine défense dans un procès juste et équitable prévu aux articles 11d) et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. C'est, sans doute, dans le contexte d'une poursuite pénale que la qualité de la représentation est la plus cruciale, car le prévenu « pourrait payer de sa liberté les impairs d'un avocat ayant mal assuré sa défense ». C'est pourquoi d'ailleurs le remède à une négligence professionnelle causant préjudice à l'accusé sera l'ordonnance d'un nouveau procès.
[32] Comme le souligne la Cour à la fin de ce passage, la violation du droit de l'accusé à l'assistance effective de l'avocat qui le représente sera généralement sanctionnée par l'ordonnance d'un nouveau procès.
[33] L'état du droit en la matière est assez clair. La Cour suprême du Canada, dans R. c. G.D.B., explique ainsi l'analyse en deux temps à laquelle on doit se livrer afin de déterminer l'existence et la portée de la violation du droit à l'assistance effective d'un avocat :
26 La façon d’envisager les allégations de représentation non effective est expliquée dans l’arrêt Strickland c. Washington, 466 U.S. 668 (1984), le juge O’Connor. Cette étude comporte un volet examen du travail de l’avocat et un volet appréciation du préjudice. Pour qu’un appel soit accueilli, il faut démontrer, dans un premier temps, que les actes ou les omissions de l’avocat relevaient de l’incompétence, et, dans un deuxième temps, qu’une erreur judiciaire en a résulté.
27 L’incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable. Le point de départ de l’analyse est la forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. Il incombe à l’appelant de démontrer que les actes ou omissions reprochés à l’avocat ne découlaient pas de l’exercice d’un jugement professionnel raisonnable. La sagesse rétrospective n’a pas sa place dans cette appréciation.
28 Les erreurs judiciaires peuvent prendre plusieurs formes dans ce contexte. Dans certains cas, le travail de l’avocat peut avoir compromis l’équité procédurale, alors que dans d’autres, c’est la fiabilité de l’issue du procès qui peut avoir été compromise.
29 Dans les cas où il est clair qu’aucun préjudice n’a été causé, il n’est généralement pas souhaitable que les cours d’appel s’arrêtent à l’examen du travail de l’avocat. L’objet d’une allégation de représentation non effective n’est pas d’attribuer une note au travail ou à la conduite professionnelle de l’avocat. Ce dernier aspect est laissé à l’appréciation de l’organisme d’autoréglementation de la profession. S’il convient de trancher une question de représentation non effective pour cause d’absence de préjudice, c’est ce qu’il faut faire (Strickland, précité, à la p. 697).
[34] Notre Cour a elle-même reconnu et appliqué ces principes, notamment dans les arrêts Renaud c. R., Delisle c. R. et Carignan c. R. Dans ce dernier arrêt, le juge Gendreau expose comme suit les règles applicables :
[28] Dans l'arrêt Delisle (précité), le juge Proulx propose un examen selon l'approche des tribunaux du Commonwealth, suivant laquelle il convient d'abord d'examiner si les droits de l'accusé à un procès juste et équitable furent violés. En d'autres mots, il est préférable de rechercher d'abord le préjudice avant de s'attaquer à sa cause. Voici comment mon collègue s'exprime :
Il ne suffit donc pas d'établir simplement l'incompétence de l'avocat. Il faut en plus démontrer que celle-ci a dans la réalité brimé l'accusé dans ses droits. L'aspect causal de l'incompétence constitue donc l'élément fondamental de l'analyse.
En appel, puisque le rôle de la Cour consiste à s'assurer que l'appelant a subi un procès juste et équitable, toute allégation d'incompétence de l'avocat, même amplement démontrée, ne justifie une intervention que dans la mesure où l'appelant établit un lien entre cette incompétence et un déni de justice (art. 686(1)b)iii) C.cr.). En d'autres termes, en raison de la conduite blâmable de l'avocat, l'accusé doit avoir été privé de son droit à une défense pleine et entière ou à un procès juste et équitable. […]
Par voie de conséquence, il est logique pour la cour d'analyser d'abord le préjudice ou l'effet de la conduite de l'avocat sur l'équité du procès. Si la Cour arrive à la conclusion que ce préjudice est inexistant, toute discussion subséquente est superflue et inutile. Pourquoi alors discuter des motifs pour lesquels l'avocat de la défense n'a pas contre-interrogé la plaignante au sujet de ses antécédents judiciaires si, à la lumière de l'ensemble de la preuve et des plaidoiries, il s'avère qu'aucun préjudice n'a pu résulter de cette omission : R. c. Sauvé [1997 CanLII 12544 (BC C.A.), (1997), 121 C.C.C. (3d) 225 (C.A.C.-B.)]?
[29] L'avocat a, envers son client, une obligation de loyauté et de conseil. Ce dernier devoir porte sur l'existence, l'étendue et la réalisation des droits de son mandataire. Entre autres, « [l]'avocat doit exposer à son client de façon objective la nature et la portée du problème qui, à son avis, ressort de l'ensemble des faits qui ont été portés à sa connaissance et des risques inhérents aux mesures recommandées ». Dans le cadre de ses recommandations, l'avocat est évidemment soumis à une obligation de moyen et non de résultat. Cette distinction implique que lorsqu'il est saisi d'une situation factuelle dans laquelle l'application de certains principes juridiques est controversée, l'avocat ne peut garantir que son opinion est nécessairement la meilleure ou celle qui triomphera. Par contre, il doit exercer une diligence raisonnable et fonder sa position sur des bases légales acceptables. Le standard à appliquer est celui de l'avocat normalement prévoyant et diligent, possédant des connaissances ordinaires. Chaque situation est particulière et la Cour doit en faire l'examen individuel et dans son contexte.
[30] Le devoir de conseil signifie aussi que l'avocat doit reconnaître les limites de ses connaissances et décliner le mandat pour lequel il n'est pas qualifié (art. 3.01.01 du Code de déontologie des avocats). Le praticien doit aussi refuser ou annuler son mandat s'il cesse de croire son client. Il ne doit pas « se constituer juge de son client », (art. 3.03.04 du Code de déontologie des avocats), écrit le juge Proulx dans Delisle (précité).
[31] En raison de ses connaissances et de son expérience, l'avocat doit évaluer l'affaire du justiciable qui le consulte, lui faire des recommandations et proposer des choix stratégiques et tactiques. Toutefois, l'accusé reste maître de sa défense et en particulier sur les décisions essentielles comme celles de se faire entendre ou d'enregistrer un plaidoyer de culpabilité. Dans un commentaire, sur l'arrêt R. c. G.D.B., on peut lire au Kapoor's Criminal Appeals Review :
[para 28] As mentioned, there are fundamental matters upon which counsel should obtain instructions, such as whether the accused should testify. There should be a per se rule which deems a miscarriage of justice where those decisions were made without the clients instructions. After all, it is the accused's liberty that is at stake, not counsel's. Although counsel is presumptively skilled in law and litigation and, therefore, better able to assess tactical issues than an accused, the decisions to testify or plead guilty are the province of the client (decisions taken with the advice of counsel) and are not tactical decisions. When the client has no say in fundamental decisions the process cannot be said to be fair. It is hoped that the Court will endorse a per se rule in such circumstances, should the occasion arise.
[…]
[para 30] In GDB Justice Major notes that there are some instances where counsel must obtain instructions. The principle behind this requirement is that for certain matters litigants have the right to control their own litigation.
[para 31] Similarly where the client exerts control over the case by providing specific instructions, to not follow those instructions takes control away from the client. If counsel cannot live with the instructions (for example if the instructions are to conduct oneself in an unethical manner or in a manner which is at odds with counsel's advice on a fundamental issue) counsel should withdraw. In the era of representation of litigants by lawyers, the lawyer owes a duty of fidelity to the client that necessarily includes the obligation to follow instructions; that is, to not undermine the client's position. Therefore, once counsel has instructions and continues to act, those instructions must be faithfully followed. Anything less results in the client becoming a passive bystander who is unable to advance their desired position. This disenfranchisement of the client results in a process that is presumptively unfair. This is so regardless of the merits of the client's position. While the advice and talent of counsel is invaluable, ultimately it is the client's litigation. While the client may not always know best, it is the client who will go to jail if convicted and, therefore, their instructions must be respected. The client must have control over their own liberty.
[32] Je me permets en terminant de rappeler les trois principes qui doivent guider un tribunal saisi d'une question comme celle-ci, tels qu'exprimés par le juge Proulx dans Delisle :
En premier lieu, il n'est pas inutile de rappeler le principe bien connu de la stabilité des jugements, qui, tant en droit civil qu'en droit pénal, constitue une fin de non-recevoir, sauf circonstances exceptionnelles, à toute tentative d'une partie non satisfaite d'un jugement de vouloir obtenir une seconde chance en s'en prenant aux décisions ou aux conseils de son avocat en première instance.
En principe, la règle se retrouve dans plusieurs systèmes de droit qui reposent sur les mêmes valeurs fondamentales, « the State could not normally be held responsible for the actions or decisions of an accused's lawyer. It followed from the independence of the legal profession that the conduct of the defence was essentially a matter between the defendant and his representatives [La Cour Européenne des Droits de l'Homme dans Stanford c. U.K., Times Law Reports, March 8, 1994, cité dans Robert S. Shiels, «Current Topic: Blaming the Lawyer», [1997] Crim. L. R. 740, 744]».
En deuxième lieu, la moindre faute, la moindre maladresse, la plus petite erreur de jugement ou de stratégie ne saurait, en principe, permettre de faire réviser, ex post facto, la décision de l'avocat au bénéfice de la partie qui a échoué.
En troisième lieu, et je rejoins ici les considérations énumérées antérieurement, l'avocat dont la conduite est en cause doit avoir eu l'opportunité de s'expliquer. Une détermination judicieuse de la conduite d'un avocat requiert en effet de la cour d'appel de procéder avec déférence à un examen objectif et juste qui commande d'éviter le piège de l'« hindsight » de reconstituer le mieux possible les événements reliés à la conduite reprochée et enfin d'évaluer celle-ci dans la perspective de celui dont la conduite est en cause.
[35] Tant sur l'existence des erreurs de l'avocat que sur celle du préjudice, le fardeau de preuve, qui est celui de la prépondérance, repose sur les épaules de l'appelant.
[36] Cette approche comporte deux difficultés. La première, bien sûr, consiste à éviter l'écueil de la « sagesse rétrospective » contre laquelle la Cour suprême nous met en garde dans R. c. G.D.B., mais qui, dans une certaine mesure, est incontournable dès lors que l'on doit juger le comportement passé de l'avocat et évaluer son effet préjudiciable.
[37] L'autre difficulté réside dans l'analyse même à laquelle on doit procéder : il ne s'agit pas de se demander si l'avocat aurait pu faire mieux (ou si un autre avocat aurait fait mieux), mais plutôt de vérifier si sa conduite se situe dans la gamme des comportements répondant au standard « de l'avocat normalement prévoyant et diligent, possédant des connaissances ordinaires », pour reprendre les mots du juge Gendreau dans l'affaire Carignan, précitée, cet examen devant se faire de manière individuelle et contextualisée.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire