R. c. Morissette, 2011 QCCQ 1692 (CanLII)
Lien vers la décision
1) Connexité des éléments essentiels
[55] Le crime de parjure implique la preuve de trois éléments essentiels qui sont :
– Affirmation fausse faite sous serment.
– Connaissance de la part du déclarant que cette affirmation est fausse au moment où elle est faite.
– Affirmation faite avec l'intention de tromper.
[56] Le crime d'entrave à la justice, quant à lui, nécessite la preuve d'un acte volontairement fait avec l'intention d'entraver la justice.
[57] Outre les éléments matériels, les deux infractions commandent l'existence d'une intention spécifique qui doit être prouvée hors de tout doute raisonnable.
[58] Dans l'arrêt Calder, l'accusé, contredit par un témoin sur une de ses affirmations, déclare que son témoignage livré plus d'un an après les événements le fut de façon honnête à partir de ce qu'il pouvait se rappeler.
[59] Dans son jugement, la Cour suprême du Canada renverse la décision de la Cour d'appel de l'Alberta et prononce l'acquittement de Calder en spécifiant que malgré une preuve sur le premier élément, soit la fausse déclaration sous serment, la preuve est inexistante concernant la connaissance de la fausseté et de l'intention de tromper.
[60] Pour la Cour, la preuve livrée par l'accusé peut avoir été une erreur même si elle était douteuse, mais l'erreur seule n'apporte aucune base pour inférer l'intention et la connaissance nécessaire pour supporter une condamnation de parjure.
[61] Dans l'arrêt Hébert, la Cour suprême indique que même si l'appelant a reconnu avoir intentionnellement menti en rendant son témoignage, il pouvait présenter comme défense le fait qu'il n'avait pas l'intention de tromper. C'est ainsi qu'elle exprime cette idée : « S'il est vrai que de façon générale celui qui ment le fait avec l'intention d'être cru, il n'est pas exclu, quoique cela soit exceptionnel, que l'on puisse intentionnellement mentir sans avoir l'intention de tromper. »
[62] Il va sans dire que la preuve de la connaissance de la fausseté de l'affirmation faite sous serment est primordiale dans la détermination du troisième élément, soit l'intention de tromper. Ainsi, lorsque les deux premiers éléments sont prouvés, la Cour pourra déduire que l'intention de tromper se trouve également prouvée.
2) Erreur, insouciance et intention de tromper
[63] Que ce soit au plan du parjure ou de l'entrave à la justice, l'erreur de jugement, la faute déontologique, la conduite inappropriée ou non professionnelle, l'insouciance ou la négligence ne sauraient, invariablement, conduire à la culpabilité de l'accusé.
[64] Ainsi, dans l'arrêt Besner, la Cour d'appel du Québec acquitte un accusé qui avait déclaré faussement être sans antécédents judiciaires lors du contre-interrogatoire de la poursuite. Dans le cadre de sa défense, face à une accusation de parjure, Besner avait déclaré au juge de première instance qu'il avait témoigné stressé, avait mal compris la question, répondu de façon négligente et n'avait aucun intérêt à mentir. Le juge rejeta ses prétentions, spécifiant que même si une négligence ou une insouciance avait été retenue, ce qui n'était pas le cas, l'accusé devait quand même être trouvé coupable de parjure.
[65] C'est principalement en se basant sur son absence d'intérêt à mentir que la Cour d'appel conclut au manque de preuve sur l'intention de tromper. En l'espèce, il est plausible que l'appelant ait répondu à la question de façon automatique, sans intention d'induire en erreur. L'action négligente ou l'insouciance n'est pas suffisante pour constituer l'intention spécifique de parjure. Même si de par ses fonctions on peut supposer que Besner donnait une fausse réponse, cette présomption peut devenir sujette à doute raisonnable.
[66] La Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt R. c. Seath réitère que l'erreur ou l'ambiguïté n'est pas un fondement à la connaissance de la fausseté. Elle signale que l'élément mental du parjure requiert la preuve que l'accusé avait l'intention de faire l'acte qui constitue l'actus reus de l'offense et qu'il a fait la fausse déclaration sous serment avec la connaissance spécifique de sa fausseté et dans l'intention de tromper.
[67] L'arrêt Boross vient de son côté établir l'importance que l'ensemble du témoignage de l'accusé, d'où ressort l'affirmation mensongère, soit mis en preuve afin de déterminer si malgré les faussetés, le témoignage peut révéler qu'elles n'ont pas été faites volontairement.
[68] Ainsi, une rétractation, dans le cadre du témoignage, sans constituer une défense en soi pourrait, à tout le moins, soulever un doute raisonnable sur l'intention de tromper.
[69] À cet effet, la Cour signalait :
« The distinction lies in the scope of the qualifying statement. Whether it is directed to an explanation of an earlier, unintended, false assertion as opposed to a mea culpa confession of an earlier and wilful deception, the sum of all the evidence taken must be weighed by the trier of fact to determine if intent to mislead has been proven. »
[70] Il est donc loisible de penser que le maître des faits puisse déterminer l'absence d'intention criminelle à travers la conduite de l'accusé et les explications fournies dans le cadre même de son témoignage. L'aveu de l'erreur, sans constituer une défense, pourra servir dans la détermination d'un doute raisonnable au plan de la mens rea.
[71] Dans l'arrêt R. c. R.D., après une analyse de l'arrêt Boross, le juge Wayne de la Cour supérieure d'Ontario en vient à affirmer :
« A conviction for perjury does not necessarily result from the witness' admission that he lied under oath. The question of intention remains one for the trier of fact, on the perjury charge, even though it must be acknowledged that the admission will, in most cases, be powerful evidence. »
3) Mobile et preuve circonstancielle
[72] Depuis longtemps les tribunaux ont considéré que le mobile n'est pas indispensable pour prouver l'intention. Il s'agit là de deux concepts distincts.
[73] Le mobile ne fait pas partie des éléments essentiels d'un crime, mais son absence ou sa présence pourra être soit interprétée positivement ou négativement envers l'accusé. C'est une question de fait qui doit être mesurée à la lumière de toutes les circonstances mises en preuve.
[74] Cette preuve du mobile peut constituer une preuve circonstancielle susceptible d'établir l'intention de l'accusé lors de la commission de l'acte et sa motivation à poser un geste.
[75] Mais par ailleurs, la culpabilité d'un accusé face à une telle preuve implique toujours que celle-ci est compatible avec cette conclusion, mais incompatible avec toute autre solution logique; ce qui illustre le principe de la présomption d'innocence.
[76] Et c'est ici qu'une conclusion logique de culpabilité doit être distinguée d'une inférence de culpabilité basée sur des conjectures et spéculations. Alors que la conjecture équivaut à de la spéculation, l'inférence logique sera une déduction rationnelle à partir de la preuve. Cette dernière servira de lien entre les faits observés et prouvés et le résultat de la déduction finale.
[77] Bien que l'effet cumulatif de différents types de preuve circonstancielle pourrait conduire à une culpabilité en l'absence d'une preuve contraire de l'accusé, cela n'implique pas nécessairement l'obligation de témoigner comme le souligne l'auteure Louise Viau :
« Cette assertion ne veut pas dire que l'accusé doit automatiquement témoigner, mais plutôt qu'il devra soit à l'intérieur de la preuve de la poursuite, soit dans la présentation de sa défense, suggérer une autre conclusion logique que la culpabilité. »
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