R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 RCS 353
[89] Les déclarations d’un accusé mettent en jeu le principe interdisant l’auto‑incrimination, « l’une des pierres angulaires de notre droit criminel » : R. c. Henry, 2005 CSC 76 (CanLII), 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609, par. 2, que notre Cour, sous la plume du juge Iacobucci, a décrit comme suit dans White : « . . . un principe prépondérant dans notre système de justice criminelle, duquel émanent un certain nombre de règles issues de la common law et de la Charte, comme la règle des confessions et le droit de garder le silence . . . » (par. 44). Ce principe est également à la base de « plusieurs protections procédurales plus précises, comme, par exemple, le droit à l’avocat selon l’al. 10b), le droit à la non‑contraignabilité selon l’al. 11c) et le droit à l’immunité contre l’utilisation de la preuve selon l’art. 13 ». L’article 7 lui confère en outre une protection résiduelle contre l’auto‑incrimination.
[90] Le présent pourvoi porte sur le par. 24(2). Il importe toutefois de signaler d’entrée de jeu que la règle de common law relative aux confessions assure elle‑même, indépendamment du par. 24(2), une importante protection contre l’utilisation irrégulière de déclarations contre leur auteur. Les déclarations faites à une personne reconnue comme personne en autorité, que leur auteur ait été ou non en détention, ne sont admissibles que si le ministère public peut établir hors de tout doute raisonnable leur caractère volontaire. La réparation par l’exclusion prévue au par. 24(2) n’intervient que si une déclaration a passé le test de la règle des confessions et a été jugée volontaire. Le plus souvent, le recours au par. 24(2) entre en jeu vu les protections supplémentaires prévues à l’al. 10b) de la Charte.
[91] Contrairement à la common law à l’égard des confessions involontaires, le par. 24(2) n’énonce pas une règle absolue prescrivant l’exclusion des déclarations obtenues en violation de la Charte. En pratique toutefois, les tribunaux ont eu tendance à exclure de telles déclarations puisque, tout bien considéré, ils ont jugé que leur utilisation risquait de déconsidérer l’administration de la justice.
[92] Les trois questions décrites précédemment appuient le principe de l’exclusion générale présomptive, mais non automatique, de déclarations obtenues en violation de la Charte.
[93] La première question porte principalement sur le fait de savoir si l’utilisation d’éléments de preuve discréditerait la justice en associant les tribunaux à une conduite policière illégale. L’obtention de déclarations par la police est étroitement encadrée depuis longtemps. Le maintien de la confiance du public envers le système de justice suppose que la police respecte la Charte lorsqu’elle recueille des déclarations faites par des accusés en détention.
[94] L’effet néfaste sur le système de justice de l’utilisation d’éléments de preuve obtenus par suite d’une inconduite policière varie selon la gravité de la violation. L’impression que les tribunaux tolèrent de graves écarts de la part de la police ternit davantage la réputation du système de justice que l’acceptation d’irrégularités mineures ou involontaires.
[95] La deuxième question examine dans quelle mesure la violation du droit en cause a effectivement porté atteinte aux intérêts qu’il protège. Dans ce cas aussi, le dommage susceptible d’être causé à la réputation du système de justice varie suivant la gravité de l’atteinte aux intérêts individuels protégés. Comme nous l’avons mentionné, c’est souvent le droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat garanti à l’al. 10b) qui est transgressé lors de l’obtention illégale de déclarations. L’omission d’informer le détenu de son droit de consulter un avocat porte atteinte à son droit de décider utilement et de façon éclairée s’il parlera aux policiers, à son droit connexe de garder le silence et, plus fondamentalement, à la protection contre l’auto‑incrimination testimoniale dont il jouit. Ces droits protègent l’intérêt qu’ont les individus d’être libres et autonomes; leur violation tend à militer en faveur de l’exclusion des déclarations.
[96] Cela étant dit, il est possible que des circonstances particulières tempèrent l’incidence de l’obtention d’une déclaration en violation de la Charte sur les intérêts protégés d’un accusé. Par exemple, si une personne est clairement informée qu’elle est libre de parler ou non à la police, mais qu’un vice de forme survient soit au stade de l’information soit à celui de la mise en application du droit garanti par l’al. 10b), l’atteinte à la liberté et à l’autonomie de l’accusé en matière de choix éclairé peut être moindre. De même, lorsqu’une déclaration est faite spontanément à la suite d’une violation de la Charte ou dans des circonstances exceptionnelles permettant de conclure avec assurance que cette déclaration aurait été faite même s’il n’y avait pas eu de violation (voir R. c. Harper, 1994 CanLII 68 (C.S.C.), [1994] 3 R.C.S. 343), l’incidence de la violation sur l’intérêt protégé de l’accusé à exercer un choix éclairé peut être atténué. En l’absence de telles circonstances, l’examen de cette question favorise l’exclusion générale des déclarations obtenues en violation de la Charte.
[97] La troisième question se rapporte à l’intérêt du public à ce que soit tenu un procès équitable au fond et peut donner lieu à un examen de la fiabilité des éléments de preuve. À l’occasion, on peut mettre en doute la fiabilité des déclarations obtenues en violation de la Charte, tout comme on peut le faire pour celle des confessions involontaires. Un suspect détenu par la police et non assisté d’un avocat peut faire des déclarations qui ont plus à voir avec la tentative de s’extirper de cette situation qu’avec la vérité. L’argument que la déclaration obtenue illégalement est nécessaire à une instruction au fond ne tient pas lorsque ce danger est présent.
[98] Bref, l’importance accrue attachée à une conduite policière adéquate en matière d’obtention de déclarations de suspects et le caractère fondamental des intérêts protégés en jeu favoriseront le plus souvent l’exclusion des déclarations prises en violation de la Charte, tandis que l’absence de fiabilité pourra réduire la portée du troisième facteur — l’obtention d’une décision au fond. Cela, jumelé à la tendance historique de la common law à traiter les déclarations des accusés différemment des autres éléments de preuve, explique pourquoi l’application du par. 24(2) aboutit généralement à l’exclusion de telles déclarations.
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