vendredi 30 décembre 2011

Les conditions d’application de la défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux

R. c. Bouchard-Lebrun, 2011 CSC 58 (CanLII)

[55] Le paragraphe 16(2) C. cr. dispose que « [c]hacun est présumé ne pas avoir été atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle ». Lorsqu’un accusé souhaite échapper à sa responsabilité criminelle pour ce motif, il lui appartient de prouver selon la balance des probabilités qu’il était, au moment des faits reprochés, atteint de « troubles mentaux qui [le] rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais » (par. 16(1) C. cr.). Dans l’arrêt Chaulk, notre Cour a statué que ce fardeau de preuve imposé à l’accusé violait la présomption d’innocence garantie par l’al. 11d) de la Charte, mais qu’il constituait néanmoins une limite raisonnable à celle-ci dans une société libre et démocratique.

[56] L’accusé qui souhaite présenter avec succès une défense de troubles mentaux doit ainsi satisfaire aux exigences d’un test en deux étapes, d’origine législative. La première étape concerne la qualification de l’état mental de l’accusé. La question cruciale à trancher au procès est alors de savoir si l’accusé souffrait de troubles mentaux au sens juridique au moment des faits reprochés. La deuxième étape de la défense prévue à l’art. 16 C. cr. porte sur les effets des troubles mentaux. On doit alors décider si la condition mentale de l’accusé le rendait incapable de « savoir que l’acte ou l’omission était mauvais » (par. 16(1) C. cr.).

(1) L’incapacité doit découler d’une maladie de l’esprit


[58] Le Code criminel ne contient aucune définition précise de la notion de « troubl[e] menta[l] » pour l’application de l’art. 16 C. cr. L’article 2 C. cr. prévoit simplement qu’un trouble mental est un terme qui englobe « [t]oute maladie mentale » (« disease of the mind » en anglais). En raison de cette définition circulaire, les tribunaux ont dû définir graduellement les contours de ce concept juridique.

[59] La jurisprudence découlant de l’arrêt Cooper confirme clairement la portée très large du concept juridique de « trouble mental ». Dans cette décision, le juge Dickson a mentionné que le concept de maladie mentale comprend « toute maladie, tout trouble ou tout état anormal qui affecte la raison humaine et son fonctionnement » (p. 1159). Dans l’arrêt Rabey, le juge Dickson a précisé que « [l]e concept est vaste : il englobe des troubles mentaux d’origine organique et fonctionnelle, guérissables ou non, temporaires ou non, susceptibles de se répéter ou non » (p. 533). (...)

[60] Le concept de « trouble mentaux » demeure évolutif. Ce caractère permet une adaptation continuelle aux progrès de la science médicale (R. c. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337 (C.A. Ont.)). En conséquence, il ne sera sans doute jamais possible de définir et d’énumérer de façon exhaustive les conditions mentales qui constituent une « maladie mentale » au sens de l’article 2 C. cr. (...)

(2) La qualification d’une condition mentale comme « trouble mental » est un exercice juridique lié au substrat médical et scientifique

[61] En vertu du Code criminel, la maladie mentale représente un concept juridique qui comprend une dimension médicale. Bien que l’expertise médicale constitue une composante essentielle de l’exercice de qualification juridique, il est acquis depuis longtemps en droit positif que la qualification d’une condition mentale comme un « trouble mental » demeure une question de droit que le juge du procès doit trancher. Dans le cas d’un procès devant jury, elle ne relève pas de ce dernier, mais du juge. Comme le juge Martin l’a rappelé dans un extrait souvent cité de l’arrêt Simpson, [traduction] « [i]l appartient au psychiatre de décrire l’état mental de l’accusé et d’exposer ce qu’il implique du point de vue médical. Il appartient au juge de décider si l’état décrit est compris dans l’expression “maladie mentale” » (p. 350). Lorsque le juge conclut en droit que la condition mentale de l’accusé constitue un « trouble mental », il appartient éventuellement au jury de décider si, dans les faits, ce dernier souffrait d’un tel trouble mental au moment de l’infraction.

[62] Ainsi, le juge du procès n’est pas lié par la preuve médicale puisque celle-ci ne prend généralement pas en considération les éléments d’ordre public qui font partie de l’analyse requise par l’art. 16 C. cr. (Parks, p. 899-900). De même, l’opinion d’un expert sur la question juridique de savoir si la condition mentale de l’accusé constitue un « trouble mental » au sens du Code criminel ne jouit que de [traduction] « peu ou d’aucune valeur probante » (R. c. Luedecke, 2008 ONCA 716 (CanLII), 2008 ONCA 716, 269 O.A.C. 1, par. 113).

[63] L’arrêt R. c. Stone, 1999 CanLII 688 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 290, a fait une synthèse des rôles respectifs de l’expert, du juge et du jury. S’exprimant au nom de la majorité, le juge Bastarache a affirmé que :

Prise isolément, la question de savoir quels états mentaux sont englobés par l’expression « maladie mentale » est une question de droit. Toutefois, le juge du procès doit également déterminer si l’état dans lequel l’accusé prétend s’être trouvé satisfait au critère juridique de la maladie mentale. Il lui faut alors évaluer la preuve présentée dans l’affaire dont il est saisi, au lieu d’un principe général de droit, de sorte qu’il s’agit d’une question mixte de droit et de fait. […] La question de savoir si l’accusé souffrait véritablement d’une maladie mentale est une question de fait qui doit être tranchée par le juge des faits. [référence omise; par. 197.]

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