R. c. Bouchard-Lebrun, 2011 CSC 58 (CanLII)
[45] En effet, une règle traditionnelle et fondamentale de common law subordonne l’imputabilité en matière pénale à la commission d’un acte volontaire par l’accusé. (...)
[46] Pour qu’un acte soit considéré comme volontaire en droit pénal, il doit nécessairement être le produit de la volonté libre de l’accusé. Comme le juge Taschereau l’a affirmé dans l’arrêt R. c. King, 1962 CanLII 16 (SCC), [1962] R.C.S. 746, [traduction] « il ne peut y avoir d’actus reus à moins qu’il ne résulte d’un esprit apte à former une intention et libre de faire un choix ou de prendre une décision bien déterminée ou, autrement dit, il doit y avoir une volonté d’accomplir un acte, que l’accusé ait su ou non qu’il était prohibé par la loi » (p. 749). Cela signifie qu’un acte involontaire ne peut engager la responsabilité pénale de son auteur (voir les motifs dissidents du juge Dickson dans l’arrêt Rabey c. La Reine, 1980 CanLII 44 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 513, tels qu’endossés sur ce point dans l’arrêt R. c. Parks, 1992 CanLII 78 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 871).
[47] La volonté d’un individu se manifeste par le contrôle conscient qu’il exerce sur son corps (Perka c. La Reine, 1984 CanLII 23 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 232, p. 249). La nature de ce contrôle peut être physique, auquel cas l’acte volontaire réfère aux mouvements musculaires effectués par une personne qui exerce un contrôle matériel sur son corps. L’exercice de la volonté peut également procéder du contrôle moral qu’une personne exerce sur les gestes qu’elle désire accomplir. Dans un tel cas, l’acte volontaire correspond à un geste commis de façon libre et réfléchie par un individu doué d’une intelligence minimale (voir H. Parent, Responsabilité pénale et troubles mentaux : Histoire de la folie en droit pénal français, anglais et canadien (1999), p. 266-271). La volonté est aussi un produit de la raison.
[48] La dimension morale de l’acte volontaire, que notre Cour a reconnue dans l’arrêt Perka, renvoie ainsi à cette conception selon laquelle le droit criminel considère les individus comme des êtres autonomes et rationnels. Cette conception peut d’ailleurs être vue comme la pierre angulaire des principes de l’imputation de la responsabilité pénale (L. Alexander, K. K. Ferzan et S. J. Morse, Crime and Culpability : A Theory of Criminal Law (2009), p. 155). Envisagé sous cet angle, un comportement humain n’entraîne la responsabilité pénale que lorsqu’il représente le produit d’un « choix véritable » ou du « libre arbitre » de son auteur. Ce principe illustre toute l’importance que revêtent l’autonomie et la raison au sein du régime de responsabilité pénale. Comme le rappelait la Cour dans l’arrêt R. c. Ruzic, 2001 CSC 24 (CanLII), 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687 :
Un principe directeur fondamental de notre droit criminel veut que les auteurs d’une infraction criminelle soient considérés comme des personnes douées de raison et autonomes qui font des choix. L’importance de ce principe se reflète non seulement dans l’exigence qu’un acte soit volontaire, mais aussi dans la condition que l’acte répréhensible demeure intentionnel pour justifier une déclaration de culpabilité. […] À l’instar du caractère volontaire, l’exigence d’intention coupable tient au respect de l’autonomie et du libre arbitre de l’individu et elle reconnaît l’importance de ces valeurs dans une société libre et démocratique. La responsabilité criminelle dépend également de la capacité de choisir — la capacité de distinguer le bien du mal.
[49] De ce fondement essentiel de l’imputation de la responsabilité pénale découle donc une présomption que chaque individu dispose de la capacité de distinguer le bien du mal. En effet, le droit pénal présume que toute personne est un être autonome et rationnel dont les actes ou les omissions sont de nature à engager sa responsabilité. Cette présomption n’est toutefois pas absolue : elle peut être repoussée par la preuve que l’accusé n’avait pas, au moment des faits reprochés, le niveau d’autonomie ou de rationalité requis pour engager sa responsabilité pénale. Le droit pénal se refuse alors à l’imputation de la responsabilité en raison d’une excuse pour le geste commis, reconnue par notre société. En effet, celle-ci entretient « la conviction fondamentale que la responsabilité criminelle n’est appropriée que lorsque l’agent est une personne douée de discernement moral, capable de choisir entre le bien et le mal » (R. c. Chaulk, 1990 CanLII 34 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 1303, p. 1397). Dans l’arrêt Ruzic, la Cour a d’ailleurs reconnu l’existence d’un principe de justice fondamentale selon lequel « seule la conduite volontaire — le comportement qui résulte du libre arbitre d’une personne qui a la maîtrise de son corps, en l’absence de toute contrainte extérieure — entraîne l’imputation de la responsabilité criminelle et la stigmatisation que cette dernière provoque » (par. 47).
[50] L’aliénation mentale constitue une exception au principe général de droit pénal selon lequel l’accusé est réputé être une personne autonome et rationnelle. En effet, une personne atteinte de troubles mentaux au sens de l’art. 16 C. cr. n’est pas considérée comme capable d’apprécier la nature de ses actes ou de comprendre que ceux-ci sont foncièrement mauvais. Pour cette raison, dans l’arrêt Chaulk, le juge en chef Lamer a affirmé que les dispositions relatives à l’aliénation mentale qui sont contenues dans le Code criminel « agissent, au niveau le plus fondamental, comme une exemption de responsabilité pénale fondée sur l’incapacité de former une intention criminelle »
[51] En suivant la logique adoptée dans l’arrêt Ruzic, il est également possible d’affirmer qu’une personne souffrant d’aliénation mentale est incapable d’agir volontairement sur le plan moral. Les gestes qu’elle accomplit ne résultent effectivement pas de son libre arbitre. C’est donc en conformité avec les principes de justice fondamentale que le droit canadien écarte la responsabilité pénale d’une personne dont la condition mentale au moment des faits est visée par l’art. 16 C. cr. Le fait de condamner une personne qui agit de façon involontaire ébranlerait les fondements du droit criminel et porterait atteinte à l’intégrité du système judiciaire.
[52] La défense de troubles mentaux conserve cependant une nature singulière. Elle ne conduit pas à l’acquittement de l’accusé, mais plutôt à un verdict de non-responsabilité criminelle. Ce dernier vise alors à engager l’application d’un processus administratif destiné à déterminer si l’accusé représente un risque important pour la sécurité du public, à prendre les mesures nécessaires pour contrôler ce risque et, le cas échéant, à lui prodiguer les soins nécessaires. Un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux donne ainsi effet au vœu sociétal de traiter, plutôt que de punir, un contrevenant moralement innocent, tout en assurant la protection du public le plus adéquatement possible.
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