lundi 9 janvier 2012

Comment une cour d’appel traite une demande de remise en liberté

 Guité c. R., 2006 QCCA 905 (CanLII)

[4]               Le paragr. 679 (3) C.cr. édicte les règles applicables.  Le requérant doit établir que :
-                     l’appel n’est pas futile;
-                     il se livrera en conformité avec les termes de l’ordonnance;
-                     sa détention n’est pas nécessaire dans l’intérêt public.

[5]               Le fardeau est donc celui du requérant qui doit démontrer qu’il satisfait à ces trois critères.

[6]               Quant au premier, les crimes sont sérieux, mais la gravité de l’infraction ne signifie pas que l’appelant doive nécessairement être incarcéré en attendant le sort de l’appel.  Aucune infraction, même la plus grave, n’est exclue.

[7]               Par ailleurs, le requérant n’a pas à prouver le bien-fondé de ses moyens d’appel.  Il lui suffit d’établir que les questions soulevées sont défendables : R. c. Garneau, REJB 1997 – 04154, (C.A.), et il n’a pas à démontrer que ses moyens ont de fortes chances de succès : R. c. S. (J.T.) reflex, (1996), 4 C.R. (5th) 19 (C.A. Alta). 

[8]               Comme le souligne le juge Rochon dans R. c. Duhamel, REJB 2002-35700 (C.A.), il est inapproprié pour le juge saisi d’une telle requête de se prononcer sur le fond du dossier.  Par contre, il doit répondre à la question de la futilité de l’appel, puisque cette question fait partie des critères à considérer, sans, bien entendu, lier de quelque façon la formation qui entendra le pourvoi.  Je n’ai donc pas à me prononcer sur la valeur réelle des moyens d’appel, ce qui relève des juges du fond, mais uniquement sur la futilité de ces moyens.

[10]           Il m’apparaît que l’appel n’est pas futile à la lumière, principalement, du premier moyen, soit la réponse du juge à la demande du jury.  Les cours d’appel ont récemment été appelées à examiner cette question à quelques reprises et je ne puis conclure que l’argument du requérant est, ici, sans valeur et dépourvu de sérieux vu, entre autres, la complexité des notions juridiques que le jury devait analyser et le moment où la demande fut formulée c’est-à-dire après plus de quatre jours de délibérations.  D’ailleurs, le substitut qui agissait en poursuite a, après réflexion, suggéré au juge de première instance de consentir à la demande du jury.  Enfin, la substitut qui représentait l’intimée lors de l’audition de la présente requête a admis que les moyens ne sont pas futiles tout en ajoutant, toutefois, que, selon elle, ils ne seraient pas suffisamment sérieux pour justifier une mise en liberté en tenant compte des autres critères applicables, dont je vais maintenant traiter.

[11]           Quant au second critère, soit que le requérant se livrera lorsque requis, il faut souligner qu’il est âgé de 62 ans, a un domicile fixe et est demeuré en liberté pendant toutes les procédures de première instance sans jamais manquer à ses obligations.

[12]           Je n’ai aucune raison de croire que, s’il est mis en liberté pendant l’appel, il ne se livrera pas en conformité avec les termes de l’ordonnance, comme il l’a fait en première instance.  D’ailleurs, même s’il possède un immeuble aux États-Unis, il est peu vraisemblable qu’il puisse se réfugier dans ce pays pour se soustraire à la justice puisque les conventions entre les deux pays prévoient l’extradition en pareilles circonstances.

[13]           Le troisième critère est à double volet : il vise à la fois la protection et la sécurité du public de même que la confiance du public dans l’administration de la justice eu égard à l’ensemble des circonstances du dossier.

[14]           Quant au premier volet, l’absence de condamnations antérieures, l’âge et la situation du requérant, qui est à la retraite depuis 1999, me convainquent qu’il risque peu de commettre une infraction ou de mettre autrement en péril la sécurité du public s’il est mis en liberté.

[15]           À l’égard du second volet, les tribunaux doivent s’assurer que le public ne perdra pas confiance dans l’administration de la justice si l’appelant est mis en liberté.  Le public dont il est question est celui qui connaît les règles de droit et qui est, comme l’écrit le juge Chamberland, «au fait de tous les tenants et aboutissants du dossier» : R. c. Do, REJB 1997 – 03809 (C.A.), et un public, comme le rappelait le juge Fish, alors à la Cour, «fully appreciative of the rules applicable under our system of justice» : Pearson c R., AZ-90011560.  Il s’agit donc d’un public qui est en mesure de se former une opinion éclairée, ayant pleinement connaissance des faits de la cause et du droit applicable, et qui n’est pas mû par la passion mais bien par la raison.  Qu’en est-il en l’espèce?

[16]           Si le requérant demeure détenu, son appel risque de devenir, jusqu’à un certain point, inutile puisqu’il ne pourra être entendu avant plusieurs mois vu les délais inhérents à un appel, notamment ceux requis pour confectionner le dossier et les mémoires des parties.  Autrement dit, le requérant pourrait avoir purgé une bonne partie de sa peine dans l’attente de l’arrêt de la Cour, ce qui lui causerait un grave préjudice si l’appel était accueilli.  À l’inverse, sa mise en liberté ne fera que retarder le moment où la peine sera purgée si son pourvoi échoue.

[17]           De plus, le requérant a un casier judiciaire vierge et la preuve ne fait pas voir de risque de récidive ni ne permet de croire qu’il pourrait mettre en péril la sécurité du public.  Comme le passé est parfois garant de l’avenir, considérant que ce dernier a toujours respecté ses conditions de mise en liberté, il n’y a aucune raison de croire qu’il en sera autrement pendant l’appel.  Il faut également rappeler qu’il conteste sa culpabilité et que la situation serait différente si l’appel ne portait que sur la peine.

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