Fontaine c. R., 2008 QCCS 6437 (CanLII)
Lien vers la décision
[11] La règle du privilège des indicateurs de police s’avère cruciale pour le bon fonctionnement de notre système de justice criminelle. Elle encourage la dénonciation des crimes et garantit la sécurité des individus qui, parfois au péril de leur vie, fournissent des renseignements aux autorités policières. L’unique exception à cette règle, qualifiée d’absolue, est « la démonstration de l’innocence de l’accusé. »
[12] Dans l'arrêt Leipert, la Cour suprême du Canada indique la procédure à suivre lorsque l’accusé demande la divulgation de l’identité de l’informateur et invoque, pour ce faire, l'exception de la démonstration de son innocence :
« Premièrement, l'accusé doit montrer qu'il existe un motif de conclure que, sans la divulgation demandée, son innocence sera en jeu. Si l'existence d'un tel motif est établie, le tribunal pourra alors examiner l'information en cause pour déterminer si elle est effectivement nécessaire pour prouver l'innocence de l'accusé. »
[13] Dans un premier temps, il est nécessaire de démontrer que l'innocence de l'accusé est en jeu pour lever ce privilège. Dans un deuxième temps, la preuve doit révéler l'existence d'un motif pour conclure que la divulgation de l'identité de l'indicateur est nécessaire afin de démontrer cette innocence.
[14] Dix ans plus tard, la Cour suprême actualisera ces critères dans l'affaire Personne désignée c. Vancouver Sun. Sous la plume du juge Bastarache, on y précise que :
- Les simples conjectures ne suffisent pas pour prouver que la connaissance de l'identité de l'indicateur est nécessaire à la démonstration de l'innocence de l'accusé. Des preuves doivent étayer cette conclusion (paragr. 27);
- L'exception trouvera application seulement si la divulgation de l'identité est l'unique moyen pour l'accusé de faire la preuve de son innocence (paragr. 27);
- Le droit à une défense pleine et entière n'est pas opposable à la confidentialité de l'identité de l'indicateur (paragr. 28);
- Le droit à la communication de la preuve n'est pas opposable au privilège relatif aux indicateurs de police (paragr. 28).
[15] L’exception de la démonstration de l’innocence demeure donc très circonscrite et ne saurait être assimilée au droit générique à une défense pleine et entière.
[16] Il n'est également pas suffisant de simplement alléguer que la divulgation de l'identité de l'indicateur permettrait de préparer une défense plus complète. Dans le contexte apparenté du privilège du secret professionnel d'un avocat, le juge Major, au nom de la Cour, précisait que :
« Par exemple, si l’accusé était en mesure de susciter un doute raisonnable à son procès relativement à la question de la mens rea en accédant au dossier protégé par le secret professionnel de l’avocat, mais également en invoquant l’alibi ou l’identification, ou les deux à la fois, comme moyen de défense, il ne serait pas nécessaire alors d’utiliser le dossier protégé par le secret professionnel de l’avocat. L’innocence de l’accusé ne serait pas en jeu, mais ce serait sa volonté de préparer une défense plus complète qui serait contrariée. De prime abord, il peut paraître dur de refuser l’accès alors que l’élément de preuve privilégié en question pourrait susciter un doute raisonnable; toutefois, les raisons de politique générale qui militent faveur du maintien de la confidentialité des communications entre un avocat et son client doivent l’emporter sauf s’il y a un risque véritable qu’une déclaration de culpabilité injustifiée soit prononcée. »
[17] La possibilité d’attaquer la crédibilité d’un témoin de la poursuite ne fait pas partie des situations justifiant la divulgation de l’identité d’un informateur. Dans le contexte du privilège du secret professionnel de l'avocat, la Cour suprême notait à ce sujet que :
« Le simple fait de présenter des éléments de preuve qui favorisent des attaques incidentes contre la preuve du ministère public (comme, par exemple, le fait d'attaquer la crédibilité d'un témoin à charge ou de présenter une preuve qui indique que certains éléments de preuve du ministère public ont été obtenus inconstitutionnellement) sera très rarement suffisant… »
[18] Plus encore, quant au privilège de l'indicateur de police, la Cour suprême du Canada énonce dans l'arrêt R. c. Chiarantano qu'il ne suffit pas d'alléguer la contradiction possible d'un témoin de la poursuite avec une déclaration antérieure incompatible provenant d'un informateur pour justifier de dévoiler l'identité de ce dernier. Le juge Major commentait cette décision dans l'arrêt Leipert en ces termes :
« Dans l’affaire, Chiarantano, on a jugé que la possibilité de conflit entre le témoignage de l’accusé et les renseignements fournis par un indicateur au sujet de l’arrivée, dans une résidence, de drogues subséquemment trouvées en la possession de l’accusé ne justifiait pas la divulgation conformément à l’exception concernant la démonstration de l’innocence de l’accusé. La cour a statué que l’utilité des renseignements était hypothétique et que la simple supposition qu’ils pourraient être utiles à la défense était insuffisante. Si des conjectures suffisaient à faire tomber le privilège, la protection que celui-ci est censé accorder s’en trouverait pratiquement sinon totalement anéantie. »
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