mardi 31 juillet 2012

Deux éléments sont essentiels à la commission de l'infraction de distraction de fonds détenus en vertu d’instructions

R. c. Martin, 1992 CanLII 3189 (QC CA)

Lien vers la décision

Avant d'analyser la preuve relative à chacun des cinq chefs, il importe de revoir à ce sujet les exigences posées par l'article 292(1) du Code criminel (maintenant l'article 332).

Dépouillé du texte qui n'a ici aucune pertinence l'article 292(1) se lit:

Commet un vol quiconque, ayant reçu .... de l'argent .... avec instructions d'affecter à une fin .... que spécifient les instructions la totalité ou une partie de cet argent .... frauduleusement et en violation des instructions reçues affecte à une autre fin ou verse à une autre personne l'argent .... ou toute partie de cet argent ....

Deux éléments sont essentiels à la commission de cette offense: des instructions spécifiques et une violation frauduleuse de ces instructions.

Au sujet de la spécificité des instructions le texte même de l'article paraît assez clair: «ayant reçu de l'argent avec instructions d'affecter à une fin que spécifient les instructions ....».

Il suit du texte même de la loi que l'existence d'instructions ne saurait découler de simples expectatives et ne saurait davantage être établie implicitement. L'exigence de la spécificité des instructions repousse l'idée que l'existence des instructions puisse être implicite.

Cette interprétation de l'article 292(1) me paraît conforme à l'arrêt unanime de la Cour suprême du Canada dans LOWDEN c. LA REINE 1982 CanLII 194 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 60, 68 C.C.C.(2d) 531, 139 D.L.R.(3d)257. Au nom de la Cour le juge Lamer (alors puîné) s'exprime comme suit (page 67):

Le juge Moir énonce très clairement et précisément le principe de l'art. 292 de la façon suivante:

[TRADUCTION] Je crois devoir expliquer comment, à mon avis, s'applique l'art. 292. S'il y a, dans les circonstances de l'espèce, un lien de débiteur à créancier entre les parties à l'opération, il faut des instructions écrites pour qu'il puisse y avoir une déclaration de culpabilité. S'il n'y a pas de lien de débiteur à créancier, il incombe à la poursuite de faire la preuve des instructions. Ces instructions doivent être établies hors de tout doute raisonnable.

En l'espèce, on dit qu'il n'y a pas de lien de débiteur à créancier entre l'agence de voyages et le client. Cela n'élimine pas la nécessité des instructions, seule la nécessité d'instructions écrites disparaît. Suivant ses termes, l'art. 292 exige des «instructions d'affecter à une fin ou de verser à une personne que spécifient les instructions la totalité ou une partie de cet argent».

La conclusion à laquelle j'en viens est entièrement conforté par l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario R. v. Brown (1956) 116 C.C.C. 112 et sur de nombreuses autres décisions canadiennes.

Avec égards, je suis d'avis que pour invoquer l'art. 292, du Code criminel, la preuve doit établir que l'agence avait reçu les instructions de conserver l'argent et de l'appliquer uniquement aux fins énoncées dans les instructions. Cette preuve n'a pas été faite et la poursuite échoue à cause de l'absence de preuve des instructions requises.

En parlant des clients de l'agence, il avait déjà mentionné:

[TRADUCTION] En l'espèce, on dit que les clients de l'agence de voyages s'attendaient à ce que l'argent soit employé à l'achat de billets et à aucune autre fin. Rien dans la preuve n'appuie un accord ou des instructions en ce sens entre l'appelant et les clients. C'est une conclusion qu'on prétend implicite dans le lien entre les parties.

. . .

Il est évident qu'il est nécessaire de trouver ... les instructions prévues à l'art. 292 pour que cet article s'applique. Les attentes des clients ne sont pas pertinentes. Pour que l'accusé soit criminellement responsable, l'argent doit avoir été payé selon des instructions et accepté selon ces instructions. C'est une question de contrat ou d'instructions, et non d'attente.

Je souscris à cette interprétation du droit exprimée par le juge Moir.

Avec égards, cependant, je ne puis être d'accord avec la proposition qu'il n'y a pas de preuve permettant de conclure à l'existence d'instructions, pas plus que je n'estime que les attentes des clients ne sont pas pertinentes, même si je dois ajouter que les attentes, envisagées isolément, n'équivalent pas à des instructions.

Le juge Moir est d'avis que, selon la majorité, les attentes des clients, lorsqu'on examine ce qui était implicite dans leurs rapports avec l'agence, suffisaient à créer des «instructions» de la nature de celles qu'envisage l'art. 292. Si c'était là la conclusion de la Cour, je serais d'accord avec le juge Moir que de simples «attentes» chez des personnes, si l'on n'a pas fait la preuve que la personne qui reçoit les biens connaît cette attente et qu'elle reconnaît que la remise de ces biens vise uniquement à combler ces attentes, ne peuvent, en droit, constituer des «instructions»; une conclusion de la Cour d'appel en ce sens constituerait une erreur de droit sur laquelle il serait dissident. Mais, comme je l'ai dit, ce n'est pas le cas. Le juge en chef McGillivray, aux motifs duquel a souscrit le juge Brennant (juge ad hoc), a dit:

[TRADUCTION] À mon avis, le paiement d'une somme d'argent à une agence de voyages pour un voyage déterminé, à une date précise, sur un vol régulier, ou le paiement d'une somme d'argent pour une réservation précise dans un hôtel déterminé pour une époque donnée crée plus qu'une simple relation de débiteur à créancier. À mon avis, il est implicite qu'on s'attend à ce que l'agent obtienne le billet ou qu'il rende l'argent. J'estime que ce n'est pas un cas où, si un vol aérien était annulé, l'agent serait responsable en dommages. Il me paraît évident que le public comprendra que l'agent allait affecter l'argent à la réservation. Si le vol est annulé, l'agent n'en est pas responsable. Il s'est acquitté pleinement de son obligation envers le client, et on doit s'attendre à ce que la société aérienne rende l'argent.

Le Juge en chef, en parlant de ce qui est «implicite» traitait du fait qu'il y avait plus qu'une simple relation de débiteur à créancier. Il n'a nullement suggéré que ce que le client attendait implicitement de la relation constituait des «instructions». Pour appuyer sa conclusion qu'il existait des instructions, on ne peut passer sous silence, outre la constatation de ces attentes, qu'en fait, l'appelant a reçu et a «accepté» l'argent qui lui était confié dans le but évident de combler ces attentes, en toute connaissance de ces attentes qui lui ont été communiquées de façon «expresse», et que par ses agissements, il a employé l'argent de façon contraire à la fin à laquelle il était destiné.
À la lecture de ces propos il ne semble faire aucun doute que de simples attentes ne peuvent faire présumer de l'existence d'instructions au sens de l'article du code.

On peut, comme élément de preuve servant à établir l'existence d'instructions spécifiques, tenir compte des attentes ou expectatives mais les instructions ne peuvent s'inférer de ces attentes seules.

C'est à la lumière de ces enseignements que je me propose de revoir la preuve sur laquelle le juge de première instance s'appuie pour affirmer que dans chaque cas la victime a remis à l'appelant une somme d'argent «avec la mention explicite» que cette somme serve à payer le terrain.

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