R. c. Larrivée, 2012 QCCQ 3609 (CanLII)
Lien vers la décision
[283] La Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Arp. [1998] 3 R.C.S. p. 339 et suivantes, établit les principes sur lesquels un juge doit se baser pour déterminer s’il accepte une preuve de faits similaires et quelle valeur probante il peut lui accorder.
[284] La Cour suprême émet d’abord la mise en garde suivante au juge du procès :
[52] in fine « L’appréciation d’une preuve de faits similaires et la détermination de sa valeur probante et de son admissibilité imposent au juge du procès une lourde tâche, tâche qui doit être accomplie avec beaucoup de soin. »
[285] Elle énumère les critères qui doivent guider le juge pour décider de l’admissibilité de cette preuve :
« La meilleure façon de définir la règle autorisant l’admission d’une preuve de faits similaires serait peut-être de dire qu’il s’agit d’une ‘’exception à une exception’’ à la règle fondamentale suivant laquelle tout élément de preuve pertinent est admissible. La pertinence dépend directement des faits en litige dans une affaire donnée. Pour leur part, les faits en litige sont déterminés par l’infraction reprochée dans l’acte d’accusation et par les moyens de défense, s’il en est, qui sont invoqués par l’accusé. Voir Koufis c. The King [1941] R.C.S. 481, à la page 490. Pour qu’un élément de preuve soit logiquement pertinent, il n’est pas nécessaire qu’il établisse fermement, selon quelque norme que ce soit, la véracité ou la fausseté d’un fait en litige. La preuve doit simplement tendre à [traduction] « accroître ou diminuer la probabilité de l’existence d’un fait en litige ». Voir Sir Richard Eggleston, Evidence, Proof and Probability (2e éd. 1978) à la page 83. En conséquence, aucune valeur probante minimale n’est requise pour qu’un élément de preuve soit pertinent. Voir R. c. Morris 1983 CanLII 28 (CSC), [1983] 2 R.C.S. 190 aux pp. 199 et 200. »
[286] Lorsque la question de l’identité de l’auteur des délits est en jeu comme dans notre dossier, nous devons tenir compte des éléments suivants :
[43] « Il s’ensuit que, lorsque l’identité est un point litigieux dans une affaire criminelle et qu’il est démontré que l’accusé a commis des actes présentant des similitudes frappantes avec le crime reproché, le jury n’est pas invité à inférer des habitudes ou de la disposition de l’accusé qu’il est le genre de personne qui commettrait ce crime. Au contraire, le jury est plutôt invité à inférer du degré de particularité ou de singularité qui existe entre le crime perpétré et l’acte similaire que l’accusé est la personne même qui a commis le crime. Cette inférence n’est possible que si le haut degré de similitude entre les actes rend une coïncidence objectivement improbable. Voir Hoch c. The Queen (1988), 165 C.L.R. 292 (H.C.Aust.). En d’autres termes, il est toujours que, par le jeu d’une coïncidence, l’auteur du crime et l’accusé partagent certaines prédilections, ou encore que l’accusé puisse devenir impliqué dans des crimes dont il n’est pas responsable. Toutefois, lorsque la preuve révèle une manière distincte de commettre les actes en question, la possibilité que, par pure coïncidence, l’accusé soit à plusieurs reprises impliqué dans des infractions très similaires s’en trouve de beaucoup réduite. Ce point a été clairement exprimé par le juge Sopinka, dans Morin, précité, où une preuve de faits similaires avait été utilisée pour établir l’identité (à la page 367) :
« Dans les affaires de faits similaires, il ne suffit pas d’établir que l’accusé fait partie d’un groupe anormal qui a les mêmes propensions que l’auteur du crime. Il doit y avoir d’autres caractéristiques distinctives. Par conséquent, si le crime a été commis par quelqu’un qui a des tendances homosexuelles, il ne suffit pas d’établir que l’accusé est un homosexuel actif ni même qu’il a pratiqué de nombreux actes homosexuels. La preuve offerte doit tendre à démontrer qu’il y a des similitudes frappantes entre la manière dont l’auteur du crime a commis l’acte criminel et cette preuve. »
[45] « Au lieu de cela, l’application d’une approche fondée sur des principes pour statuer sur l’admissibilité d’une preuve de faits similaires reposera dans tous les cas sur la conclusion qu’il est improbable que l’implication de l’accusé dans les faits similaires ou chefs d’accusation reprochés soit le fruit d’une coïncidence. Une telle conclusion assure que la preuve a une valeur probante suffisante pour être admise, et elle fera intervenir différentes considérations dans différents contextes. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, une preuve de faits similaires est produite à l’égard de la question de l’identité, il doit exister un haut degré de similitude entre les faits pour que la preuve soit admise. Par exemple, la présence d’une marque ou signature singulière donnera automatiquement aux faits reprochés une « similitude frappante » et les rendra, par conséquent, extrêmement probants et admissibles. De même, il est possible que, considérées ensemble, un certain nombre de similitudes importantes soient telles que leur effet cumulatif justifie l’admission de la preuve. Ordinairement, lorsque la question de l’identité est en litige, le juge du procès devrait examiner la façon dont les actes similaires ont été commis – c’est-à-dire examiner si ces actes laissent voir une marque singulière ou révèlent un certain nombre de similitudes importantes. Cet examen lui permettra de déterminer si les faits similaires reprochés ont tous été commis par la même personne. Cette constatation préliminaire établit l’improbabilité objective que l’implication de l’accusé dans les actes reprochés soit le fruit d’une coïncidence et confère ainsi à la preuve la force probante requise. En conséquence, lorsqu’une preuve de faits similaires est produite pour établir l’identité, une fois cette constatation préliminaire faite, les éléments de preuve relatifs à l’acte similaire (ou au chef d’accusation, dans un acte d’accusation comportant plusieurs chefs) peuvent être admis pour prouver la perpétration d’un autre acte (ou chef d’accusation). » (Le souligné est du sous-signé)
[48] « En conséquence, lorsqu’une preuve de faits similaires est produite pour prouver un fait en litige, pour décider de son admissibilité le juge du procès doit apprécier le degré de similitude des faits reprochés et déterminer si l’improbabilité objective d’une coïncidence a été établie. Ce n’est que dans ce cas que la preuve aura une valeur probante suffisante pour être admissible. Lorsque le fait en litige est l’identité de l’auteur du crime, alors, dans le cours normal des choses, le juge du procès doit apprécier le degré de similitude qui ressort de la façon dont les actes en cause ont été commis pour déterminer s’il est probable que les actes similaires reprochés ont été commis par la même personne. Une fois qu’il a été établi, selon la prépondérance des probabilités, que les actes similaires reprochés ont été commis par la même personne, la preuve des faits similaires peut être admise pour établir que l’accusé a commis l’infraction ou les infractions en question. » (Le souligné est du sous-signé)
[49] « Afin de décider si une preuve de faits similaires doit être admise pour établir l’identité, le juge du procès doit tenir compte de la manière dont les actes similaires allégués ont été commis. En général, la preuve qui lie l’accusé à chaque acte similaire reproché ne devrait pas faire partie de cette évaluation. Comme le dit Peter K. McWilliams dans Canadian Criminal Evidence (3e éd. 1988 (feuilles mobiles)), à la p. 11-26.1, [traduction] « [1]e lien [avec l’accusé] […] est distinct du lien ou de la connexion […] qui touche à la nature de l’acte et se rapporte à sa similitude ou à sa pertinence qui doit être telle qu’elle écarte la règle générale d’exclusion » (en italique dans l’original). Cette distinction est clairement indiquée dans Case and Comment on R. c. Brown, Wilson, McMillan and McClean, [1997] Crim. L. Rev. 502, à la p. 503 (sommaire de Richard Percival) :
[Traduction]… La preuve révélait des similitudes frappantes entre les deux groupes d’infractions, et il existait une signature ou autre caractéristique spéciale. […] Une fois établi ce lien entre les groupes d’infractions, alors la preuve qui liait un défendeur à chaque groupe d’infractions était admissible contre lui relativement à l’autre groupe. [Je souligne.]
Voir aussi R. c. Barnes, [1995] 2 Cr. App. R. 491 (C.A.), aux pp. 496 à 498. Autrement dit, la similitude des actes indique si une seule et même personne a commis les crimes; dans la plupart des cas, la preuve relative au lien entre l’accusé et chaque acte similaire indique si l’accusé a commis les crimes. Ce n’est qu’après que le juge du procès a examiné la façon dont les actes similaires ont été commis et qu’il est convaincu de l’existence d’éléments de preuve qui pourraient amener le jury a conclure que tous les actes ont été commis par une seule et même personne qu’il doit admettre la preuve se rapportant à chaque acte et la soumettre au jury, y compris la preuve de la participation de l’accusé à la perpétration de chaque acte similaire. »
[50] « En résumé, dans l’examen de la question de l’admissibilité d’une preuve de faits similaires, la règle fondamentale est que le juge du procès doit d’abord décider si la valeur probante de cette preuve l’emporte sur son effet préjudiciable. Dans la plupart des cas où une preuve de faits similaires est produite pour établir l’identité, il pourrait être utile au juge du procès de prendre ne considération les suggestions suivantes lorsqu’il décide si la preuve doit être admise :
(1) En règle générale lorsqu’une preuve de faits similaires est produite pour prouver l’identité, un degré élevé de similitude doit exister entre les actes pour faire en sorte que cette preuve ait une valeur probante qui l’emporte sur son effet préjudiciable, conformément à ce qui est requis pour qu’elle soit admissible. La similitude entre les actes peut consister en une marque ou signature singulière caractérisant une série de similitudes importantes.
(2) Dans l’appréciation de la similitude des actes, le juge du procès devrait uniquement examiner la façon dont les actes ont été commis et non la preuve relative à la participation de l’accusé à chaque acte.
(3) Il est bien possible qu’il y ait des exceptions, mais en règle générale s’il existe entre les actes un degré de similitude tel qu’il est probable que ces derniers ont été commis par la même personne, la preuve de faits similaires aura ordinairement une force probante suffisante pour l’emporter sur son effet préjudiciable et elle peut être admise.
(4) Le jury sera alors en mesure d’examiner toute la preuve relative aux faits qui, prétend-on, sont similaires pour déterminer si l’accusé est coupable d’avoir commis l’un ou l’autre des actes.
Les observations qui précèdent sont faites, répétons-le, non pas en tant que règles rigides, mais simplement en tant que suggestions susceptibles d’aider les juges qui président des procès dans leur façon d’aborder une preuve de faits similaires. »
[51] « Le critère d’admissibilité d’une preuve de faits similaires produite pour prouver l’identité est le même, que les actes similaires allégués soient définitivement attribués à l’accusé ou qu’ils fassent l’objet d’un acte d’accusation reprochant plusieurs chefs d’accusation à l’accusé. Voir Boardman, précité, à la p. 896, lord Wilberforce. »
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