vendredi 10 mai 2013

Détermination de la peine en matière de fraude fiscale substantielle

R. c. Chicoine, 2012 QCCA 1621 (CanLII)

Lien vers la décision

[115] Les caractéristiques des deux fraudes dont l'une donne lieu, au surplus, au recyclage de produits de la criminalité, le degré d'implication de Ronald Chicoine quant à chacune d'elles et les circonstances aggravantes précédemment décrites pourraient conduire à l'imposition d'une peine globale de 8 ans comme le réclame la poursuivante, et peut-être même à l'imposition d'une peine encore plus sévère comme l'illustrent notamment les affaires Wilder, Bjellebo et Minchella.

[116] Dans le cas de Wilder qui était accusé d'une fraude fiscale de 38 millions de dollars, échelonnée sur 2 années, consistant à déclarer des dépenses de recherche et de développement plus élevées que les dépenses réellement engendrées dans le cadre d'un programme de crédit fiscal pour la recherche scientifique et de possession de produits de la criminalité, la peine imposée et confirmée en appel est de 9 ans.

[117] Dans les cas de Bjellebo et Minchella, respectivement qualifiés de tête dirigeante ou d'intervenant important, ils étaient accusés de fraude fiscale de 24 millions de dollars, échelonnée sur 7 années, et d'avoir contrefait des documents. Leurs peines imposées et confirmées en appel sont de 10 ans et de 7 ans respectivement.

[118] D'autres arrêts ou décisions ont été rendus en matière de fraudes fiscales de plus d'un million de dollars au cours des dernières années. Dans chacun de ces cas, le montant et la durée de la fraude sont significativement inférieurs à ceux de la présente affaire alors que plusieurs d'entre eux ne présentent pas un degré aussi élevé de planification et de sophistication, et que certains révèlent des circonstances atténuantes particulières. J'en fais le survol.

[119] Dans l'affaire DiGiuseppe, une affaire de fraude fiscale de 3,5 millions de dollars échelonnée sur une période de 1 an et demi, consistant à ne pas déclarer les profits générés par le prix d'entrée chargé aux clients des deux clubs opérés, une peine d'emprisonnement de 6 ans a été infligée à l'accusé et cette peine a été confirmée par la Cour d'appel de l'Ontario en 2010. Les caractéristiques propres à cette affaire se résument à ceci : procès difficile; accusé présentant des problèmes de santé (cholestérol, hypertension, dépression, anxiété); accusé ayant agi avec la complicité d'un cercle restreint d'employés de confiance et de certains membres de sa famille; subterfuge découvert par hasard; enquête policière d'une grande ampleur; absence totale de remords; abus de confiance du public (718.2 C.cr.); sophistication de la fraude; utilisation de prête-noms; fraude motivée par le désir d'enrichissement personnel; fraude dissimulée, même au propre contrôleur financier de l'accusé.

[120] Dans l'affaire Leo-Mensah, une affaire de fraude fiscale de près de 3,3 millions de dollars échelonnée sur une durée de 1 an et demi, la Cour d'appel de l'Ontario intervient pour porter la peine d'emprisonnement totale à 3,8 années, alors que le tribunal de première instance l'avait fixée à une seule journée tenant compte de la détention provisoire de 22 mois. La Cour d'appel reproche au premier juge d'avoir omis le facteur aggravant obligatoire se rattachant à une fraude de plus d'un million de dollars, d'avoir mis trop d'emphase sur les obligations et l'implication de l'accusé dans des œuvres de charité pour enfants et d'avoir omis de considérer les autres facteurs aggravants présents en l'espèce. Les caractéristiques propres à cette affaire se résument à ceci : l'accusé plaide coupable; selon lui, son crime est motivé par son désir d'aide charitable en Afrique de l'Ouest et non par la cupidité; sa famille dépend de lui financièrement; l'accusé est l'instigateur du stratagème qui implique une multitude de participants; il s'agit d'une fraude planifiée et organisée donnant lieu à de l'abus de confiance.

[121] Dans l'affaire Prokofiew, une affaire de fraude fiscale de 3,25 millions de dollars consistant à procéder à des ventes fictives de machinerie lourde et à ne pas remettre aux autorités gouvernementales les taxes de vente par ailleurs collectées, une peine globale d'emprisonnement de 3 ans a été jugée raisonnable par la Cour d'appel de l'Ontario.

[122] Dans l'affaire Taylor, une fraude fiscale de près de 3,2 millions de dollars, s'échelonnant sur une période de 5 ans, consistant à omettre de remettre de multiples déductions à la source à l'Agence du revenu du Canada, le Tribunal a imposé une peine d'emprisonnement de 3 ans et demi. Les circonstances propres à cette affaire se résument ainsi : plaidoyer de culpabilité qui intervient tôt et permet d'éviter un long procès; accusée qui s'est impliquée dans sa communauté; fraude importante et planifiée; profits de la fraude sont dissipés alors que l'accusée déclare faillite en 2005; problèmes financiers au moment de la fraude et accusée qui en accepte l'entière responsabilité.

[123] Dans l'affaire Ratelle, une fraude fiscale de 2,5 millions de dollars à laquelle le comptable plaide coupable, s'échelonnant sur une période d'environ 4 années et demie et résultant de fausses pertes déclarées par ce dernier au nom de 205 contribuables de qui il empoche une commission sur ces pertes déclarées, notre Cour est intervenue pour modifier la peine imposée à ce dernier par le juge de première instance et y substituer une peine d'emprisonnement de 18 mois.

[124] Finalement, dans l'affaire Fontaine, une fraude fiscale de 2 millions de dollars, s'échelonnant sur une période de 9 ans, consistant à détourner des sommes par le biais de paiements illégaux à des compagnies de consultation fictives, une peine d'emprisonnement de 3 ans a été infligée. Les circonstances propres à cette affaire se résument à ceci : plaidoyer de culpabilité qui a permis d'éviter un procès long et complexe; fraude préméditée et sophistiquée; efforts nombreux par l'accusé pour cacher la fraude.

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