mercredi 29 mai 2013

État du droit concernant l'abus de confiance d'un fonctionnaire (pré-Boulanger de la Cour Suprême)

R. c. Tremblay, 2003 CanLII 17431 (QC CQ)

Lien vers la décision

[363]      Mon collègue, l'Honorable Carol St-Cyr a procédé récemment à une analyse de la notion d'abus de confiance, alors qu'il avait à rendre un verdict dans le dossier de la R. c. Denis Boulanger.
[364]      Je suis en accord avec les principes dégagés par son analyse, lesquels je résume de la façon suivante:
"Après avoir analysé l'origine de l'article 122 du Code criminel et son interprétation jurisprudentielle, l'Honorable juge Baudouin  de la Cour d'appel du Québec, signalait dans l'arrêt Perreault:
"À mon avis, ce que l'article 122 du Code criminel vise, c'est précisément la conduite vénale, la malversation, le conflit d'intérêts, la corruption, le trafic d'influence, la concession, le bénéfice indu, qui exigent tous à la base la poursuite d'un intérêt personnel ou, selon l'expression de la jurisprudence de common law, the furtherance of personal ends, donc l'utilisation d'une situation de pouvoir dans la fonction publique pour promouvoir des buts privés ou obtenir directement ou indirectement un bénéfice quelconque."
[365]      Relativement aux éléments essentiels de l'article 122, le juge Baudouin en arrive à la conclusion suivante:
"De cette brève revue de la jurisprudence sur la question, il me semble clair que les éléments essentiels de l'infraction prévue à l'article 122 C.Cr. sont les suivants:
1º   que l'accusé ait le statut de fonctionnaire;
2º que l'acte reproché ait été commis dans le cadre général de l'exécution de ses fonctions ;
3º  que l'acte constitue une fraude ou un abus de confiance.
Pour identifier maintenant les conditions nécessaires à ce troisième élément constitutif lorsqu'il s'agit d'abus de confiance, il me paraît que les conditions suivantes doivent être suivies ;
1º  L'accusé a posé un geste d'action ou d'omission contraire au devoir qui lui est imposé par la loi, un règlement, son contrat d'emploi ou une directive relativement à sa fonction.
2º  L'acte posé doit lui rapporter un bénéfice personnel (par exemple une compensation pécuniaire, un avantage en nature, en services ou autres) ou dérivé (par exemple, un avantage à son conjoint, un membre de sa famille ou même dans certains cas, un tiers).  Ce bénéfice peut être direct (par exemple, le paiement d'une somme d'argent) ou indirect (par exemple, l'espoir d'une promotion, le désir de plaire à un supérieur).
L'existence d'un préjudice réel au public ou à l'État n'est pas un élément de l'infraction, selon une jurisprudence unanime.  Le contraire est nécessaire pour établir la fraude, puisqu'il faut obligatoirement l'existence d'une privation. "
A-  LE STATUT DE FONCTIONNAIRES DE L'ACCUSÉ:
[366]      Le Juge Lamer a étudié la notion de fonctionnaire au sens du Code criminel, dans l'arrêt Doré c. Procureur Général du Canada:
" dans le Code criminel, le mot "fonctionnaire" fait l'objet d'une définition spéciale qui complète celle de "charge ou emploi" et de "département public", aux par. e) et d) de l'article 99 et au par. 15 de l'article 2".
[367]      L'article 118 du Code criminel définit le terme "fonctionnaire" de la façon suivante:
"personne qui:
a) détient une charge ou un emploi;
b) est nommé pour remplir une fonction publique.
Le terme "charge" ou "emploi" se définit de la façon suivante:
A)         d'une charge ou fonction sous l'autorité du gouvernement;
B)         d'une commission civile ou militaire;
C)         d'un poste ou un emploi dans un ministère public."
[368]      L'arrêt Lafrance définit "fonctionnaire" comme celui qui est sujet à l'autorité du gouvernement.
"… c'est une personne qui œuvre pour l'État, qui remplit un emploi de confiance à titre de conseiller ou autre dans une dynamique de réalisation ou de promotion des intérêts de l'état.".
[369]      Sur ce point, tant par son statut que par sa description de tâches, l'accusé est un fonctionnaire au sens de la Loi et il doit rendre compte de sa gestion puisqu'il dispose même d'un statut spécial et étant autorisé en vertu de l'article 34 de la Loi sur les finances publiques à apposer sa signature sur les factures afin que le paiement par un fonctionnaire soit fait au fournisseur de biens.
B-  DANS LE CADRE GÉNÉRAL DE SES FONCTIONS:
[370]      Sur ce point, tant l'accusé comme les témoins entendus, ou tel que révélé dans l'abondante preuve technique:
A)  L'accusé occupe une fonction de technicien en ophtalmologie, fonction unique aux emplois militaires et qui n'existe pas dans le civil;
B)  C'est la seule profession que pratique l'accusé depuis de nombreuses années;
C)  L'exercice de cette fonction se pratique uniquement sur les Bases des Forces armées canadiennes dans des locaux prévus à cette fin.
C-  QUE L'ACTE CONSTITUE UNE FRAUDE OU UN ABUS DE CONFIANCE:
[371]      Afin de déterminer si l'on peut conclure à l'abus de confiance, il faut analyser les critères suivants:
a)                  L'accusé pose-t-il un geste contraire à un devoir qui lui est imposé par la Loi ou un règlement?
b)                  L'acte posé a-t-il apporté un bénéfice direct ou indirect?
[372]      À cet égard, je réfère à l'analyse de mon collègue, l'Honorable Carol St-Cyr:
"Déjà dans l'arrêt Leblanc rendu en 1979, la Cour d'appel du Québec, en traitant de l'article 122 (anciennement 111) par l'entremise du juge Lamer, signalait :
 "En ce qui a trait au premier chef d'accusation, soit celui fondé sur l'article 111 du Code criminel, je crois qu'il serait opportun d'ajouter quelques commentaires ayant trait à la portée de ce texte, d'incrimination.
Il n'est aucunement nécessaire pour qu'une infraction soit commise en vertu de l'article 111 du Code criminel, que l'accusé ait agi malhonnêtement, de façon corrompue ou encore qu'il ait posé un geste illégal.  Ce sont là des conditions de fond d'infractions que l'on retrouve ailleurs au Code, dont, à titre d'exemple, aux articles 108 et 109 du Code criminel, où on prévoit que l'accusé doit avoir agi par «corruption».   Ces crimes sont d'ailleurs punis de façon beaucoup plus sévère.
L'infraction prévue à l'article 111 du Code criminel est à quelques nuances près, la codification des crimes de Common Law, connus sous le nom de «misbehaviour» et de «misfeasance in public office»".
[373]      Implicitement, le juge Lamer soulignait que la preuve d'un bénéfice quelconque est une des composantes de la notion d'abus de confiance en spécifiant :
"À mon avis, le fait qu'un fonctionnaire accepte des sommes d'argent autres que ses émoluments officiels, pour offrir à celui qui les lui donne un meilleur service que celui dont bénéficieront tous autres qui, à juste titre, se croient justifiés de ne payer que leurs impôts et leurs taxes, constitue de l'inconduite dans l'exécution de ses fonctions au sens que l'entendait le Commun Law et, partant, est «un abus de confiance» au sens de l'article 111 du C.Cr."
[374]      Or, dans l'analyse de ce deuxième critère de l'abus de confiance, le juge Baudouin signale que c'est précisément, parce que le crime d'abus de confiance n'implique pas toujours l'idée de corruption, qu'il doit impliquer au moins celle de réception d'un bénéfice quelconque.
[375]      Cette notion a aussi comme but d'éviter de faire intervenir le droit pénal dans des secteurs où il n'a pas sa raison d'être.
[376]      Sur cet aspect, le juge Baudouin s'exprime ainsi :
  "Le droit criminel a pour mission de sanctionner les atteintes graves dérogeant des valeurs sociales fondamentales.  Il est certain que de tirer un profit personnel de l'exercice d'une charge publique en est une.  Par contre, le droit criminel n'a pas à sanctionner le simple écart technique de conduite, l'acte d'indiscipline administrative ou la faute administrative, même délibérée.  La sanction relève alors de la discipline du droit administratif, peut-être même du droit civil ".
[377]      La jurisprudence a défini que le crime d'abus de confiance est un crime d'intention générale.  La Cour suprême dans l'arrêt R. c.Hinchey s'exprime de la façon suivante:
En ce qui concerne la mens rea, étant donné que l'infraction est un crime "lié au comportement", elle exige pour que l'accusé soit coupable qu'il sache ce qu'il a fait et connaisse les circonstances dans lesquelles il a commis l'acte.
… ce degré de mens rea est reconnu comme une forme de culpabilité criminelle.
Il s'agit que l'accusé ait été insouciant à l'égard des conséquences naturelles de ses actes.
[378]      La Cour d'appel du Québec a étudié à plusieurs reprises la notion d'actus reus et de mens rea de l'infraction d'abus de confiance et à cet égard, le Tribunal réfère aux arrêts R. c. Lippé. R. c. Flamand, R.c. Gagné

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