mercredi 29 mai 2013

L'article 122 C.cr. et son interprétation

R. c. Perreault, 1992 CanLII 3282 (QC CA)


La première décision canadienne en la matière est l'affaire R. c. Arnoldi, (1892) 23 O.R. 201 (Ch. D. de l'Ont.), antérieure au Code de 1892.  Dans cette affaire, les commentaires du juge Boyd ne sont malheureusement pas d'une lumineuse clarté.  D'une part, en effet, fait-il la revue de la jurisprudence britannique et notamment de Bembridge pour conclure (à tort, à mon avis, au moins dans ce cas précis) qu'une simple illégalité suffit à fonder l'infraction.   D'autre part, et par opposition, met-il l'accent sur l'appât du gain et le profit personnel que comptait tirer l'accusé de l'opération et qui, en l'espèce, ne faisait pas de doute.  Le passage important de l'arrêt et qui est souvent cité est le suivant:

«  Upon this statement of facts, it is urged that no criminal offence exists, because it is essential that pecuniary damage should result to the public, by reason of the irregular conduct of the officer.  But in my opinion the gravity of this administrative transgression is not to be measured by mere ascertained pecuniary results.  The defendant was tempted to do what he did by the prospect of gain, - he profited by his own dereliction of duty, and to accomplish his purpose it was necessary to conceal the actual transaction.  This was misbehaviour in office, which is an indictable offence at common law.»                                            (p. 209)

Il me semble cependant tirer une conclusion ferme, (et à mon avis l'observation ici est capitale): même si l'infraction pourrait éventuellement être basée sur un acte de négligence (sans donc nécessité d'une corruption), il faut cependant, même dans ce cas comme élément de l'infraction, la poursuite d'un but personnel («furtherance of personal ends»):

«  Therefore I conclude that the element of profit more than ordinary is immaterial, except as a circumstance to be regarded in mitigation of the defendant's conduct, to which due weight will be given when judgment is pronounced against him.


   The gravity of the matter is not so much in its merely profitable aspect as in the misuse of power entrusted to the defendant for the public benefit, for the furtherance of personal ends.  Public example requires the infliction of punishment when public confidence has thus been abused, and my judgment is, that the conviction should be sustained.»                                                     (p. 201)
        (Les soulignements sont de moi.)

Dans R. c. McMorran, (1948) 91 C.C.C. 19 (C.A. de l'Ont.), l'honorable Hogg (pp. 26 et s.) arrive à la conclusion que l'abus de confiance peut consister en un acte de  négligence ou en un manquement au devoir de la charge publique.  Toutefois, en l'espèce, comme d'ailleurs le juge le note, les actes de l'accusé étaient nettement prémédités, délibérés et intentionnels: il avait préféré, dans l'attribution de certains contrats, sa propre firme à d'autres.  Il y avait donc ici, même s'il n'était question que de simple négligence, la promotion ou la recherche d'un profit personnel.

Dans R. c. Campbell, [1967] O.R. 201 (C.A. Ont.), confirmé par [1969] R.C.S. V, la question principale portait sur le fait de savoir si l'infraction créée par l'ancien article 103 C.cr. était un ....«breach of trust in respect to trust property» (p. 201), ce à quoi la Cour répondit, évidemment, par la négative.  L'arrêt, par ailleurs, ne se prononce pas sur les questions qui nous intéressent ici.

Dans Campeau c. R., C.A. M. no: 500-10-000016-74, du 10 juin 1976 (C.A.Q.), mes collègues, les juges Tremblay, Owen et Lajoie, ont maintenu les verdicts de culpabilité contre l'accusé qui, selon les faits de la cause, avait de toute évidence poursuivi la recherche d'importants profits personnels.

L'affaire Leblanc c. R., [1979] C.A. 417 (confirmée par la Cour suprême, 1982 CanLII 169 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 344) de notre Cour, décidée par les juges Dubé (dissident), Kaufman et Lamer, mérite une étude plus approfondie en raison du fait qu'elle a, par la suite, été souvent citée comme précédent.  Leblanc était trésorier d'une municipalité. Il reçut de l'urbaniste Gagnon une somme de l 125 $ non pour accomplir ou ne pas accomplir un travail particulier qui relevait de ses fonctions mais, comme le signale le juge Dubé, parce que les deux parties:

«....s'attendaient tout simplement à une plus efficace coopération: l'appelant, par exemple, se sentait obligé de travailler en temps supplémentaire pour fournir à Gagnon les informations légitimes qu'il demandait; d'autre part, Gagnon se sentait moins gêné pour demander à l'appelant des renseignements qu'il aurait été obligé de chercher lui-même ou de se procurer en se payant les services d'autres personnes;  le poste qu'occupait l'appelant ne lui permettait pas de voter en faveur de l'urbaniste Gagnon ou de lui accorder aux dépens du Conseil des faveurs auxquelles il n'avait pas droit: d'ailleurs, d'après la preuve, jamais on ne lui a demandé de frauder la municipalité ni même d'abuser de sa confiance et il affirme, sans être contredit, que de tels actes n'ont pas été posés.» (p. 418)

Ce qui est particulièrement important dans cet arrêt est un passage souvent cité par la suite, du juge Lamer qui fait la réflexion suivante:

«  En ce qui a trait au premier chef d'accusation, soit celui fondé sur l'article 111 du Code criminel, je crois qu'il serait opportun d'ajouter quelques commentaires ayant trait à la portée de ce texte d'incrimination.

   Il n'est aucunement nécessaire pour qu'une infraction soit commise en vertu de l'article 111 du Code criminel que l'accusé ait agi malhonnêtement, de façon corrompue ou encore qu'il ait posé un geste illégal.  Ce sont là des conditions de fond d'infractions que l'on retrouve ailleurs au Code dont, à titre d'exemple, aux articles 108 et 109 du Code criminel où on prévoit que l'accusé doit avoir agi «par corruption».  Ces crimes sont d'ailleurs punis de façon beaucoup plus sévère.

   L'infraction prévue à l'article 111 du Code criminel est, à quelques nuances près, la codification des crimes de Common Law connus sous le nom de «misbehaviour» et de «misfeasance in public office».

Russell en disait ceci:

Misbehaviour in office is an indictable offence at common law and it is not essential that pecuniary damage should have resulted to the public by reason of such irregular conduct, nor that the defendant should have acted from corrupt motives.

   En 1893, le juge Boyd de la Cour du Banc de la Reine, Chancery Division d'Ontario, dans la cause de R. c. Arnoldi, commentant ce crime de Common Law, disait, avec l'accord de ses collègues de la Cour:

The gravity of the matter is not so much in its merely profitable aspect as in the misuse of power entrusted to the defendant for the public benefit, for the furtherance of personal ends.  Public example requires the infliction of punishment when public confidence has thus been abused, and my judgment is, that the conviction should be sustained.


   Plus tard, en 1967, la Cour d'Appel d'Ontario, commentant cette infraction dans sa forme codifiée conférait aux mots «abus de confiance» que l'on retrouve au texte d'incrimination une portée assez large pour correspondre à ce crime de Common Law de «misbehaviour in public office» dont Lord Mansfield, dans la cause de R. c. Bembridge en l783, disait ceci:

Here there are two principles applicable: first, that a man accepting an office of trust concerning the public, especially if attended with profit, is answerable criminally to the King for misbehaviour in his office; this is true, by whomever and in whatever the way the officer is appointed.  In Vidian (Vidian's Entries, p. 213) there is a precedent of an indictment against the custos brevium for losing a record.  Secondly, where there is a breach of trust, fraud, or imposition, in a matter concerning the public, though as between individuals it would only be actionable, yet as between the King and the subject it is indictable.  That such should be the rule is essential to the existence of the country.

   À mon avis, le fait qu'un fonctionnaire accepte des sommes d'argent autres que ses émoluments officiels, pour offrir à celui qui les lui donne un meilleur service que celui dont bénéficieront tous autres qui, à juste titre, se croient justifiés de ne payer que leurs impôts et leurs taxes constitue de l'inconduite dans l'exécution de ses fonctions au sens que l'entendait le Common Law et, partant est «un abus de confiance» au sens de l'article 111 du Code criminel.

   D'ailleurs, les tentatives par l'appelant de camoufler ces cadeaux en disent long sur l'opinion qu'il pouvait avoir lui-même de cette pratique.»                       (p.420)


Il me semble donc que le juge Lamer, dans son opinion, constate deux choses.  La première est que la corruption n'est pas nécessairement un élément essentiel de l'infraction.  Le terme
«abus de confiance» à l'article 122 C.cr. a un sens plus large et n'est pas restreint au seul acte de corruption.  La seconde est que celui qui reçoit de l'argent (comme dans l'affaireLeblanc), même s'il agit pour un motif qui peut paraître louable, commet un abus de confiance.  Le juge Lamer me paraît donc aussi reconnaître au moins implicitement la règle qu'il faut l'existence ou la recherche d'un but ou intérêt personnel ou privé.

Dans Bouchard c. R., C.A.M. no: 500-10-000355-808, du 14 octobre 1982, notre Cour a appliqué ces principes à une instance où le fonctionnaire avait participé à une décision administrative concernant un tiers, alors précisément qu'il recevait, à la même époque, une rémunération de ce tiers.

Dans R. c. Lessard, C.A.Q. no: 200-10-000069-802, du 27 septembre 1982 (C.A.Q.), le juge Paré cite abondamment les propos rapportés plus haut du juge Lamer dans l'affaire Leblanc et fait l'observation suivante:

«   Tant en matière de fraude que d'abus de confiance, l'article 111 n'exige pas que les actes osés soient de leur nature des crimes.  Même si ce ne sont que des actes donnant lieu à des recours civils, ils pourront devenir l'objet de poursuites criminelles parce qu'ils sont posés par des fonctionnaires.»                                                      (p. 3)

Là encore, dans cette affaire, l'accusé, maire d'une municipalité, avait fait un profit sur la vente d'un immeuble préalablement acheté par l'intermédiaire d'un prête-nom et la fraude était évidente.

Dans R. c. McKitka1982 CanLII 425 (BC CA), (1982) 66 C.C.C. (2d) 164 (C.A.C.B.), là encore le conflit d'intérêt à la base de l'abus de confiance était manifeste.  La Cour fait d'ailleurs la réflexion suivante:

«  We are also in agreement with what the learned Chancellor later said, namely, that the work of a public servant must be a real service in which no concealed pecuniary self-interest should bias the judgment of the officer, and in which the substantial truth of every transaction should be made to appear.»                                    (p. 170)

(Les soulignements sont de moi.)

Dans R. c. Curzi, C.A.M. no: 500-10-000419-802, du 2 juin 1983, l'arrêt de notre Cour fait état de  l'affaire Leblanc dans une espèce où l'accusé avait reçu une somme d'argent, pour accepter de recommander aux autorités municipales la candidature d'une firme commerciale.

  Dans R. c. Hébertreflex, [1986] R.J.Q. 236 (C.A.),  mon collègue, le juge Chevalier, rejetait l'appel d'un fonctionnaire qui avait fait exécuter par ses employés des travaux à sa résidence personnelle.  Le juge Chevalier rappelle la règle bien établie que l'existence d'un préjudice réel pour l'État n'est pas un des éléments constitutifs de l'infraction et, là encore, cite l'opinion du juge Lamer dans l'affaire Leblanc à l'effet qu'il n'est pas nécessaire que l'accusé ait agi malhonnêtement ou d'une façon corrompue.  Il est évident que la corruption était exclue en l'espèce, l'accusé ayant agi ouvertement, avec l'accord tacite de ses supérieurs et sans que les ouvriers soient débauchés pendant les heures de travail.  Toutefois nettement, là encore, il y avait encore poursuite d'un bénéfice personnel.

Dans Cyr c. R., C.A.M. no: 500-10-000053-858, du 30 septembre 1987 (autorisation de pourvoi refusée par la Cour suprême le 26 mai 1988), ma collègue, Madame la juge Mailhot, s'exprimant au nom de la Cour a confirmé la validité en droit des directives du juge de première instance qui étaient les suivantes:

«Il n'est pas essentiel à l'offense qu'il y ait un bénéfice matériel.  Comme dans le cas du premier chef, il suffit qu'il y ait un usage impropre ou abusif du poste public pour l'avancement des buts privés ou personnels.  La question à savoir s'il y avait un tel avancement des buts privés ou personels est une question de faits; la question à savoir si un tel avancement a été accompli avec la conscience coupable, telle que discutée, est une question de faits et toutes les deux questions doivent être établies hors de tout doute raisonnable.  ............................................................Vous vous rappellerez dans votre étude de ce chef que non seulement doit-il être établi que les buts personnels ou privés de l'acteur sujet des accusations soient avancés, mais aussi qu'il y avait la conscience coupable que ce soit le cas.  Et vous vous rappellerez que les éléments doivent être établis hors de tout doute raisonnable.»
(Les soulignements sont de moi.)

Elle ajoute la remarque suivante:

«   Je suis d'accord avec le premier juge sur le fait que le prix n'est pas ici un élément essentiel et que le bénéfice matériel n'est pas non plus essentiel.  Il suffit qu'il y ait démonstration hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait fait un usage impropre de son poste public pour «l'avancement de ses buts privés ou personnels».»
(Les soulignements sont de moi.)

Dans R. c. Chrétien, J.E. 88-684 (C.A.), mon collègue, le juge Vallerand, après avoir fait une revue complète de la jurisprudence et de la doctrine, a décidé qu'il y avait abus de confiance de la part d'un fonctionnaire pour avoir accepté l'asphaltage gratuit de l'entrée de sa résidence, même s'il s'agissait d'un simple cadeau de l'entrepreneur à qui la ville avait accordé des contrats, sans contrepartie.  Il écrit:


«   Le fait pour lui d'accepter un cadeau et un cadeau substantiel d'un entrepreneur dont il avait la charge de surveiller les travaux et, qui plus est, un cadeau directement relié à ces mêmes travaux me paraît être en soi un «breach of the appropriate standard of conduct» qu'interdit l'article 111 du Code criminel.  Ce geste implique nécessairement à tout le moins une équivoque sérieuse quant à l'exécution fidèle des fonctions du surintendant des travaux publics et est susceptible de jeter un discrédit sur l'administration de la Ville. 
Cela suffit, je pense, pour conclure à une contravention des normes acceptables de conduite de la part d'un fonctionnaire.»                                                   (p. 11)

Enfin, dans Carré c. R., J.E. 89-1515 (C.A.),  mon collègue, le juge Tyndale, a maintenu le verdict de culpabilité à l'endroit d'un fonctionnaire qui avait communiqué à deux de ses assistants un numéro de téléphone confidentiel à n'utiliser que pour le service gouvernemental et qui avait permis à ceux-ci de s'en servir.  Ici, l'accusé utilisait donc, par l'intermédiaire de ses assistants, ce numéro pour ses propres intérêts commerciaux.

De cette brève revue de la jurisprudence sur la question, il me semble clair que les éléments essentiels de l'infraction prévue à l'article 122 C.cr. sont les suivants:

1>           que l'accusé ait le statut de fonctionnaire;

2>           que l'acte reproché ait été commis dans le cadre général de l'exécution de ses fonctions;

3>           que l'acte constitue une fraude[1] ou un abus de confiance.

Pour identifier maintenant les conditions nécessaires à ce troisième élément constitutif lorsqu'il s'agit d'abus de confiance, il me paraît que les conditions suivantes doivent être suivies:

1>           L'accusé a posé un geste d'action ou d'omission contraire au devoir qui lui est imposé par la loi, un règlement, son contrat d'emploi ou une directive relativement à sa fonction.

2>           L'acte posé doit lui rapporter un bénéfice personnel (par exemple une compensation pécuniaire, un avantage en nature, en services ou autres) ou dérivé (par exemple un avantage à son conjoint, un membre de sa famille ou même dans certains cas, un tiers).  Ce bénéfice peut être direct (par exemple le paiement d'une somme d'argent) ou indirect (par exemple l'espoir d'une promotion, le désir de plaire à un supérieur).

L'existence d'un préjudice réel au public ou à l'État n'est pas un élément de l'infraction, selon une jurisprudence unanime.  Le contraire est nécessaire pour établir la fraude puisqu'il faut obligatoirement l'existence d'une privation.

Pourquoi faut-il, comme condition de l'abus de confiance par un fonctionnaire, la présence d'un bénéfice réel ou escompté direct ou indirect pour l'accusé?  J'y vois plusieurs raisons.

La première est que le crime d'abus de confiance, s'il n'implique pas nécessairement l'idée de corruption, implique au moins celle de réception d'un bénéfice quelconque.  Accepter qu'un entrepreneur de travaux publics asphalte gratuitement l'entrée de la maison d'un fonctionnaire municipal n'est probablement pas un acte d'une grande malhonnêteté ou d'une turpitude morale importante de la part de ce dernier.  Toutefois, c'est un avantage qui résulte directement du statut même de sa personne et de sa fonction de représentant du public.  Le fonctionnaire, comme la femme de César, doit être au-dessus de tout soupçon.

La seconde est que ne pas requérir cet élément reviendrait à faire intervenir le droit pénal et sa répression dans des domaines où il n'a rien à faire.  Comme l'a bien dit la Commission de réforme du droit du Canada, dans ce document fondamental, «Notre droit pénal» (Ottawa, 1976):

«Si le rôle du droit pénal est de réaffirmer les valeurs fondamentales, il doit donc s'occuper uniquement des «crimes véritables» et non de la pléthore «d'infractions réglementaires» qu'on trouve dans les lois.  Notre Code criminel ne devrait contenir que des actions qui sont non seulement punissables, mais aussi mauvaises, des actions qui vont à l'encontre des valeurs fondamentales.  Aucune autre infraction ne devrait figurer au Code.» ...........................................                                    (p. 19)

«Pour être qualifiée de crime véritable, une action doit être moralement mauvaise.  Cependant, ceci n'est qu'une condition nécessaire et non pas une condition suffisante, comme nous l'avons dit plus tôt.  Ce ne sont pas toutes les mauvaises actions qu'on devrait qualifier de crimes.  Le véritable droit pénal ne devrait porter que sur les actions mauvaises qui menacent ou qui violent gravement les valeurs sociales fondamentales.»                                
                                                        (p. 20)

Le droit criminel a pour mission de sanctionner les atteintes graves, dérogeant à des valeurs sociales fondamentales.  Il est certain que de tirer un profit personnel de l'exercice d'une charge publique en est une.  Par contre, le droit criminel n'a pas à sanctionner le simple écart technique de conduite, l'acte d'indiscipline administrative ou la faute administrative, même délibérée.  La sanction relève alors de la discipline du droit administratif, peut-être même du droit civil.  S'il en était autrement, le droit pénal serait constamment à l'affût de comportements répréhensibles certes, blâmables sans doute, irréguliers évidemment, mais qui n'ont rien de criminel en eux-mêmes. Il devrait alors sanctionner pénalement le policier qui a reçu des ordres précis d'intercepter tout véhicule dépassant la limite de vitesse prescrite par règlement et qui procède à des arrestations sélectives.  Il devrait condamner comme criminel le fonctionnaire qui, d'après le règlement, est tenu de recevoir les membres du public dans l'ordre de leur arrivée et qui en dépit de ce fait, accorde préférence et préséance à une personne âgée, etc.... .


L'appelant ici porte sûrement une responsabilité pour avoir enfreint de façon voulue et délibérée un règlement clair.  Cette responsabilité toutefois doit se situer à d'autres niveaux.  Il existe d'ailleurs au Québec, comme dans les autres provinces, des textes législatifs qui punissent, parfois même sévèrement,  l'inconduite et les incartades des fonctionnaires, par exemple la Loi sur la fraude et la corruption dans les affaires municipales, L.R.Q., c. F-6.  D'ailleurs, il est intéressant de constater que dans une affaire qui a de très fortes analogies avec la nôtre (Labrosse c. Ville de Montréal-Estreflex, [1986] R.J.Q. 200) et où le fonctionnaire était poursuivi sur la base de cette dernière loi, mon collègue, le juge LeBel, parlant pour la majorité, rejetait la poursuite dirigée contre l'appelant au motif que son geste reflétait une imprudence et une irrégularité grave, mais non une malversation, un abus de confiance ou une inconduite vénale.

À mon avis, ce que 122 du Code criminel vise, c'est précisément la conduite vénale, la malversation, le conflit d'intérêt, la corruption, le trafic d'influence, la concession, le bénéfice indu qui exigent tous à la base la poursuite d'un intérêt personnel ou selon l'expression de la jurisprudence de common law «the furtherance of personal ends» donc l'utilisation d'une situation de pouvoir dans la fonction publique, pour promouvoir des buts privés ou obtenir directement ou indirectement un bénéfice quelconque.  Comme l'écrivait M. le juge Boilard dans R. c. Ouellettereflex, [1988] R.J.Q. 810 p. 812 (C.S.):

«   Il me semble que la prohibition de l'article 111 est claire.  Commet un crime le fonctionnaire qui, relativement aux devoirs de sa charge, utilise à son avantage personnel des pouvoirs ou des connaissances que lui procure sa fonction.  C'est la définition adoptée, je crois, par les cours d'appel de l'Ontario et du Québec dans R. c. Campbell

Quant à la mens rea nécessaire, sans me prononcer sur la question, car elle n'est pas nécessaire à la solution du litige, je rappellerai simplement d'abord l'énoncé du juge Dickson dans R. c. Cité de Sault-Ste-Marie1978 CanLII 11 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 1299:

«   The distinction between the true criminal offence and the public welfare offence is one of prime importance. Where the offence is criminal, the Crown must establish a mental element, namely, that the accused who committed the prohibited act did so intentionally or recklessly, with knowledge of the facts constituting the offence, or with wilful blindness toward them.  Mere negligence is excluded from the concept of the mental element required for conviction.  Within the context of a criminal prosecution a person who fails to make such inquiries as a reasonable and prudent person would make, or who fails to know facts he should have known, is innocent in the eyes of the law.»                                       (p. 1309)

et ensuite les propos de la Cour d'appel de l'Ontario dans R. c. DeSousareflex, (1991) 62 C.C.C. (3d) 95:


  The Criminal Code contains numerous provisions which do not provide for a specific mens rea requirement with respect to each and every essential ingredient of the actus reus.  In such cases, the requisite mental element is implicit in order to give effect to the fundamental tenet of criminal law that there is no guilty act unless it is accompanied by a guilty mind.  It is only in a case where the impugned section cannot bear an interpretation compatible with the mens rea requirements essential to find criminal guilt that the constitutional validity of the section must be examined under ss. 7 and 1

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