mardi 28 mai 2013

La destruction d'un élément de preuve et l'arrêt des procédures

Lecours c. R., 2013 QCCS 2012 (CanLII)

Lien vers la décision

[40] L’obligation imposée à la poursuite de divulguer des éléments de preuve pertinents origine de l’arrêt R. c. Stinchcombe et se définit en fonction des principes de justice fondamentale visés à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[41] Chaque individu a le droit de présenter une défense pleine et entière.

[42] Cette obligation incombe autant aux différents services de police qu’au Ministère public.

[43] Ils doivent donc divulguer tout renseignement qu’ils détiennent, qu’ils soient inculpatoires ou disculpatoires.

[44] Cette règle généralement connaît certaines exceptions énoncées dans R. c. Chaplin.

[45] L’obligation est levée dans les cas où il s’agit d’une preuve qui échappe au contrôle de la poursuite, qui est manifestement sans pertinence, qui fait l’objet d’un privilège et enfin qui est assujettie à un droit à la protection de la vie privée.

[46] Il existe une présomption de pertinence à l’égard des éléments de preuve perdus ou détruits.

[47] L’obligation de divulgation comporte l’obligation de conserver tout élément de preuve pertinent.

[48] L’intimée n’apporte aucune justification valable sur la destruction du véhicule lourd. Il y a eu négligence ou insouciance de la part de l’intimée à veiller à la conservation du véhicule lourd. D’ailleurs, ce que le tribunal retient c’est qu’il n’y a aucune explication sur la libération du véhicule lourd.

[49] La prise par l’État de mesures raisonnables dans les circonstances pour assurer la conservation de la preuve doit être la considération principale de l’analyse.

[50] Comme cet élément de preuve, le véhicule lourd, est la pièce maîtresse, le degré de diligence de l’État dans sa conservation devait être élevé, ce qui de toute évidence n’a pas été.

[51] La perte d’un élément de preuve peut, même si elle ne constitue pas un manquement à l’obligation de divulgation, constituer tout de même une atteinte à une défense pleine et entière et justifier l’octroi d’une réparation si cette perte porte atteinte au droit à un procès équitable.

[52] La nature des accusations implique que la dangerosité de la conduite du requérant est un élément essentiel. L’état mécanique du véhicule lourd au moment de l’accident s’avère donc être d’une très grande importance.

[53] Le véhicule lourd est un élément de preuve essentiel au présent dossier puisque plusieurs faits permettent de démontrer que les freins étaient défectueux et que cette défectuosité ne relevait pas de la connaissance ni des obligations du requérant.

[54] L’examen du véhicule lourd aurait certainement pu fournir des éléments de preuve importants et essentiels à la défense.

[55] La libération du véhicule lourd empêche le requérant d’avoir une défense pleine et entière.

[56] Le véhicule lourd a été détruit avant même que les accusations soient portées contre le requérant.

[57] Après mûre réflexion, le remède approprié est l’arrêt des procédures et non uniquement l’exclusion des expertises et de tous les documents à leur appui provenant de Pierre Fréchette et de Carl Garant.

[58] Pour obtenir réparation en vertu de l’article 24(1) de la Charte, le requérant doit démontrer que le manquement de l’intimée ou la violation de son droit à une défense pleine et entière a causé un préjudice :

1 - à sa capacité de produire une défense pleine et entière;

2 - à l’intégrité du système judiciaire.

[59] Pour justifier l’arrêt des procédures, la gravité de la violation des droits de l’accusé doit être hors de proportion avec " les intérêts communautaires et individuels à la détermination de la culpabilité ou de l’innocence ".

[60] Quant à la preuve d’une atteinte à sa capacité de produire une défense pleine et entière, l’accusé doit simplement prouver qu’il a perdu une possibilité réaliste de recueillir des éléments de preuve ou de prendre une décision relativement à sa défense.

[61] Dans R. c. Carosella, le juge Sopinka reprend avec approbation l’analyse d’un juge de la Cour d’appel d’Alberta quant au type de preuve qui doit être présentée pour établir le préjudice au droit à la défense pleine et entière :

« En toute déférence, un accusé n’a pas à s’acquitter de cet impossible fardeau de prouver l’existence d’un préjudice réel quant à la possibilité de présenter une défense pleine et entière. Ce qu’il doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, c’est qu’il a perdu une possibilité réaliste de recueillir des éléments de preuve ou de prendre des décisions au sujet de sa défense. Notre tribunal a jugé, dans l’arrêt R. c. Chaplin, 1993 ABCA 323 (CanLII), (1993) 20 C.R.R. (2d) 152, 55 W.A.C. 153, 14 Alta L.R. (3d) 282, (confirmé par 96 C.C.C. (3d) 225, 27 Alta L.R. (3d) 1, [1994] A.C.S. no. 89), que l’accusé n’a seulement qu’à établir une " possibilité raisonnable d’atteinte à son droit de présenter une défense pleine et entière". Dans les motifs dans lesquels elle confirmait cette conclusion et qui ont été publiés après la présentation des plaidoiries en l’espèce, la Cour suprême a approuvé de nouveau ce critère..»

[62] L’arrêt des procédures est une réparation extrême réservée aux cas les plus manifestes.

[63] L’arrêt des procédures est ordonné si deux conditions sont remplies :

1 - Le préjudice causé par l’abus en question sera révélé, perpétré ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue;

2 - Aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice.

[64] Dans R. c. O’Connor, la juge L’Heureux Dubé s’exprime ainsi :

« Lorsque, dans une procédure judiciaire, la vie, la liberté et la sécurité de la personne sont affectées et qu’il est prouvé, selon la balance des probabilités, que l’omission du ministère public de faire une divulgation suffisante à la défense a empêché l’accusé de présenter une défense pleine et entière, on aura établi une violation de l’article 7. Dans ces circonstances, la cour doit façonner une réparation convenable et juste, conformément au par. 24(1). Bien que, dans le cas d’une telle violation, la réparation soit typiquement une ordonnance de divulgation et un ajournement, il peut y avoir des cas extrêmes où le préjudice causé à la possibilité pour l’accusé de présenter une défense pleine et entière ou à l’intégrité du système judiciaire soit irréparable. Dans ces "cas le plus manifestes", l’arrêt des procédures sera approprié. »

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