dimanche 15 novembre 2015

Il n’y a pas nécessairement atteinte au droit à une défense pleine et entière garanti par la Charte, du seul fait qu’il y a eu violation du droit à la divulgation

R. c. Dixon, [1998] 1 RCS 244, 1998 CanLII 805 (CSC)


(1) L’obligation de divulguer du ministère public


Lorsqu’un accusé démontre l’existence d’une possibilité raisonnable que les renseignements non divulgués auraient été utilisés pour réfuter la preuve du ministère public, pour présenter un moyen de défense ou, par ailleurs, pour prendre une décision qui aurait pu avoir une incidence sur la façon de présenter la défense, il se trouve également à établir l’existence d’une atteinte au droit à la divulgation que lui garantit la Charte.  Le droit à la communication de tous les documents pertinents est large et vise les documents qui peuvent n’avoir qu’une importance secondaire par rapport aux questions fondamentales en litige.  Le ministère public peut donc omettre de divulguer des renseignements qui satisfont au critère préliminaire de l’arrêt Stinchcombe, mais qui ne pourraient absolument pas compromettre le bien‑fondé du résultat atteint ou l’équité globale du procès.  Une cour peut bien conclure à la violation du droit à la divulgation que la Charte garantit à un accusé, tout en refusant d’accorder un nouveau procès à titre de réparation si elle juge que le procès a été foncièrement équitable et qu’il n’y avait aucune possibilité raisonnable que le résultat au procès aurait été différent si la documentation non communiquée avait été produite.  Le droit à la divulgation complète n’est qu’une composante du droit à une défense pleine et entière.  Il n’y a pas nécessairement atteinte au droit à une défense pleine et entière garanti par la Charte, du seul fait qu’il y a eu violation du droit à la divulgation.

Le ministère public n’est pas tenu de produire ce qui n’a manifestement aucune pertinence.  En l’espèce, les deux premières déclarations ne contenaient aucun renseignement pertinent, et il n’y avait aucune possibilité raisonnable qu’elles aient été de quelque utilité à l’accusé au procès.  Les troisième et quatrième déclarations (celles de Tynes et de Daye, respectivement) satisfaisaient toutes les deux au critère préliminaire peu élevé fixé pour la divulgation et auraient dû être divulguées.

(2)               L’atteinte au droit à une défense pleine et entière et la réparation à accorder en vertu du par. 24(1) de la Charte


Pour déterminer s’il y a eu atteinte au droit à une défense pleine et entière, il faut entreprendre une analyse en deux étapes.  Premièrement, pour évaluer le bien‑fondé du résultat, il faut examiner les renseignements non divulgués pour déterminer l’incidence qu’ils auraient pu avoir sur la décision de rendre un verdict de culpabilité.  Si une cour d’appel est convaincue qu’il y a une possibilité raisonnable que les renseignements non divulgués influent, à première vue, sur le bien‑fondé de la déclaration de culpabilité, un nouveau procès devrait être ordonné.  Même si les renseignements non divulgués n’influent pas eux‑mêmes sur le bien‑fondé du résultat atteint au procès, l’incidence de la non‑divulgation sur l’équité globale du procès doit être prise en considération à la deuxième étape de l’analyse.  On le fera en évaluant, sous l’angle d’une possibilité raisonnable, les questions qui auraient pu être posées aux témoins ou les possibilités de recueillir d’autres éléments de preuve que la défense aurait pu avoir si les renseignements pertinents avaient été divulgués.

Pour examiner l’équité globale du procès, il faut tenir compte de la diligence dont l’avocat de la défense a fait preuve en tentant d’obtenir la divulgation par le ministère public.  Le manque de diligence raisonnable est un facteur important pour déterminer si la non‑divulgation par le ministère public a nui à l’équité du procès.  Lorsque l’avocat prend ou devrait prendre connaissance, à partir de documents pertinents produits par le ministère public, d’une omission de communiquer d’autres documents, il ne doit pas rester passif.  Il doit plutôt tenter diligemment d’en obtenir la communication.

La réponse à la question de savoir s’il y a lieu d’ordonner la tenue d’un nouveau procès pour le motif que l’omission de divulguer du ministère public a rendu le procès inéquitable comporte un processus d’évaluation et de pondération.  Si l’avocat de la défense savait ou aurait dû savoir, sur la foi d’autres renseignements divulgués, que le ministère public avait omis par inadvertance de divulguer de l’information, et qu’il n’a rien fait en raison d’une décision tactique ou d’un manque de diligence raisonnable, il serait difficile de retenir un argument selon lequel l’omission de divulguer a nui à l’équité du procès.


Il convient de bien pondérer tous ces facteurs.  Dans les cas où la pertinence de la preuve non divulguée est très élevée à première vue, la tenue d’un nouveau procès devrait être ordonnée pour ce motif seulement.  Dans ces circonstances, il ne sera pas nécessaire d’examiner l’incidence des possibilités perdues de recueillir d’autres éléments de preuve par suite de l’omission de divulguer.  Cependant, si la pertinence des renseignements non divulgués est relativement peu élevée, une cour d’appel devra déterminer si la défense a perdu des possibilités réalistes.  À cette fin, la diligence raisonnable ou le manque de diligence raisonnable dont l’avocat de la défense aura fait preuve en tentant d’obtenir la divulgation constituera un facteur très important à retenir pour décider d’ordonner ou non la tenue d’un nouveau procès.

En l’espèce, il incombait à l’accusé de démontrer (i) qu’il est raisonnablement possible que les déclarations non divulguées aient influé sur le bien‑fondé de sa déclaration de culpabilité en tant qu’auteur principal des voies de fait graves et de sa déclaration de culpabilité d’avoir aidé ou encouragé à perpétrer ces voies de fait, ou (ii) qu’il est raisonnablement possible que la non‑divulgation des déclarations ait nui à l’équité globale du procès.  Premièrement, l’accusé n’a pas prouvé que l’omission de divulguer les déclarations a influé sur chacune des autres conclusions mentionnées au par. 21(1) du Code, à savoir qu’il a donné des coups de pied à la victime ou l’a battue, qu’il a aidé à la battre ou qu’il a encouragé à le faire.  Deuxièmement, la non‑divulgation n’a pas nui à l’équité globale du procès.  Les troisième et quatrième déclarations (celles de Tynes et de Daye, respectivement) n’auraient eu, à première vue, aucune incidence sur le bien‑fondé de la déclaration de culpabilité.  L’omission de divulguer du ministère public n’a pas privé la défense de la possibilité de poser d’autres questions aux témoins ou de recueillir d’autres éléments de preuve découlant des documents non communiqués. Un facteur important qui a été pris en considération pour tirer cette conclusion est le manque de diligence raisonnable dont l’avocat de la défense a fait preuve en tentant d’obtenir la divulgation.


L’avocat de la défense n’a, en aucun temps, le droit de supposer que tous les renseignements pertinents ont été divulgués à la défense.  Tout comme l’obligation de divulguer du ministère public est constante, et continue d’exister durant tout le procès, il en est de même de l’obligation de l’avocat de la défense de faire preuve de diligence raisonnable en tentant d’obtenir la divulgation.  Si l’avocat de la défense ne fait rien lorsqu’il sait que des renseignements pertinents n’ont pas été divulgués, cela justifiera souvent, à tout le moins, une conclusion à un manque de diligence raisonnable et pourra, dans certains cas, justifier une déduction que l’avocat a pris une décision stratégique de ne pas tenter d’obtenir la divulgation.

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