R. c. Bélanger, 2002 CanLII 11175 (QC CS)
Lien vers la décision
[10] Le 2 août 2002, le requérant présentait la présente demande qui vise à l'obtention d'un procès séparé et à sa remise en liberté par voie judiciaire. Il allègue que son état de santé est devenu à ce point «pitoyable» qu'il ne peut plus, tant intellectuellement que physiquement, suivre son procès et supporter l'incarcération.
[14] Cela étant, la preuve de l'état de santé du requérant est non équivoque et n'a pas été contestée par la poursuite. Les trois rapports d'expertise déposés au dossier et le témoignage de la Dre Louise Clément sont convergents. M. Bélanger souffre d'une cirrhose causée par une infection à l'hépatite B, il est porteur du virus HIV, il est diabétique et souffre d'hypertension. Il a en sus subi deux infarctus. Le pronostic est très réservé, ce qui, en langage médical, signifie qu'il décédera à court terme. La Dre Clément a indiqué que le délai normal est de six mois, un an représentant un terme maximum. Elle a précisé que le requérant est parfaitement au courant de ce fait.
[15] La Dre Clément a expliqué que M. Bélanger a une maladie sévère du foie qui est en progression inexorable et pour laquelle la médecine ne peut plus rien. Elle a indiqué que son état se détériore, ayant pu constater ce fait lors des quatre rencontres qu'elle a eues avec lui depuis juin 2002. D'ailleurs, le soussigné a lui-même constaté une nette détérioration de l'apparence physique du requérant depuis qu'il est saisi du dossier.
[16] La Dre Clément a également expliqué que M. Bélanger développe de l'ascite qui fait enfler l'abdomen, lequel doit être ponctionné régulièrement, atteignant la dimension de celui d'une femme en fin de grossesse. Deux ponctions ont eu lieu dans la dernière quinzaine, deux litres de liquide étant retirés la première fois et quatre la seconde. Le renflement causé par la maladie a pour effet de comprimer le poumon et le muscle du poumon, causant un problème respiratoire. Par ailleurs, la dysfonction du foie cause un ralentissement psychomoteur qui peut affecter la conscience et les facultés cognitives et causer un état de fatigue. Le requérant souffre en sus de fonte musculaire et de cachexie, comme un patient en maladie terminale.
[17] La Dre Clément a résumé la situation en indiquant que M. Bélanger est dans un état quasi-grabataire. Durant l'argumentation, les parties ont reconnu que ce dernier ne pourrait vraisemblablement pas supporter plus qu'une heure d'audition par jour.
[22] Quant à la requête pour procès séparé, la Cour rappelle que le paragraphe 591(3) du Code précise qu'une ordonnance à cet effet doit être rendue si le juge est convaincu que «les intérêts de la justice l'exigent». Il faut donc déterminer si le requérant a satisfait son fardeau de preuve à cet égard. Le cas échéant, le soussigné devra statuer sur la demande de mise en liberté en se fondant sur la compétence que lui confère le paragraphe 522(1) et le sous-alinéa 523(2)c)(ii) du Code. Dans l'hypothèse contraire, sa compétence découlerait du sous-alinéa 523(2)c)(iii).
ANALYSE
[23] Eu égard à la demande de procès séparé, la Cour rappelle d'entrée de jeu que les personnes engagées dans une entreprise commune doivent normalement subir leur procès conjointement (R. c. Crawford, 1995 CanLII 138 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 858). Généralement, on a recours à cette procédure lorsqu'une preuve admissible contre un accusé ne l'est pas contre le requérant et que son utilisation pourrait lui causer un préjudice sérieux, ou lorsque celui-ci a besoin du témoignage de son présumé complice dans le cadre de sa défense (voir Pierre Béliveau et Martin Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénale, (9e éd.), Thémis, Montréal, 2002, par. 1763).
[24] La Cour n'a pu trouver de précédent jurisprudentiel relativement à une situation identique à la présente, alors qu'un des accusés ne peut se soumettre au rythme normal du procès. Cela étant, le soussigné n'a aucune hésitation à conclure qu'une ordonnance de procès séparé servirait «les intérêts de la justice». En effet, le présent procès durera environ neuf mois. Or, la preuve démontre clairement que l'état de santé de M. Bélanger l'empêcherait de participer au procès à un rythme normal, ne pouvant guère supporter plus d'une heure d'audition par jour (voir le paragraphe 17 des présentes). Rejeter la demande du requérant aurait en fait pour effet de quadrupler ou quintupler la durée des auditions, rendant la tenue du procès virtuellement impossible. D'ailleurs, la poursuite n'a pas véritablement contesté la requête. La Cour conclut donc que M. Bélanger doit subir son procès séparément des autres accusés.
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