mercredi 2 mars 2016

Divulgation tardive d'un rapport d’expertise

R. c. Tshiamala, 2013 QCCS 7021 (CanLII)

Lien vers la décision

[19]        Qu’en est-il de la divulgation du rapport d’expertise de madame Martine Bazinet,  qui a analysé cette preuve ? Le rapport, daté du 13 septembre 2013, a été divulgué à Me Couture trois jours plus tard.

[20]        Tel qu’indiqué, la défense ne soulève pas l’obtention des éléments de preuve en violation des droits ou libertés garantis par laCharte; par conséquent, l’article 24(2) ne s’applique pas; R. c. Harrer1995 CanLII 70 (CSC)[1995] 3 R.C.S. 562, par. 42.

[21]        La défense demande l’exclusion du rapport d’expertise selon l’article 24(1).

[22]         Avant d’avoir droit à une réparation selon l’article 24(1), la partie qui la demande - en l’espèce, l’accusé - doit prouver une violation de ses droits garantis par la Charte

[23]        L’article 7 de la Charte protège le droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière, un principe de justice fondamentale. La Couronne doit lui communiquer l’ensemble des renseignements pertinents et non privilégiés en temps opportun pour qu’il ait une occasion suffisante pour répondre à la preuve de la Couronne; R. c. Stinchcombe1991 CanLII 45 (CSC)[1991] 3 R.C.S. 326, pp. 345-346;  R. c. Carosella, 1997 CanLII 402 (CSC)[1997] 1 R.C.S. 80, par. 37; R. c. Horan2008 ONCA 589 (CanLII), par. 26.

[24]        Par contre, l’omission, par la Couronne, de divulguer tous les renseignements ne constitue pas, en soi, une violation de l’article 7.  Il se peut que les renseignements non divulgués ne compromettent pas  l’équité du procès; R. c. Bjelland,  2009 CSC 38 (CanLII)[2009] 2 R.C.S. 651, par. 21; R. c. Dixon1998 CanLII 805 (CSC)[1998] 1 R.C.S. 244, par. 23, 24.

[25]        Évidemment dans le présent cas, le prélèvement de substances corporelles et le rapport d’expertise qui suit, sont des preuves pertinentes.

[26]        L’accusé doit prouver, sur une prépondérance de probabilités que ses droits garantis par l’article 7 ont été violés ; R. c. Dixon, précité, par. 32; R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC)[1987] 1 R.C.S. 265, p. 277.

[27]        Nonobstant l’obligation de la Couronne de divulguer la preuve, la défense a un rôle à jouer également. La défense ne doit pas rester passive, surtout lorsqu’elle est déjà au courant de la nature d’une preuve que la Couronne n’a pas divulgué en temps opportun. La défense doit donc réclamer de manière diligente, à la Couronne, la divulgation en temps opportun. L’observation de cette règle permettrait au juge du procès, de remédier, si possible, à tout préjudice causé à l’accusé. Si l’avocat de la défense ne fait rien en raison d’une décision tactique ou d’un manque de diligence raisonnable, et ne tente pas d’obtenir la communication de cette preuve en temps opportun, il est difficile pour les tribunaux de retenir un argument selon lequel l’omission de divulguer ou la divulgation tardive nuit à l’équité du procès ou cause un préjudice;   R. c. Dixon, précité, par. 37, 38; R. c. Stinchcombe, précité, p. 341; R. c. Bramwell (1996), 1996 CanLII 352 (BC CA)106 C.C.C. (3d) 365 (C.A. C.B.), conf. par 1996 CanLII 156 (CSC)[1996] 3 R.C.S. 1126), p. 374.

[28]        Dans des cas où la divulgation tardive de la preuve viole l’article 7 et afin d’avoir droit à une réparation en vertu de l’article 24(1), l’accusé devra généralement faire la preuve « d’un préjudice véritable » quant à la possibilité pour lui de présenter une défense pleine et entière; R. c. O’Connor1995 CanLII 51 (CSC)[1995] 4 R.C.S. 411, par. 74;                        R. c. Bjelland, précité, par. 21; R. c. Carosella,précité, par. 37.

[29]         Le préjudice allégué doit être important et non pas insignifiant; R. c. Bjelland,  précité, par. 26.

[30]        L’article 7 de la Charte garantit le droit à un procès équitable; il ne donne pas à l’accusé le droit de bénéficier des procédures les plus favorables que l'on puisse imaginer; R. c. Lyons1987 CanLII 25 (CSC)[1987] 2 R.C.S. 309, par. 88. « Le procès équitable est celui qui répond à l’intérêt qu’a le public à connaître la vérité, tout en préservant l’équité fondamentale en matière de procédure pour l’accusé »; R. c. Harrer, précité, par. 45.

[31]        Le Tribunal doit se demander si le préjudice causé à l’accusé - s’il y en a un - peut être corrigé sans exclure les éléments de preuve et dénaturer ainsi la fonction de recherche de vérité des procès criminels; R. c. Bjelland, précité, par. 3.

[32]        En présence d’une violation de l’article 7 de la Charte, pour cause de divulgation tardive de la preuve, il faut s’assurer que le préjudice causé à l’accusé par l’utilisation de cette preuve ne rend pas le procès inéquitable ou mine autrement l’intégrité du système de justice. Ce n’est que lorsque le préjudice ne peut être remédié en ordonnant l’ajournement du procès que la réparation, plus draconienne, d’exclusion des éléments de preuve serait convenable et juste selon l’article 24(1); par exemple, si le procès d’un accusé qui est détenu subissait, pour cette raison, un délai déraisonnable; R. c. Bjelland, précité, par. 3, 19, 26, 27; R. c. Horan, précité, par. 31.

[33]        En ce qui concerne le remède d’exclusion d’éléments de preuve divulgué tardivement, la Cour suprême, dans R. c. Bjelland, précité, par. 24, a dit :
Ainsi, un juge de première instance ne devrait écarter des éléments de preuve communiqués tardivement que dans des cas exceptionnels : a) lorsque la communication tardive rend le procès inéquitable et qu’il ne peut être remédié à cette iniquité grâce à un ajournement et à une ordonnance de communication ou b) lorsque l’exclusion est nécessaire pour maintenir l’intégrité du système de justice.  Puisque l’exclusion d’éléments de preuve a une incidence sur l’équité du procès du point de vue de la société, dans la mesure où elle entrave la fonction de recherche de la vérité du procès, lorsque le juge du procès peut concevoir une réparation convenable — pour pallier la communication tardive — qui ne prive pas l’accusé de l’équité procédurale et lorsque l’utilisation des éléments de preuve ne porte par (sic) autrement atteinte à l’intégrité du système de justice, il ne sera ni convenable ni juste de les exclure en application du par. 24(1).
voir aussi, Giroux c. R., 2007 QCCA 1443 (CanLII), par. 43-68; Bernier c. R., 2007 QCCA 1061 (CanLII), par. 44-59; R. c. Spackman2012 ONCA 905 (CanLII) ; R. c. Tomlinson[2008] O.J. No. 817 (C.S.).

[34]        Dans sa requête, Tshiamala allègue :
                     que le rapport d’expertise ferait en sorte que la Couronne « serait en                                     meilleure position qu’elle ne l’était au premier procès »;
                     que l’admission en preuve dudit rapport « sans contre-expertise, romprait l’équité du procès »;
                     que « la confection d’une contre-expertise dans un domaine hautement technique, causerait d’importants délais dans un second procès qui en compte déjà beaucoup ».

[35]        Le Tribunal souligne que le procès devant le jury n’a pas encore débuté. Le rapport d’expertise, communiqué tardivement selon la défense (le 13 septembre 2013), peut toujours être examiné avant l’ouverture du procès devant jury. Est-ce que Tshiamala a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que cette divulgation tardive porterait atteinte à son droit à une défense pleine et entière ?

[44]        Le système de justice criminelle est de nature accusatoire et donc, sujet à la contestation. Pour que le système fonctionne efficacement et équitablement, l’avocat de la défense doit faire preuve de diligence raisonnable en réclamant activement la divulgation par la Couronne. 

[45]        En examinant l’équité globale du procès, il faut tenir compte de la diligence dont l’avocat de l’accusé, en tant qu’officier de justice, a fait preuve en tentant d’obtenir la divulgation en temps opportun et en posant les gestes nécessaires, s‘il y a lieu, après l’avoir reçue. Le manque de diligence raisonnable est un facteur important pour déterminer si la divulgation tardive nuit à l’équité du procès; R. c. Dixon, précité, par. 37.

[46]        Le Tribunal souligne qu’aucune inconduite ne peut être attribuée à la Couronne relativement aux questions en litige en l'espèce.

[47]        La preuve contestée est hautement pertinente et par ailleurs admissible, et ne doit pas être exclue selon les règles de la common lawR. c. Harrer, précité, par. 21, 23, 41, 42.

[48]        Dans les circonstances actuelles, il serait exagéré de suggérer que l’article 7 a été violé, qu’un préjudice a été causé à l’accusé et donc, que le rapport d’expertise de l’experte de la Couronne doit être exclu de la preuve au procès.

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