jeudi 7 avril 2016

L'appréciation de l'état de santé du requérant demandant un procès séparé pour ce motif

Gagné c. R., 2014 QCCA 357 (CanLII)


[2]           Il reproche d’abord au juge qui présidait le procès d’avoir rejeté sa requête visant à obtenir la tenue d’un procès séparé tel que prévu au paragraphe 591(3) C.cr..
[3]           Selon cette disposition, une ordonnance de procès séparé doit être prononcée si le juge est convaincu que « les intérêts de la justice » le requièrent. En principe, les personnes engagées dans une entreprise commune doivent normalement subir leur procès de façon conjointe. La charge de démontrer au tribunal, selon la prépondérance des probabilités, que les intérêts de la justice requièrent des procès séparés repose sur les épaules du requérant. La décision relève du pouvoir discrétionnaire du juge du procès et la Cour d’appel ne devrait intervenir que si l’exercice de cette discrétion s’avère injuste pour l’accusé.
[4]           L’appelant plaide que le juge aurait dû ordonner qu’il subisse un procès séparé à cause de son état de santé. Selon son témoignage, en juin 2009, il a eu un accident de moto qui l’a laissé invalide et lui a occasionné des séquelles importantes, notamment des troubles de mémoire, de concentration et de prise de décision. De plus, des douleurs physiques l’obligent à prendre une importante médication. Il a demandé à avoir un procès séparé qui, selon lui, serait beaucoup moins long. Il a de la difficulté à rester assis toute la journée et il doit retourner chez lui tous les midis pour se reposer. On doit lui expliquer ce qui s’est dit au procès et il ne comprend pas toujours le sens des mots. Il ne se rappelle pas le lendemain ce qui s’est dit la veille au procès.
[5]           Après avoir entendu l’appelant, un expert psychiatre et son médecin omnipraticien traitant, le juge de première instance a rejeté la requête de l’appelant.
[6]           La Cour est d’avis que le juge de première instance a bien exercé son pouvoir discrétionnaire. Son jugement rejetant la requête de l’appelant trouve solidement appui dans la preuve administrée devant lui, notamment sur les éléments suivants :
        en 2006, à la demande de la SAAQ, l’appelant a subi un examen neuropsychologique afin d’évaluer les séquelles de son accident ainsi que du traumatisme crânien et de la commotion cérébrale en résultant;
        les conclusions de cette évaluation indiquent que les problèmes de l’appelant ne sont pas d’origine neurologique, mais résultent des séquelles de sa commotion cérébrale;
        selon cette évaluation, des déficits sont observés chez l’appelant relativement à l’attention, la mémoire de travail, les fonctions exécutives dites frontales, la vitesse de traitement d’une information, l’encodage de mémoire et l’apprentissage;
        toujours selon cette évaluation, les capacités intellectuelles de l’appelant se situent dans la moyenne inférieure de son groupe d’âge;
        lors de son témoignage au moment de l’audience tenue sur la requête de l’appelant en avril 2011, son médecin omnipraticien déclare, qu’en ce qui concerne l’encodage et l’encryptage, la situation de l’appelant est similaire ou « peut-être même détériorée » par rapport à celle évaluée en 2006, ce qui nécessite une nouvelle évaluation demandée par le médecin;
        l’appelant est porteur du VIH, mais il n’est pas atteint de la maladie qui ne s’est pas développée. Il refuse la trithérapie qui lui a été proposée à cause des effets secondaires;
        selon le témoignage du psychiatre qui a traité l’appelant pour symptomatologie dépressive, ce dernier n’est plus tout à fait le même depuis son accident. Il est plus irritable, plus impatient, plus hostile et se plaint souvent de maux de tête;
        le psychiatre déclare que l’appelant est capable de répondre aux questions pour l’instant, mais à un certain moment, la fatigue mentale va s’installer et c’est alors que sa concentration et son attention vont diminuer;
        l’expert en psychiatrie est toutefois incapable de dire « combien de temps qu’il peut tenir »;
        toujours selon le psychiatre, l’appelant a un type de personnalité narcissique qui fait qu’il a sa pensée à lui dans laquelle il chemine. Son humeur a changé depuis son accident, il a aussi une atteinte à son image ce qui fait qu’il s’isole encore plus;
        le psychiatre pense que le mieux pour l’appelant serait de diminuer son stress, « […] ce qui ne veut pas dire que monsieur devrait être soustrait de ses responsabilités »;
        en quelques semaines, l’appelant a perdu son frère, de qui il était très près, sa sœur et une jeune nièce;
        en contre-interrogatoire, l’appelant répond adéquatement aux questions de l’avocate de la poursuite qui lui fait la remarque qu’il semble se souvenir de ce qui se passe. L’appelant lui signale qu’elle essaie de la faire passer pour quelqu’un qui a une bonne mémoire et qu’elle tente de le piéger;
        selon ses propres dires, l’appelant conduit encore sa moto même s’il fait maintenant moins de 1 000 kilomètres par année;
        selon lui, son état de santé est resté stationnaire depuis 2004;
        l’appelant estime que s’il avait un procès séparé, il ne durerait que deux à trois semaines alors que l’avocate de la poursuite prévoit un procès de deux mois et demi;
        un procès plus court lui permettrait de s’occuper de sa santé.
[7]           Dans un jugement de 2002, que l’appelant a d’ailleurs invoqué devant le juge de première instance, le juge Béliveau de la Cour supérieure a reconnu que l’état de santé précaire d’un des prévenus l’empêchant de suivre les débats au rythme normal pouvait justifier une ordonnance de procès séparé.
[8]           Dans cette affaire cependant, le requérant souffrait d’une cirrhose du foie causée par une infection à l’hépatite B en plus d’être porteur du VIH. Il était par ailleurs diabétique, souffrait d’hypertension et avait subi deux infarctus. Il avait  été clairement informé qu’il allait décéder à court terme, dans un délai normal de six mois et d’un an au maximum. Il était quasi grabataire et ne pourrait vraisemblablement supporter plus d’une heure d’audience par jour. On est loin de la situation de l’appelant qui est encore capable de conduire un véhicule et même de faire de la moto.  

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