R. c. Hydrobec (9031-7579 Québec inc.), 2017 QCCQ 10710 (CanLII)
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[164] Malgré une recherche exhaustive, tant au niveau de la jurisprudence que de la doctrine, le Tribunal n’a pas recensé de cas où une personne morale a participé à une infraction conformément à l’alinéa 21(1)b) C.cr.
[165] La Cour d’appel de l’Alberta détermine cependant qu’une entreprise peut avoir la mens rea nécessaire pour engager sa responsabilité criminelle dans le cadre d’accusation où elle est un participant à l’infraction :
I find it difficult to see why a corporation which can enter into binding agreements with individuals and others corporations cannot be said to entertain mens rea when it enters into an agreement which is the gist of conspiracy, and if by its corporate act it can make a false pretence involving it in liability to pay damages for deceit why it cannot be said to have the capacity to make a representation involving criminal responsibility.
[166] Tout comme le souligne la Cour suprême, la théorie de l’identification s’applique lorsque la compagnie bénéficie ou est censée bénéficier des activités criminelles de son âme dirigeante :
[73] Ni la notion de la responsabilité du fait d'autrui, ni la théorie de l'identification ni aucune autre doctrine ne permet de rationaliser complètement la responsabilité criminelle d'une compagnie. À la différence des personnes physiques, une compagnie n'a pas d'esprit et ne peut donc avoir ce qui est appelé en droit criminel la mens rea. Pour les infractions exigeant la mens rea, le droit criminel ne considère pas le propriétaire employeur comme responsable des actes illégaux de ses employés, à moins qu'il n'y ait eu autorisation expresse ou implicite. […] Le droit canadien dans ce domaine a évolué en commençant, répétons-le, par l'arrêt Fane Robinson Ltd., précité, et en passant par l'arrêt St. Lawrence, précité, mais les tribunaux canadiens n'ont pas encore eu à fixer de limites à la théorie de l'identification. Il reste néanmoins que, appliquée pour déclarer une compagnie coupable en droit criminel de la conduite de son directeur lorsque celui-ci agit non pas en sa qualité d'âme dirigeante mais plutôt comme son ennemi juré, la théorie de l'identification n'a plus de fondement rationnel. […] Selon moi, les origines très pragmatiques de la règle de l'identification militent contre son extension de façon qu'elle s'applique à la situation qui se serait présentée en l'espèce si l'une ou plusieurs des âmes dirigeantes avaient agi entièrement dans son propre intérêt et avait visé principalement à frauder la compagnie qui était son employeur. Lorsque la compagnie en question a bénéficié ou était censée bénéficier des activités frauduleuses et criminelles de son âme dirigeante, l'application de la règle de l'identification est justifiée. Cependant, dans un cas où le mandataire s'est retourné contre la compagnie mandante, la règle n'a plus de raison d'être. [Caractères gras ajoutés]
22.2 S’agissant d’une infraction dont la poursuite exige la preuve d’un élément moral autre que la négligence, toute organisation est considérée comme y ayant participé lorsque, avec l’intention, même partielle, de lui en faire tirer parti, l’un de ses cadres supérieurs, selon le cas :
a) participe à l’infraction dans le cadre de ses attributions;
b) étant dans l’état d’esprit requis par la définition de l’infraction, fait en sorte, dans le cadre de ses attributions, qu’un agent de l’organisation accomplisse le fait — action ou omission — constituant l’élément matériel de l’infraction;
c) sachant qu’un tel agent participe à l’infraction, ou est sur le point d’y participer, omet de prendre les mesures voulues pour l’en empêcher.
2. organisation Selon le cas :
a) corps constitué, personne morale, société, compagnie, société de personnes, entreprise, syndicat professionnel ou municipalité;
b) association de personnes qui, à la fois :
(i) est formée en vue d’atteindre un but commun,
(ii) est dotée d’une structure organisationnelle,
(iii) se présente au public comme une association de personnes. (organization)
[169] Dans un jugement de la Cour du Québec, le juge Conrad Chapdeleine traite de l’article 22.2 C.cr. dans le cadre d’une poursuite intentée envers une compagnie pour des infractions à la Loi sur la concurrence. Il énumère les divers motifs ne permettant pas d’exclure la responsabilité d’une organisation, telle que définie par le Code criminel :
[79] La lecture de l'article 22.2 permet les constats suivants. Il peut exister plusieurs cadres supérieurs au sein d'une même organisation. Un cadre supérieur peut être associé à une sphère d'activité ou à un territoire précis, tout comme le voulait la théorie de l'identification. Cet article indique que l'on doit, afin de déterminer si un employé est un cadre supérieur, considérer les fonctions qu'il exerce et les responsabilités qui lui incombent dans le champ d'activités qui lui a été délégué. Il découle de cela que la notion de cadre supérieur n'inclut pas seulement les hauts dirigeants et le conseil d'administration d'une compagnie.
[80] De même, l'article 22.2 ne permet pas d'exclure la responsabilité d'une organisation aux motifs que :
- l'acte criminel visé n'a pas été expressément ordonné par un cadre supérieur ou un agent;
- il n'y a pas eu autorisation expresse d'autorité au cadre supérieur ou à l'agent ayant commis l'infraction;
- le conseil d'administration ou les membres de la direction ou de l'organisation n'étaient pas au courant des activités en cause;
- des instructions expresses ou implicites interdisant les actes illégaux précis ou toute conduite en général aient été données;
- le cadre supérieur ait agi, en partie, frauduleusement envers l'organisation;
- le cadre supérieur ait agi, en partie, pour son propre avantage.
[81] De plus, cet article permet également de conserver le moyen de défense reconnu par la Cour suprême dans l'affaire Canadian Dredge et d'exclure la responsabilité pénale d'une organisation lorsque le cadre supérieur fautif a agi entièrement dans son propre intérêt.
[170] Finalement, la responsabilité criminelle d’une personne morale est limitée aux actes posés par une âme dirigeante qui ne sont pas entièrement frauduleux à l’égard de la personne morale :
Les limites quant à la responsabilité criminelle qu’assume une personne morale par l’acte d’une âme dirigeante reposent sur le fait que l’acte criminel est ou non entièrement frauduleux à l’endroit de la personne morale. En partant du principe qu’une personne, si malhonnête soit-elle, ne peut se frauder elle-même, il faut dissocier l’acte criminel d’une personne quand cet acte criminel est contraire aux intérêts de la personne morale et vise sa destruction: le représentant ne peut plus, dans ce cas, être considéré comme agissant en qualité d’âme dirigeante.
[171] En l’espèce, la preuve révèle que l’accusé Dany Belley est administrateur et agit comme âme dirigeante des compagnies Hydrobec et Hydro Rive Sud. D’ailleurs, lors de son témoignage, il l’admet.
[172] Le Tribunal a déjà conclu que la poursuite a prouvé, hors de tout doute raisonnable, que ce dernier a aidé, conformément à l’alinéa 21(1)b) C.cr., les producteurs de cannabis à commettre l’infraction prévue à l’alinéa 7(1)(2)b) de la LRDS. Comme l’acte criminel commis par l’accusé Belley n’est pas contraire aux intérêts des compagnies Hydrobec et Hydro Rive Sud, puisqu’il ne vise pas leur destruction, il en découle que ces deux personnes morales engagent leur responsabilité criminelle.
*** Attention, cette décision est portée en appel devant CAQ ***