lundi 1 juillet 2024

Il est possible d’inférer hors de tout doute raisonnable l’heure de la conduite par une preuve circonstancielle, sans nécessairement que le poursuivant établisse l’heure précise de la conduite

Jérôme c. R., 2023 QCCS 2018 

Lien vers la décision


[10]        Le Tribunal constate que l’honorable Alexandre Boucher, j.c.s., était confronté à un argument semblable dans la décision Bakalis c. R.[5] dans laquelle il a décidé qu’il était possible d’inférer hors de tout doute raisonnable l’heure de la conduite par une preuve circonstancielle, sans nécessairement que le poursuivant établisse l’heure précise de la conduite.

[11]        Voici l’extrait dans lequel le juge Boucher rappelle ce principe de même que les règles applicables en présence d’une preuve circonstancielle pour conclure à une preuve hors de tout doute raisonnable :

A – La preuve circonstancielle

[17]   Le juge du procès ne commet aucune erreur révisable en concluant dans son jugement, rendu séance tenante, que la preuve circonstancielle présentée par la Couronne établit hors de tout doute raisonnable que M. Bakalis était le conducteur du véhicule accidenté et que les mesures éthylométriques égalaient ou dépassaient la limite légale dans les deux heures de la cessation de la conduite.

[18]   Pour prouver l’infraction énoncée à l’al. 320.14 (1) b) du Code criminel, la Couronne doit, bien évidemment, prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a conduit un véhicule. Elle doit aussi prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a eu, dans les deux heures suivant le moment où il a cessé de conduire, une alcoolémie égale ou supérieure à la limite prescrite par la loi. Il s’agit de la substance même de l’infraction.

[19]   En matière de preuve circonstancielle, l’arrêt R. c. Villaroman2016 CSC 33 de la Cour suprême du Canada enseigne que l’analyse consiste à examiner les inférences raisonnables pouvant être tirées de la preuve circonstancielle pour déterminer si ces inférences établissent la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. L’examen doit être fondé sur la logique et le bon sens. Ainsi, il importe de se mettre en garde contre le risque de combler les vides ou de sauter trop rapidement aux conclusions. De même, il faut se demander si la preuve circonstancielle supporte d’autres thèses ou possibilités raisonnables que la culpabilité, car un doute raisonnable peut émaner d’une inférence raisonnable incompatible avec la culpabilité. Cependant, une telle inférence disculpatoire doit être raisonnable, c’est-à-dire logiquement fondée sur la preuve ou sur une lacune dans la preuve. Les conjectures et hypothèses imaginaires ne peuvent pas susciter un doute raisonnable (voir aussi R. c. Mayuran2012 CSC 31, para. 38R. c. Griffin2009 CSC 28, para. 33R. c. Cooper1977 CanLII 11 (CSC)[1978] 1 RCS 860, p. 881; Sheikh c. R., 2020 QCCA 1266, para. 37, motifs dissidents approuvés à 2021 CSC 13; McClelland c. R., 2020 QCCA 324, para. 64-68Proulx c. R., 2016 QCCA 1425, para. 78-80R. c. Robinson2017 BCCA 6, para. 20-30).

[20]   M. Bakalis plaide que la preuve circonstancielle présentée au procès était insuffisante. Il soutient que le fait que la preuve n’a pas révélé qu’il était en possession des clés du véhicule au moment de son interpellation. Aussi, il reproche au juge d’avoir fait montre d’incohérence en affirmant, d’une part, que le conducteur ne pouvait être personne d’autre que M. Bakalis considérant la faible densité de la circulation à cette heure matinale et, d’autre part, qu’il n’a pas pu s’écouler une longue période avant que l’accident soit signalé par un automobiliste passant par là. Par ailleurs, il est acquis que l’appel à la police constituait du ouï‑dire et ne prouvait ni l’accident ni le moment de celle-ci.

[21]   Il demeure que la situation de M. Bakalis, telle que décrite par la policière ayant témoigné, permettait amplement au juge du procès d’inférer hors de tout doute raisonnable que M. Bakalis était le conducteur du véhicule. Ensuite, cette preuve, bien qu’elle n’établissait pas l’heure précise de l’accident, permettait au juge d’inférer hors de tout doute raisonnable que cet accident était récent. La preuve du délai de deux heures pouvait être faite sans prouver exactement le moment de la cessation de la conduite. Au passage, mentionnons que le para. 320.31 (4) du Code criminel prévoit que l’alcoolémie dans ce délai peut être déterminée au moyen d’un rétrocalcul. Rappelons que M. Bakalis a été trouvé au petit matin, au milieu d’une autoroute, à Laval, à côté d’un véhicule accidenté enregistré à son adresse de résidence. Tout scénario disculpatoire relève de la spéculation ou de l’hypothèse imaginaire.

[22]   Les conclusions du juge du procès eu égard à la preuve circonstancielle sont raisonnables et doivent être considérées avec déférence en appel (Domond c. R., 2021 QCCA 412, para. 38-40Bélanger c. R., 2020 QCCA 431, para. 41-45Dubourg c. R., 2018 QCCA 1999, para. 17-22).[6]

[Soulignement du Tribunal]

[12]        Le Tribunal est d’accord avec les principes énoncés dans cette dernière décision et l’application qu’en fait le juge Boucher.

[13]        Le Tribunal conclut qu’il est possible d’établir qu’un accusé a eu une alcoolémie supérieure à la limite légale dans les deux heures suivant le moment où il a cessé de conduire, sans nécessairement connaître le moment précis de cette cessation de conduite.

[14]        L’infraction prévue à l’al. 320.14(1)b) C.crinterdit le fait d’avoir une alcoolémie supérieure à la limite légale « dans les deux heures suivant le moment où [l’accusé] a cessé de conduire », contrairement à l’ancienne disposition qui interdisait seulement la conduite d’un véhicule à moteur avec une alcoolémie supérieure à la limite légale.

[15]        De plus, le Tribunal partage l’interprétation du juge d’instance relativement aux principes juridiques applicables aux nouvelles dispositions du Code criminel et considère son analyse sans faille[7].

[16]        Le Tribunal, à l’instar du juge d’instance, est d’avis que, selon le droit actuel, il n’est pas nécessaire que le poursuivant démontre, aux fins de l’al. 320.14(1)b) C.cr., qu’un accusé a conduit son véhicule à une heure précise ou qu’il a cessé de le conduire à une heure précise. La preuve doit simplement établir hors de tout doute raisonnable qu’il avait une alcoolémie supérieure à la limite légale dans les deux heures suivant le moment où il a cessé de conduire son véhicule.

[17]        Le juge d’instance retient de la preuve le témoignage de l’agent Lavoie selon lequel ce dernier a emprunté le chemin une heure plus tôt, soit vers 2 h 31, et qu’aucun véhicule ne se trouvait dans le fossé. Par ailleurs, le juge d’instance considère que ce témoignage n’a pas été érodé ou contredit par le contre-interrogatoire.

[18]        Les faits diffèrent grandement de la décision de la Cour du Québec dans l’affaire R. c. Gagné[8], sur laquelle insiste l’appelant. Dans cette affaire, les policiers avaient témoigné qu’il était possible qu’ils soient passés sur les lieux dix à quinze minutes avant l’appel sans apercevoir le véhicule dans le fossé. De surcroît, cette décision a été rendue avant la décision de la Cour supérieure dans l’affaire Bakalis c. R.[9].

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