jeudi 19 septembre 2024

Revue du droit quant à l'infraction de fraude

R. c. Robitaille, 2023 QCCQ 10185 

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[97]        L’infraction de fraude est définie à l’article 380(1) du Code criminel :

380 (1) Quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne, déterminée ou non, de quelque bien, service, argent ou valeur :

a) est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, si l’objet de l’infraction est un titre testamentaire ou si la valeur de l’objet de l’infraction dépasse cinq mille dollars;

b) est coupable :

(i) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans,

(ii) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, si la valeur de l’objet de l’infraction ne dépasse pas cinq mille dollars.

[98]        Les éléments essentiels de l'actus reus de l'infraction de fraude sont la malhonnêteté et la privation. Dans l'arrêt R. c. Thérouxla Cour suprême a décrit l'élément actus reus de l'infraction dans les termes suivants :

Étant donné que la mens rea d'une infraction est liée à son actus reus, il est utile d'entamer l'analyse par l'étude de l'actus reus de l'infraction de fraude.  Au sujet de l'actus reus de cette infraction, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a énoncé les principes suivants dans l'arrêt Olan :

(i)        l'infraction compte deux éléments: l’acte malhonnête et une privation;

(ii)      l'acte malhonnête est établi par la preuve d'une supercherie, d'un mensonge ou d'un «autre moyen dolosif»;

(iii)       l'élément de privation est établi si l'on prouve qu'en raison de l'acte malhonnête, les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu'il y a risque de préjudice à leur égard.[32]

[99]        La preuve de la supercherie ou du mensonge suffit à établir l'actus reus de la fraude; aucune autre preuve d'un acte malhonnête n'est requise[33]. Toutefois, la troisième catégorie de l'« autre moyen dolosif » a servi à justifier des déclarations de culpabilité dans un certain nombre de situations où il est impossible de démontrer l'existence d'une supercherie ou d'un mensonge[34]. Ces situations, écrit la Cour dans l’arrêt Zlatic « incluent à ce jour, l'utilisation des ressources financières d'une compagnie à des fins personnelles, la dissimulation de faits importants, l'exploitation de la faiblesse d'autrui, le détournement de fonds et l'usurpation de fonds ou de biens : »[35].

[100]     La malhonnêteté, dans le contexte du troisième volet de l’article 380, est évaluée selon un critère objectif : est‑ce que l’acte ou l’omission constitue un comportement que des personnes raisonnablement honnêtes considéreraient comme malhonnête et sans scrupules?

[…] lorsqu'on allègue que l'actus reus d'une fraude particulière est un «autre moyen dolosif», l'existence d'un tel moyen sera déterminée en fonction de ce qu'une personne raisonnable considère comme une activité malhonnête.  Dans les cas de fraude par supercherie ou mensonge, il ne sera pas nécessaire d'entreprendre une telle analyse :  il suffit de déterminer si l'accusé a effectivement déclaré qu'une situation était d'une certaine nature alors qu'en réalité elle ne l'était pas.[36]

[soulignement ajouté]

[101]     Dans l’affaire R. v. Lacombe (1990), 60 C.C.R. (3d) 489 (Que. C.A.)le juge Fish, alors qu’il était à la Cour d’appel du Québec, a écrit que :

It may well be, as I believe Mill once said, that one on the side of right is an ethical majority.  On a charge of fraud, however, honesty is a function of community standards and not of personal taste;… »[37]

[soulignement ajouté]

[102]     La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, dans l’affaire R. v. Gatley, 1992 CanLII 1088 (BC C.A.), après avoir cité avec approbation les propos du juge Fish dans Lacombe, ajoute les commentaires suivants :

[…]  it would be important to instruct the jury that they should determine honesty or dishonesty not necessarily in accordance with their own personal views, but rather in the way they believe the community would consider that difficult question.  In this way the accused is assured that his conduct will be judged impartially, and without regard to the private, and possibly personal views of the jury.

[103]     Bref, la non‑divulgation de certains faits importants peut constituer de la malhonnêteté pour l’application de l’article 380 C.cr. Tout dépend de la question de savoir si des personnes raisonnables considéreraient qu’il s’agit d’une opération malhonnête dans les circonstances[38].

[104]     Sur la question de la privation, il y a lieu de noter que la perte économique n'est pas essentielle au délit de fraude. La mise en péril d'un intérêt économique est suffisante même si aucune perte réelle n'a été subie. Ce point a été souligné notamment par l’arrêt de principe rendu par la Cour suprême dans Olan[39] :

On établit la privation si l’on prouve que les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu’il y a risque de préjudice à leur égard. Il n’est pas essentiel que la fraude mène à une perte pécuniaire réelle. L’extrait suivant, tiré de l’arrêt de la Cour d’appel d’Angleterre, R. v. Allsop[, décrit bien, à mon avis, l’état du droit sur le rôle de la perte pécuniaire dans la fraude (aux pp. 31 et 32) :

[TRADUCTION] En général, un fraudeur veut avant tout se procurer un avantage. Le tort causé à sa victime est secondaire et incident. Il n’est « intentionnel » que parce qu’il fait partie du résultat prévu de la fraude. Si la supercherie met en péril les intérêts pécuniaires de la personne induite en erreur, cela suffit pour constituer une fraude, même s’il n’en résulte aucune perte réelle et même si le fraudeur n’a pas eu l’intention de causer une perte réelle.[40]

[référence omise]

[105]     Il faut quand même établir un lien de causalité entre l’acte ou l’omission fautifs et le préjudice ou risque de préjudice subi par la victime. Comme l’explique la Cour suprême dans R. v. Riesberry[41] :

[22]         Je ne puis accepter cet argument. Contrairement à ce que prétend M. Riesberry, il n’est pas toujours nécessaire, pour prouver la fraude, de démontrer que la présumée victime s’est fondée sur la conduite frauduleuse ou qu’elle a été incitée en raison de celle‑ci à agir à son détriment. Il faut, dans tous les cas, démontrer l’existence d’un lien de causalité suffisant entre l’acte frauduleux et le risque de privation de la victime. Dans certains cas, ce lien de causalité peut être établi en démontrant que la victime de la fraude a agi à son détriment parce qu’elle s’est fiée au comportement frauduleux de l’accusé ou que ce comportement l’a incitée à agir. Mais ce n’est pas la seule façon d’établir le lien de causalité.

[…]

[24]         Il s’ensuit que lorsque l’acte que l’on dit frauduleux ne s’apparente pas à la supercherie ou au mensonge, comme dans le cas d’une fausse indication sur les faits, la démonstration de l’existence du lien de causalité entre le comportement malhonnête et la privation ne dépend pas nécessairement de la preuve que la victime s’est fondée sur l’acte frauduleux ou que cet acte frauduleux l’a incitée à agir. 

[soulignements ajoutés]

[106]     Quant à la mens rea de la fraude, la question a été abordée comme suit dans Théroux, à la page 19 :

La conséquence prohibée consiste à priver quelqu'un de ce qui est ou devrait être sien, ce qui peut, comme nous l'avons vu, consister simplement à mettre le bien d'autrui en péril.  La mens rea serait alors la conscience subjective que l'on commettait un acte prohibé (la supercherie, le mensonge ou un autre acte malhonnête) qui pouvait causer une privation au sens de priver autrui d'un bien ou de mettre ce bien en péril.  Une fois cela démontré, le crime est complet.

[soulignement ajouté]

[107]     Dans R. c. Zlatic, une décision rendue simultanément à celle de Théroux, la Cour a formulé l'exigence de mens rea de la fraude comme suit à la page 49 :

Il doit sciemment, c'est‑à‑dire subjectivement, adopter la conduite qui constitue l'acte malhonnête, et il doit comprendre subjectivement que cette conduite peut entraîner une privation au sens de faire perdre à une autre personne l'intérêt pécuniaire qu'elle a dans un certain bien ou de mettre en péril cet intérêt.

[108]     L’analyse n'a rien à voir avec l'échelle des valeurs de l'accusé. Toute affirmation de l'accusé selon laquelle ses motifs étaient purs et qu'il n'a rien fait de mal n'est pas pertinente pour une accusation de fraude. Comme la Cour l'a expliqué dans l'arrêt Théroux aux pages 23 et 24 :

La personne qui prive une autre personne de ce qu'elle possède ne devrait pas échapper à la responsabilité criminelle simplement parce que, selon son code moral ou personnel, elle ne faisait rien de mal ou parce qu'en raison de son optimisme elle croyait que tout se terminerait bien.  De nombreuses fraudes sont commises par des personnes qui croient qu'elles ne font rien de mal ou qui croient sincèrement que le fait de mettre en péril le bien d'autrui ne causera finalement aucune perte véritable.  Si l'infraction de fraude vise à mettre la main au collet des véritables fraudeurs, sa mens rea ne peut être formulée aussi étroitement. 

Ce que la vulnérabilité de la victime signifie au point de vue juridique

Lemieux c. R., 2023 QCCA 480

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[62]      Dans leur Traité de droit criminel, tome III, « La peine », 3e éd., Montréal, Thémis, 2020, p. 210, les auteurs Parent et Desrosiers retiennent que :

[…] la vulnérabilité de la victime désigne, au point de vue juridique, l’état ou la position d’une personne qui, en raison de sa condition « physique », « mentale », « factuelle », « professionnelle » ou « sociale » est plus susceptible d’être blessée, attaquée ou exploitée. […]

mercredi 18 septembre 2024

La défense de croyance sincère mais erronée au consentement communiqué en matière d'agression sexuelle

R. v. H.W., 2022 ONCA 15

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[47]      “[T]he common law recognizes a defence of mistake of fact which removes culpability for those who honestly but mistakenly believed that they had consent to touch the complainant”: Ewanchuk, at para. 42. The defence is a “negation of guilty intention”, rather than an affirmative defence – it is a “denial of mens rea”: Ewanchuk, at paras. 43-44.

[48]      The defence requires that the accused had “an honest but mistaken belief that the complainant actually communicated consent, whether by words or conduct”: Barton, at para. 91 (emphasis in original). From a practical standpoint, the principal relevant considerations are the complainant’s behaviour which is said to have involved communication and the “admissible and relevant evidence explaining how the accused perceived that behaviour to communicate consent”: R. v. Park1995 CanLII 104 (SCC)[1995] 2 S.C.R. 836, at para. 44 (emphasis in original)Barton, at para. 91.

[49]      The defence is limited both by the common law and by provisions of the Code that tightly restrict “the range of mistaken beliefs an accused may lawfully hold about the complainant’s consent”: G.F., at para. 1; J.A., at para. 24. As a result, “[n]ot all beliefs upon which an accused might rely will exculpate him”: Ewanchuk, at para. 50.

[50]      For example, mistakes as to what amounts in law to consent – for example, a mistaken belief that “no”, or silence, or lack of resistance, meant “yes” – do not engage the defence: Barton, at paras. 98-100.

[51]      Moreover, s. 273.2 of the Code imposes additional restrictions on the applicability of the defence. It provides that a belief in consent that arose in certain ways will be unavailing. It imposes a precondition of reasonable steps to ascertain consent – “no reasonable steps, no defence”: Barton, at para. 104. And it requires evidence of words or conduct by which the complainant expressed consent. Section 273.2 provides:

It is not a defence to a charge under section 271, 272 or 273 that the accused believed that the complainant consented to the activity that forms the subject-matter of the charge, where

                                                (a)        the accused’s belief arose from

                                                               (i)         the accused’s self-induced intoxication,

                                                            (ii)         the accused’s recklessness or wilful blindness, or

                                                            (iii)        any circumstance referred to in subsection 265(3) or 273.1(2) or (3) in which no consent is obtained;

                                                (b)        the accused did not take reasonable steps, in the circumstances known to the accused at the time, to ascertain that the complainant was consenting; or

                                                (c)        there is no evidence that the complainant’s voluntary agreement to the activity was affirmatively expressed by words or actively expressed by conduct.

[52]      An accused who wishes to rely on the defence of honest but mistaken belief in communicated consent must first demonstrate that there is an air of reality to it. If there is no air of reality to the defence, it is not left with the jury. If there is, the onus is on the Crown to negative the defence. If the Crown fails to do so, the accused is entitled to an acquittal. The Crown might disprove the defence by, for example, proving beyond a reasonable doubt that the accused did not take reasonable steps to determine whether the complainant was consenting or that the accused’s mistaken belief was not honestly held: Barton, at paras. 121-23.

La mens rea et le consentement en matière d'agression sexuelle

R. v. H.W., 2022 ONCA 15

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[42]      Central to both the actus reus and the mens rea for sexual assault is the issue of consent, “the foundational principle upon which Canada’s sexual assault laws are based”: G.F., at para. 1.

[43]      The Code defines consent for the purpose of sexual assault. Under s. 273.1(1) of the Code, consent means “the voluntary agreement of the complainant to engage in the sexual activity in question.” It means the conscious agreement of the complainant to “every sexual act in a particular encounter”: J.A., at para. 31. Section 273.1(2) of the Code contains a non-exhaustive list of circumstances in which consent is not obtained, while s. 273.1(3) “authorizes the courts to identify additional cases in which no consent is obtained, in a manner consistent with the policies underlying the provisions of the Criminal Code”: J.A., at para. 29.

[44]      Consent, so defined, is analyzed from a different perspective at the mens rea stage than it is for the purpose of determining whether the actus reus was committed: Barton, at para. 89.

[45]      At the actus reus stage of the analysis, the absence of consent is determined solely by reference to the complainant’s subjective internal state of mind towards the touching, at the time it occurred: R. v. Ewanchuk, 1999 CanLII 711 (SCC), [1999] 1 S.C.R. 330, at para. 26G.F., at para. 25. The question is solely whether the complainant, in her mind, wanted sexual touching to take place. Whether or not the accused thought or perceived that the complainant was consenting is irrelevant to whether the actus reus occurred: Barton, at para. 89.

[46]      The mens rea stage of the analysis is typically reached after the trier of fact has concluded that the actus reus has been committed. In the sexual assault context, this means that the trier of fact has concluded that touching of a sexual nature occurred, and that the complainant did not actually, subjectively, consent within the meaning of the Code to that sexual touching. The focus then shifts to the accused’s mental state, the question being whether the accused knew of, or was wilfully blind or reckless as to, that lack of consent: Barton, at para. 87.

Une agression armée qui a le potentiel de mettre la vie de la victime en danger ne se qualifie pas de facto comme un voies de fait grave si la conséquence prohibée ne se réalise pas

R. v. de Freitas, 1999 CanLII 14071 (MB CA)

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8                                 The Criminal Code defines assault (s. 265) and then creates three categories, simple assault (s. 266), intermediate assault[1] (s. 267) and aggravated assault (s. 268).  The maximum penalty for simple assault is five years’ imprisonment, that for intermediate assault 10 years and that for aggravated assault 14 years.

9                                 The category of simple assault covers all assaults that do not fall into one of the higher categories.  An intermediate assault is defined as one committed by a person who, in committing it, carries, uses or threatens to use a weapon or causes bodily harm while an aggravated assault is defined as one which wounds, maims, disfigures or endangers the life of the complainant.

10                             These graduated categories thus progress from the least serious to the most serious.  The least serious category covers those assaults with the least risk of harm to the victim.  No weapon is involved and no bodily harm is caused.  The intermediate category involves either a more serious manner of carrying out the offence (i.e. involving a weapon) or bodily harm falling short of wounding, maiming or disfiguring the victim.  Finally, we have the most serious category in which the victim is wounded, maimed, disfigured or his or her life endangered.

11                                   What strikes me about the offence of aggravated assault is that it is defined not by reference to the manner in which it is carried out, but rather in reference to a consequence.  No matter how the offence is carried out, it becomes one of aggravated assault if the victim is wounded, maimed or disfigured.  This strongly suggests that, in adding endangerment to life, Parliament intended the phrase to refer to a consequence of an assault rather than a risk which arose from it.

12                             The use of a weapon in an assault will almost always create a risk of the victim being wounded, maimed or disfigured or his or her life endangered.  Yet the legislation does not place an assault with a weapon in the category of aggravated assault.  For this to happen, the risk must become reality.  The victim must actually be wounded, maimed or disfigured or his or her life endangered.  “Endangers the life of the complainant” is thus, in my view, intended to be as much a consequence of the assault as “wounds, maims or disfigures.”

13                             I do, however, agree with Moldaver J. (as he then was) in R. v. Melaragni (1992), 1992 CanLII 12779 (ON SC)75 C.C.C. (3d) 546 (Ont. Ct. (Gen. Div.)), when he held that bodily harm was not a necessary prerequisite of endangerment to life.  He gave the following examples of assaults which endanger life without causing actual bodily harm (at p. 550):

For example, if D. and V. are standing on a 20th-floor balcony and D. pushes V., causing V. to go over the railing, but V. miraculously holds on and is rescued before falling, can it be doubted that D.’s common assault endangered the life of V.?  In this example, D. has assaulted V. and the assault has endangered V.’s life even though V. suffered no bodily injury.  The same could be said if D. pushed V. into a busy intersection in the face of oncoming vehicular traffic.  Assuming that an alert motorist was able to avoid striking V., can it be doubted that V.’s life was endangered?

 

14                             In my opinion, the assaults in those examples qualify as aggravated assaults because endangerment to life is the consequence of the completed assault.  Most assaults with a weapon have such potential at their inception, but do not qualify as an aggravated assault because the potential is unrealized when the assault ends.