samedi 14 septembre 2024

Pour apprécier subjectivement l’élément de faute de l’infraction de menace, le juge du procès doit tenir compte de toutes les circonstances dans lesquelles les paroles ont été prononcées et des explications que l’accusé fournit lors de son témoignage

Martel c. R., 2023 QCCA 205

Lien vers la décision


[32]      L’élément de faute de l’infraction de menace revêt un caractère subjectif. Comme le mentionne la Cour suprême dans l’arrêt R. c. McRae, il faut examiner ce que l’accusé entendait effectivement faire. On doit rechercher son intention véritable lorsqu’il a prononcé les paroles qui lui sont reprochées :

[19]      L’élément de faute revêt ici un caractère subjectif; ce qui importe, c’est ce que l’accusé entendait effectivement faire. Toutefois, comme c’est généralement le cas, la décision quant à l’intention véritable de l’accusé peut dépendre de conclusions tirées de toutes les circonstances (voir, p. ex., McCraw, p. 82). Le fait de tirer ces conclusions ne revient pas à s’écarter de la norme subjective de faute. Dans R. c. Hundal1993 CanLII 120 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 867, le juge Cory cite les propos suivants du professeur Stuart qui explique ce point :

[traduction] Il est loisible au juge des faits qui cherche à déterminer ce qui se passait dans l’esprit de l’accusé, ainsi que le commande la méthode subjective, de tirer des conclusions raisonnables des gestes ou des paroles de l’accusé soit au moment de l’acte qui lui est reproché soit à la barre des témoins.  On peut croire l’accusé ou ne pas le croire. Conclure, sur la foi de la totalité de la preuve, que le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable que l’accusé a « dû » avoir l’état d’esprit entraînant la sanction ce n’est pas s’écarter de la norme fondamentale subjective. Le recours à une norme fondamentale objective n’a lieu que si on se dit que l’accusé « aurait dû s’en rendre compte s’il y avait réfléchi ». [Je souligne; p. 883][34]

[33]      Pour faire cette détermination, le juge du procès doit tenir compte de toutes les circonstances dans lesquelles les paroles ont été prononcées et des explications que l’accusé fournit lors de son témoignage. L’examen de l’intention requise pour l’infraction de menace implique une analyse subjective de la faute commise. La finalité des propos est importante.

[34]      Le professeur Pierre Rainville explique que le crime de menace implique un dessein criminel. Il s’exprime ainsi :

Le degré de prise de conscience de l’accusé suppose quelques remarques supplémentaires. Sa perception du sens des paroles en jeu est déterminante. Il a droit à l’acquittement si l’idée ne lui effleure pas l’esprit que ses paroles puissent être prises au sérieux. Même l’insouciance possible du plaisantin quant aux conséquences de ses paroles ne saurait suffire, selon nous, à le faire condamner. L’insouciance suppose la réalisation par l’accusé du risque que ses paroles revêtent une signification intimidante. Cette prise de conscience est insuffisante. Le crime de menaces exige un dessein criminel. Cette infraction obéit au principe classique du droit pénal canadien selon lequel un crime d’intention spécifique ne saurait se satisfaire de l’insouciance du prévenu.[35]

[Renvois omis]

[35]      En l’espèce, la Cour est d’avis que le juge a commis une erreur de droit en omettant d’analyser l’élément intentionnel de l’infraction[36]. La Cour, dans l’arrêt Joad c. R., mentionne que pour trancher la question de la mens rea, le juge doit se pencher d’abord sur les explications de l’accusé :

[23]        Le juge de première instance ne pouvait pas trancher la question de la mens rea pour l’une ou l’autre des deux accusations sans se pencher d’abord sur les explications de l’appelant. Ces explications dépassent de beaucoup la question du mobile qui l’animait. Elles touchent à l’interprétation même de son message et par voie de conséquence, à ses intentions en écrivant ce texte. Le juge de première instance se devait, dans les circonstances, d’en traiter. L’appelant n’a pas à deviner ce que le juge a pensé, et fait de ses explications; il doit pouvoir l’entendre ou le lire. Il s’agit d’une lacune importante dans le jugement dont appel, justifiant l’intervention de la Cour sans qu’il soit nécessaire d’analyser les autres moyens d’appel soulevés par l’appelant.[37]

[38]      La Cour est d’avis que le juge a commis une erreur dans son analyse de la mens rea. Premièrement, il a erré en écartant les explications données par l’appelant lors du troisième appel au PAE, alors qu’il a eu lieu quelques minutes seulement après les deux autres. Dès ce moment, l’appelant explique qu’il recherche de l’aide et qu’il n’a aucune intention de tuer quelqu’un. Plutôt que de tenir compte des explications de l’appelant, le juge considère qu’il est trop tard pour exprimer des regrets puisque le crime était déjà commis[39].

[41]      Le juge n’a donc pas tenu compte des explications de l’appelant concernant les paroles prononcées, ce qui était essentiel à la détermination de la mens rea de l’infraction de menaces.

[42]      Le juge écarte par ailleurs l’argument de l’appelant fondé sur le fait qu’il doit y avoir un acquittement lorsque les paroles sont prononcées alors que l’accusé se confie à un thérapeute lorsqu’il prononce les paroles menaçantes à sa demande[42].

[43]      Il est exact en l’espèce que l’appelant n’était pas en thérapie au moment où il a prononcé les paroles ayant mené à des accusations criminelles. Il était toutefois en contact avec le PAE afin d’obtenir de l’aide. C’est à la suite d’une question de la première agente qui voulait connaître les raisons de sa demande de consultation, et après quelques instants d’hésitation[43], qu’il a prononcé les paroles visées par les accusations. Il n’appelait pas au PAE pour menacer qui que ce soit, il cherchait de l’aide pour ne pas en venir à perdre le contrôle. Il avait d’ailleurs consulté ce service avec succès dans le passé.

[44]      Comme le souligne le professeur Rainville, une consultation visant à freiner des pensées noires « suppose de toute évidence la volonté d'être pris au sérieux »[44], mais les paroles prononcées pour expliquer la détresse ne constituent pas nécessairement des menaces. Il explique qu’il faut analyser ce type de confidence dans le contexte où les paroles sont prononcées. Un cri de désespoir ou un cri du cœur ne s’apparente généralement pas à une menace :

La thèse de la culpabilité semble acquise dans un cas précis. L’impunité n’est nullement méritée si l’inculpé se montre imperturbable quant à son dessein. Qu’il suffise de songer au détenu tenu de rencontrer un psychologue afin d’évaluer les risques de récidive ou la perspective d’une libération conditionnelle. L’exposition d’une volonté de récidive assumée relève, à n’en point douter, du champ d’incrimination de l’article 264.1 C.cr.

Les autres cas de figure appellent davantage de circonspection. Un cri de désespoir ou un cri du cœur ne s’apparente généralement pas à une menace : la personne désireuse de faire comprendre à son interlocuteur sa détresse ou sa frustration et non pas sa volonté de passer à l’acte ne saurait écoper d’une déclaration de culpabilité.[45]

[45]      Les circonstances dans lesquelles les paroles ont été prononcées revêtent donc la plus haute importance pour déterminer si elles doivent faire l’objet de sanctions criminelles. Il ne faut pas faire en sorte que des personnes qui cherchent de l’aide évitent de le faire de peur que leurs paroles soient mal interprétées. Un appel à l’aide ne devrait pas être visé par l’article 264.1 C.cr.[46].

Aucun commentaire:

Publier un commentaire