R. c. Fortin, 2024 QCCS 2917
[47] En identifiant la question en litige comme étant celle de savoir si la présence des agents sur la propriété de l’accusé constituait ou non une violation de l’article 8 de la Charte, le juge d’instance prend à tort pour acquis que les policiers se sont livrés à une fouille ou une perquisition.
[48] La doctrine de l’invitation implicite élaborée par la common law permet aux agents de la paix d’entrer sur une propriété privée pour communiquer avec son occupant. Celui-ci est réputé accorder au public, incluant un policier ayant légitimement affaire à lui, l’autorisation de s’approcher de sa porte et d’y frapper, ou de se rendre à un endroit aux abords de la maison d’où il lui sera possible de communiquer normalement avec l’occupant. Dans l’arrêt R. c. Evans, l’honorable juge Sopinka mentionne en effet :
« Je suis d’accord avec le juge Major pour dire que la common law reconnaît depuis longtemps que tous les membres du public, y compris les policiers, sont implicitement autorisés à s’approcher de la porte d’une résidence et à y frapper. Comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a récemment affirmé dans R. c. Tricker (1995), 1995 CanLII 1268 (ON CA), 21 O.R. (3d) 575, à la p. 579 :
[TRADUCTION]
“Il est clair en droit que l’occupant d’une maison d’habitation autorise implicitement tout membre du public, y compris un policier, à pénétrer sur sa propriété à des fins légitimes. Cette autorisation implicite vaut jusqu’à la porte de la maison. Cette thèse a été énoncée par la Cour d’appel d’Angleterre dans Robson c. Hallett, [1967] 2 All E.R. 407, [1967] 2 Q.B. 939.’’ »[15]
[49] L’intimé a donc tort d’insister sur le fait qu’il ne s’agissait pas en l’espèce pour les policiers de s’approcher de la porte de sa résidence, mais plutôt de la pelle mécanique dans laquelle il se trouvait. L’honorable juge Sopinka cite avec approbation l’arrêt Tricker qui précise bien que l’autorisation implicite vaut « jusqu’à la porte de la maison » et donc pour tout espace de la propriété privée situé entre le chemin public et la porte de la résidence[16].
[50] Il importe toutefois de préciser que l’invitation implicite ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il y ait une communication convenable entre les policiers et l’occupant de la propriété privée. Seules les activités raisonnablement liées à l’objectif de communication sont permises, sans quoi l’agent de la paix concerné sera considéré comme un intrus.[17]
[51] Ainsi, la Cour suprême détermina dans Evans que les actions des policiers étaient allées au-delà du type de conduite permis en vertu de l’autorisation implicite de frapper à la porte. Bien que l’un des buts poursuivis par les agents en s’approchant de la résidence des appelants était de communiquer avec ces derniers conformément à l’autorisation implicite, ils poursuivaient également un but subsidiaire, soit « sentir » une odeur de marijuana et recueillir ainsi des éléments de preuve contre les appelants[18]. Ce faisant, ils avaient outrepassé la doctrine de l’invitation implicite et s’étaient livrés à une fouille, perquisition abusive au sens de l’article 8 de la Charte.
[52] L’intention des policiers est donc pertinente pour déterminer la légalité de leurs actions[19].
[53] À moins d’être retirée ou révoquée expressément[20], l’invitation implicite représente une renonciation effective au droit à la vie privée qu’une personne pourrait opposer à ceux qui s’approchent de la porte de sa demeure[21].
[55] Ce n’est que lorsque les policiers lui ordonnent de les suivre à leur véhicule pour se soumettre à un test de dépistage à l’aide d’un appareil de détection approuvé que monsieur Fortin leur demande de quitter les lieux. Or, à ce moment précis, les patrouilleurs ont déjà effectué les observations visuelles et olfactives susmentionnées. Comme l’écrivait l’honorable Jacques Chamberland, j.c.a. dans l’arrêt Cotnoir c. R. de la Cour d’appel du Québec :
« […] À l’instar de mon collègue le juge Pidgeon, je ne crois pas que la démarche des policiers, notamment les observations visuelles et olfactives faites par l’agent Gougeon constituaient une fouille ou une perquisition abusives, au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, puisqu’ils s’étaient avancés dans l’entrée privée de la résidence de l’appelant – ce qu’ils ignoraient alors – sans avoir l’intention de recueillir des éléments de preuve contre lui. Le contexte de ce dossier me semble bien différent de celui des affaires R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. et R. c. Kokesh, 1990 CanLII 55 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 3. »[22]
[56] Plus récemment, la Cour d’appel précisait également que la communication d’un policier avec l’occupant d’une résidence ne constitue pas une fouille. Une réponse du citoyen ne saurait davantage être assimilée à une saisie[23].
[65] Contrairement à la prétention de l’intimé, les articles 83 à 85 C.p.p. ne doivent pas être interprétés comme constituant « une limite ou un cadre dans l’exercice de la doctrine de l’invitation implicite de la Common Law en matière pénale. »[26] Tout comme dans l’arrêt Cormier, ces dispositions législatives s’appliquent lorsque les agents de la paix dépassent, dans leurs agissements, le cadre de l’invitation implicite ou lorsque cette dernière est révoquée. Comme le stipule la Cour suprême dans Evans : « […] l’occupant d’une maison d’habitation est réputé accorder au public l’autorisation de s’approcher de sa porte et d’y frapper[27]. »
[66] Lorsqu’un policier entre sur une propriété privée en réponse à l’invitation implicite « de s’approcher et de communiquer », on ne saurait conclure qu’il pénètre « dans un endroit qui n’est pas accessible au public » au sens de l’article 83 C.p.p.[28]
[67] En l’espèce, les policiers agissaient manifestement dans le cadre de l’invitation implicite. Ils se trouvaient dans un endroit accessible au public, l’intimé étant réputé les avoir autorisés à prendre les dispositions nécessaires pour établir avec lui une communication convenable[29]. Qui plus est, Fortin était réputé avoir renoncé à son expectative de vie privée. Or, comme le précise l’honorable juge Karakatsanis dans l’arrêt Reeves :
« L’article 8 de la Charte n’entre en jeu que si la personne qui l’invoque peut s’attendre raisonnablement au respect de sa vie privée relativement à l’endroit ou à l’objet qui est inspecté ou pris par l’État. […] »[30]
[68] Il est par ailleurs évident qu’en se présentant chez l’intimé, les policiers n’étaient animés que par le seul objectif de communiquer avec celui-ci. Ils ne cherchaient aucunement à recueillir des éléments de preuve contre lui. Leurs comportements démontrent qu’ils ont agi conformément à l’invitation que l’intimé est réputé leur avoir faite.
[69] Les articles 83 à 85 du Code de procédure pénale n’empêchent aucunement un agent de la paix de pénétrer sur une propriété privée pour faciliter une communication avec son occupant. Dans un tel cas, le policier n’a pas à donner un avis de sa présence et du but de cette dernière avant de pénétrer sur le terrain de l’occupant ni à déclarer ses nom et qualité.
[70] Le soussigné partage entièrement l’interprétation du ministère public à l’effet qu’en édictant ces trois dispositions législatives, « [l]e législateur […] n’a certainement pas voulu comme résultat qu’[un] policier ne puisse désormais se présenter à la porte d’une résidence pour informer les occupants qu’une plainte à un règlement municipal a été reçue et demander que le comportement visé ne cesse. »[31] Semblable interprétation conduirait inévitablement à des résultats absurdes.
[71] Le Tribunal conclut qu’en statuant que les policiers n’agissaient pas en réponse à une invitation implicite, le juge de première instance a manifestement erré en droit. Cette erreur justifie à elle seule l’intervention du soussigné et la cassation des verdicts d’acquittement.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire