Autorité des marchés financiers c. Baazov, 2016 QCCQ 18322
[15] Les auteurs de la doctrine The Law of Privilege in Canada précisent que la poursuite peut demander à la défense de signer un engagement à ne pas distribuer la preuve divulguée lorsque les informations ne sont pas privilégiées, mais demeurent grandement confidentielles[7].
[16] Le droit constitutionnel d’un accusé à une défense pleine et entière ainsi que la nature publique de la justice pénale ne signifient pas que toute la preuve divulguée à la défense peut être circulée librement. Dans le rapport provenant du Martin Committee (Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure and Resolution Discussions (G. Arthur Martin, Chair), Toronto : Ministry of the Attorney General, 1993), à la page 179, on lit que :
It is inappropriate for any counsel to give disclosure information to the public. Counsel would not be acting responsibly as an officer of the court if he or she did so.
[17] Le rapport Martin contient des recommandations sur les restrictions qui devraient être applicables à l'utilisation des pièces à cet égard. On y affirme, notamment, que :
Defence counsel should maintain custody or control over disclosure materials, so that copies of these materials are not improperly disseminated. Special arrangements may be made between defence and Crown counsel, with respect to maintaining control over disclosure materials where an accused is in custody, and the volume of material disclosed makes it impractical for defence counsel to be present while the material is reviewed (p. 179).
[18] Les propos du rapport Martin ont été cités avec approbation dans l’arrêt R. v. Lucas, 1996 CanLII 4926 (SK CA) :
These two recommendations, as the Committee noted: “responsibly reconcile the need to provide full disclosure with the need to prevent misuse of disclosure material.” We agree with those recommendations and comments. The material which is disclosed for the purpose of making full answer and defence should not be released to third parties either by the lawyer representing the accused or the accused person himself.
[19] La Cour suprême, dans l’arrêt R. c. McNeil, [2009] 1 RCS 66, 2009 CSC 3 (CanLII), au paragraphe 41, a énoncé que la poursuite peut imposer des conditions pour s’assurer que la divulgation de la preuve n’entraîne pas d’atteinte inutile à la vie privée :
L’existence d’un droit en matière de protection de la vie privée relativement aux dossiers en la possession de tiers se rapportant à la défense d’un accusé contre une accusation criminelle pourrait bien justifier, le cas échéant, certaines suppressions ou l’imposition de conditions pour s’assurer que la communication à l’accusé n’occasionne pas d’atteinte inutile à la vie privée. Cependant, en l’absence d’un régime législatif prédominant régissant la production des dossiers en question, il est peu vraisemblable que le droit d’un tiers à la protection de sa vie privée suffise à faire rejeter une demande de production.
[20] Au paragraphe 43 de cette décision, la Cour a repris les conclusions du Comité Martin :
[TRADUCTION] La vie privée de la victime et de tous les autres témoins doit céder le pas à la préparation d’une défense pleine et entière, sans plus. Selon le Comité, pourvu que rien ne nuise à la préparation de la défense pleine et entière, il est préférable d’imposer des restrictions quant à l’utilisation des renseignements visés par la communication et de reconnaître ainsi le droit à la protection de la vie privée des victimes et des témoins.
[21] De plus, selon cette dernière, une cour peut imposer des restrictions à la diffusion de renseignements n’étant pas liés à la défense pleine et entière du défendeur ou à la poursuite d’un appel :
[46] Ainsi, pour garantir que seuls des renseignements pertinents sont produits et pour empêcher toute atteinte injustifiée au droit à la vie privée, la cour peut juger nécessaire d’assujettir l’ordonnance de production à l’obligation d’effectuer des suppressions ou à d’autres conditions. De plus, lorsqu’elle estime une telle mesure juste et nécessaire, la cour peut également imposer des restrictions à la diffusion des renseignements produits qui ne sont pas liés à la défense pleine et entière de l’accusé ou à la poursuite d’un appel […].
[22] Il y a lieu de noter que la question en litige dans McNeil concernait la portée du régime de production établi dans l’arrêt O’Connor. Dans une requête de type O’Connor, le juge est appelé à mettre en balance le droit d’un accusé à une défense pleine et entière et le droit d’un tiers au respect de la vie privée.
[23] Dans McNeil, la Cour a expliqué que c’est le juge du procès qui est le mieux placé pour traiter une demande de type O’Connor :
[44] Les renseignements qui, en eux‑mêmes, ne seraient pas admissibles peuvent néanmoins être utiles à la défense, par exemple, lorsque celle‑ci contre‑interroge un témoin sur des questions de crédibilité ou lorsqu’elle prend d’autres moyens d’enquête. L’auteur d’une demande de type O’Connor doit toutefois établir la pertinence du document sollicité eu égard aux questions de l’espèce. C’est principalement pourquoi il est préférable que le juge du procès soit saisi de ce type de demandes. En procédant de la sorte, les questions relatives à la production sont traitées efficacement par le juge et les avocats qui sont suffisamment au courant des questions en litige dans l’affaire. Bien sûr, les demandes de production peuvent être instruites avant le début du procès et, s’il estime la chose nécessaire, le juge peut demander l’aide des avocats pour décider de la pertinence d’un dossier particulier aux fins de production.
[24] Dans la même veine, au paragraphe 60, la Cour a expliqué que :
Pour ce qui est des dossiers disciplinaires de la police qui ne sont pas visés par l’obligation de communication qui incombe à la partie principale, les procédures comme celles recommandées dans le Rapport Ferguson, conçues pour satisfaire les besoins particuliers de la collectivité où elles sont appliquées, peuvent grandement contribuer à assurer le traitement plus efficace des demandes de type O’Connor visant la production de dossiers en la possession de tiers. Les tribunaux saisis de demandes de communication fondées sur l’arrêt Stinchcombe ou de demandes de production de dossiers en la possession de tiers sont bien placés pour rendre des ordonnances propres à favoriser la coopération nécessaire entre la police, le ministère public et l’avocat de la défense.
[25] Dans la présente affaire, le Tribunal n’est pas appelé à se prononcer sur une requête de type O’Connor. Le soussigné n’est pas le juge au procès qui a le bénéfice d’évaluer la pertinence de la preuve et de mettre en balance les intérêts des accusés à une défense pleine et entière avec l’intérêt de protéger la vie privée des tiers.
—La nature des engagements
[26] La Cour du Québec n’est pas étrangère aux ordonnances (trust conditions) et aux engagements (undertakings). L’arrêt Autorité des marchés financiers c. Forget Québec, 2014 QCCQ 11936 illustre les types d’engagement que le Tribunal estime acceptables. Dans cette cause, la Cour du Québec autorisa l’AMF à exiger un engagement écrit afin d’assurer, entre autres, « la préservation de la confidentialité du contenu du document » et « la non-utilisation du document à toute autre fin que la défense pleine et entière des requérants au constat d’infraction en litige[8]. »
[27] En droit pénal, toutefois, l’imposition d’un engagement ne peut se faire systématiquement. Dans R. v. Petten, 1993 CanLII 7763 (NL CA), la Cour d’appel de Terre-Neuve s’est prononcée contre une politique de la couronne selon laquelle tout avocat de la défense devait accepter un engament limitant la distribution des éléments de preuve avant de se voir divulguer des rapports policiers ou des déclarations de témoins. La Cour a indiqué que chaque cause s’apprécie individuellement afin de déterminer si un engagement peut être justifié. Il est donc inapproprié d’imposer les mêmes conditions sévères à tout type de dossier, et ce, indistinctement :
As already stated, hopefully clearly, the nature and extent of the release of information must be governed by the particular case. This will include any conditions which may be attached to such release. It is obviously as inappropriate for the Crown to impose the same stringent conditions on every release of information in every case as it is for the defence to expect release of all information in every case, without limitation or conditions. Each matter must be dealt with on its own merits[9] .
[28] La Cour d’appel du Québec dans R c Mercier, 1994 CanLII 5518 (QC CA), au paragraphe 42, a rappelé, à son tour, que la protection de la vie privée peut, dans des cas rares, justifier l’imposition d’une ordonnance ou d’un engagement. Ni la Cour d’appel de Terre-Neuve ni la Cour du Québec n’ont fourni des exemples d’instances où il serait approprié d’imposer un engagement à la défense avant de lui communiquer la preuve.
[29] Il y a des décisions où on semble indiquer qu’un engagement est approprié lorsque l’information concernant les tiers est de nature hautement délicate ou personnelle. Dans R. c. Wagg, 2004 CanLII 39048 (ON CA), le juge Rosenberg, au paragraphe 36, a mentionné les préoccupations du Comité Martin quant à la dissémination inappropriée de preuve ou de documents de nature délicate ou hautement personnelle :
From the commentary accompanying these recommendations it seems apparent that the Martin Committee's principal concern was the improper circulation of materials. The Committee gave examples of materials of a highly sensitive nature being circulated within the penitentiary or being made publicly available. The committee did not address the question of whether it believed defence counsel was under an implied undertaking not to use the materials for other purposes, an example of which is a civil suit flowing out of the criminal prosecution, as in this case.
[30] De même, dans R. c. Lacroix, 2008 QCCS 5017, au paragraphe 22, le juge Brunton de la Cour supérieure du Québec a émis les commentaires suivants :
La Cour reconnaît qu'il peut y avoir des dossiers ou la poursuite aura intérêt à proposer un engagement qui prévoirait des modalités avant de communiquer la preuve. On peut penser à des dossiers comportant des déclarations de victimes d'agression sexuelle ou des images de pornographie juvénile par exemple. Est-ce que telles considérations sont présentes dans ce dossier ? La Cour répond non à cette question.
[31] Dans les affaires moins délicates où le risque de protéger la vie privée des tiers n’est pas élevé, les tribunaux sont moins portés à exiger des engagements de la part des défendeurs. Dans R. v. Mercer (J.), 1992 CanLII 7230 (NL SCTD, une cause concernant la possession d’une arme à feu, la couronne tenta d’exiger que la défense signe un engagement limitant la dissémination et l’utilisation des déclarations des témoins. La Cour suprême de Terre-Neuve a refusé d’exiger l’engagement et a signalé que celui-ci pourrait porter atteinte à la capacité de mener une défense pleine et entière.
[32] Pour la Cour provinciale de l’Alberta dans R. v. Little[10], un dossier simple de conduite avec facultés affaiblies ne nécessitait pas l’engagement de confidentialité. De plus, il n’y avait aucune preuve suggérant que le droit à la vie privée des victimes et des témoins ou l’intégrité de l’administration de la justice seraient compromis par une divulgation de la preuve non assujettie à des conditions :
I have taken into consideration the particulars of this case and find that these are straight forward drinking and driving and manner of driving offences under the Criminal Code and that there is no evidence to support concerns with regards to public safety, the security or privacy of witnesses or victims, or the need to protect the integrity of the administration of justice, in the circumstances of this particular case. (par. 54)
[33] En somme, les ordonnances et les engagements seront difficilement justifiables si la nécessité de protéger l’intégrité de l’administration de la justice ou le droit à la vie privée des parties n’est pas engagé.
[34] L’imposition d’un engagement dépend des circonstances particulières de l’affaire. Il est donc inapproprié d’imposer les mêmes conditions sévères à tout type de dossiers, et ce, indistinctement :
As already stated, hopefully clearly, the nature and extent of the release of information must be governed by the particular case. This will include any conditions which may be attached to such release. It is obviously as inappropriate for the Crown to impose the same stringent conditions on every release of information in every case as it is for the defence to expect release of all information in every case, without limitation or conditions. Each matter must be dealt with on its own merits[11] .
[35] Les tribunaux ont étudié les engagements à la confidentialité selon les dossiers auxquels ils faisaient face. Ainsi, dans un dossier où les personnes sont accusées d’actes de terrorisme, le tribunal a tranché que les intérêts publics sont élevés et que conséquemment, les engagements étaient raisonnablement nécessaires, à quelques modifications près (R. v. Mohammed, [2007] O.J. No. 5806 (Ont. S.C.) (LN/QL).
[36] Les engagements de confidentialité dans des dossiers d’agression sexuelle ont aussi été jugés raisonnablement nécessaires, afin de protéger la vie privée des plaignants (R. v. Smith, 1994 CanLII 5076 (SK KB), [1994] S.J. No. 38 (Sask. Q.B.) (LN/QL); Ouellet c. La Reine, [2006] J.Q. No. 4928, (C.S.) (LN QL).
—Les engagements implicites et le droit à la vie privée
[37] Même si la divulgation de la preuve risquait de compromettre le droit à la vie privée des témoins ou des victimes en l’instance, un engagement ne serait probablement pas nécessaire. Dans l’arrêt Lucas, supra, la Cour d’appel de la Saskatchewan a commenté le partage de la divulgation de la preuve entre deux accusés. Elle a expliqué que les documents divulgués afin de permettre une défense pleine et entière ne devraient pas être partagés avec des tierces parties par l’avocat ou son client[12].
[38] La Cour du banc de la reine de la Saskatchewan a souligné, elle aussi, le devoir imposé aux avocats de ne pas divulguer les éléments de preuve au public, cette fois-ci dans le contexte de la protection du droit à la vie privée des victimes d’agression sexuelle[13] :
It may be asked how effective the condition proposed by
the Crown is to deal with the Crown's concern regarding the
protection of privacy of the child complainant, given the limited
nature, extent and effect set out above. In Thomsen v. R., infra, the
order of Sirois, J., provided that "Counsel for the applicant
[should] not be allowed to release any videotape to anyone except in
accordance with the terms of [the] order." There is no such
restriction here. Any consideration of this problem brings to the
fore certain duties of defence counsel as an officer of the court,
though not formally imposed by the court. One of those duties, in my
view, is not to give disclosure materials to the public. To do so
would fall short of acting responsibly as an officer of the court.
Defence counsel may, "normally, disseminate materials only to those
third parties whose examination or possession of the material is in
good faith necessary to prepare and conduct the defence." These
duties of defence counsel, when considered with the condition here
being considered, meet Crown's reasonable and proper objective of the
protection of the privacy of child complainants.
[39] Dans Wong v. Antunes, 2008 BCSC 1739, 2009 BCCA 278, au paragraphe 38, la Cour a tranché que la divulgation de la preuve dans une affaire criminelle était assujettie à un engagement implicite :
An accused who receives documents or information in the course of Crown disclosure is constrained by an explicit or implied undertaking not to use the documentation except for the purpose of making full answer and defence to the criminal charge. The accused is not permitted to disclose the information to the world at large. The undertaking to refrain from disclosure is no different from the implied undertaking that arises in the context of civil litigation: see Juman v. Doucette, 2008 SCC 8 (CanLII), 75 B.C.L.R. (4th) 1 (S.C.C.). The undertaking which binds the accused may be modified with the consent of the Crown, or by court order in appropriate circumstances, as in Huang and other the instances cited in that case.
[40] Cette position fut confirmée dans R. v. Basi, 2011 BCSC 314, au paragraphe 42 :
I would affirm that an accused who receives disclosure material pursuant to the Crown’s Stinchcombe obligations, or to a court order, does so subject to an implied undertaking not to disclose its contents for any purpose other than making full answer and defence in the proceeding.
[41] Dans l’affaire Wagg[14], la Cour d’appel de l’Ontario s’est également prononcée sur l’existence d’un engagement implicite quant à la preuve divulguée par la couronne. Il n’était pas nécessaire pour elle d’indiquer concrètement si les engagements implicites reconnus en common law s’appliquent à la divulgation de type Stinchcombe, mais la cour affirma qu’il existe des raisons convaincantes pour le croire :
There are important policy reasons for recognizing an implied undertaking rule with respect to disclosure of materials to the defence in a criminal case. The disclosure is compulsory and required because of the public interest in ensuring that the accused obtains a fair trial of the criminal charges. However, as a result of the criminal disclosure process, individuals, including innocent third parties, may find that highly personal information is made available to the accused. These individuals must, as explained in Taylor, accept this intrusion in the interests of achieving a proper result in the criminal case, but the law should provide them with some reasonable protection against use of the information for entirely different purposes. In addition to the policy reasons referred to in Taylor, which essentially concern privacy interests of third parties, there are the policy reasons identified by the Divisional Court in this case, namely, the fact that the disclosure may contain documents over which the Crown could claim public interest immunity, that might attract privilege or which broadly speaking it is not in the public interest to produce. (par. 46)
Comme la Cour d'appel d'Ontario, cette Cour est porter à croire qu'il y a un engagement tacite qui prévoit que l'avocat qui reçoit la communication de la preuve peut utiliser et communiquer le contenu uniquement dans le but de préparer la défense de son client. Ceci dit, la Cour ne se prononce pas de façon définitive sur cette question et reste sensible à l'argument que les parties n'ont pas eu tout le temps voulu pour développer leur position sur cette question. La Cour préfère restreindre ses motifs à l'existence de règles de déontologie qui prévoient le même résultat.
—Les engagements implicites et l’utilisation collatérale
[43] Il se peut, également, que la défense, en recevant la divulgation de la preuve dans le cadre d’une affaire criminelle, s’engage implicitement à ne pas s’en servir dans d’autres enquêtes. La Cour supérieure de l’Ontario a indiqué dans l’arrêt Schertzer que :
It is highly likely that defence counsel who receives Crown disclosure implicitly undertakes not to use the disclosure for a collateral purpose[15].
[44] En rendant sa décision, la Cour s’est appuyée sur Hedley[16] afin d’illustrer le principe de « collateral purpose ». Dans l’affaire Hedley, une cause civile, les demandeurs s’étaient vu communiquer des éléments de preuve alors qu’ils étaient accusés de fraude. La cour était d’avis qu’utiliser ces renseignements pour appuyer une poursuite civile était contraire à l’engagement implicite auquel les accusés étaient liés lorsqu’ils ont reçu les éléments de preuve[17]. La Cour remarqua que « there’s no policy reason why a party to a civil proceeding should be placed in a favoured position simply because that party happens to have been an accused in a related criminal prosecution[18]. »
[45] Par contre, l’application d’un engagement interdisant l’utilisation collatérale des éléments de preuve est loin d’être assurée. Dans Henry[19], un détenu exonéré suite à 16 années d’incarcération demanda au tribunal d’être exempté de son engagement afin de mener un litige contre le gouvernement municipal, provincial et fédéral. La Cour suprême de la Colombie-Britannique constata que la protection des plaignants pouvait être assurée par le biais d’une interdiction de publication et accorda la demande de l’accusé.
[46] Finalement, il y a lieu de rappeler que l’engagement tacite interdisant l’usage collatéral de la preuve dans Hedley avait comme objectif, entre autres, de minimiser l’avantage que pourrait avoir la partie récipiendaire de la preuve dans une procédure ultérieure. Dans la présente affaire, le fait que les défendeurs auront déjà reçu la divulgation de la preuve ne leur procure aucun avantage dans un recours collatéral de nature administrative. On peut assumer que la partie poursuivante dans un recours administratif a déjà accès à la preuve qui sera remise aux défendeurs dans la présente affaire.
—La redondance d’un engagement exprès
[47] L’existence d’un engagement tacite de confidentialité implique qu’une ordonnance expresse n’est pas nécessaire dans la plupart des causes. Dans Knight v. Imperial Tobacco Canada, 2009 BCSC 339 (CanLII), au paragraphe 7, la Cour a expliqué que :
The cases in which an express confidentiality order has been made appear to involve trade secrets, intellectual property, competing trade litigants or large government organizations. No such element of risk appears in the case before me. Plaintiff counsel has advised that the only persons to whom they will be disclosing the documents are the plaintiff representatives and their expert witnesses.
[48] Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’un engagement exprès est nécessaire. Dans la présente affaire, il n’y aucune preuve que des circonstances exceptionnelles militent en faveur d’un tel engagement.
—L’engagement tacite quant à l’information qui est déjà à la portée ou à la connaissance des défendeurs
[49] Un engagement tacite ne peut s’appliquer à une preuve qui autrement serait à la connaissance de la partie qui reçoit la preuve communiquée. Dans Goodman v. Rossi, 1994 CanLII 10551 (ON CA), le juge Moldaver de la Cour d’appel de l’Ontario, dans une dissidence, a décrit l’engagement tacite dans les termes suivants :
Where a party has obtained information by means of court compelled production of documents or discovery, which information could not otherwise have been obtained by legitimate means independent of the litigation process, the receiving party impliedly undertakes to the court that the private information so obtained will not be used, vis-a-vis the producing party, for a purpose outside the scope of the litigation for which the disclosure was made, absent consent of the producing party or with leave of the court; any failure to comply with this undertaking shall be a contempt of court.
[50] Dans Lac d'Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec inc., [2001] 2 RCS 743, 2001 CSC 51 (CanLII), au paragraphe 78, la Cour suprême a tranché que :
[L]a règle de confidentialité ne s’appliquera qu’à l’égard des informations obtenues uniquement par cet interrogatoire et qui ne sont pas autrement accessibles au public. Si elles sont disponibles au public par d’autres sources, on ne peut imposer à une partie le fardeau d’une demande d’autorisation au tribunal avant de les utiliser, parce qu’elles ont aussi été communiquées au cours d’un interrogatoire préalable. L’obligation de confidentialité ne s’applique qu’aux informations qui seraient demeurées confidentielles, en l’absence de l’interrogatoire préalable.
—Est-ce que l’engagement tacite s’applique aux défendeurs personnellement?
[51] La règle interdisant la divulgation de la preuve à des tiers s’appliquent autant aux accusés qu’aux avocats qui les représentent. Dans l’arrêt Lucas, supra, au paragraphe 10, la Cour d’appel de la Saskatchewan, a écrit que :
The material which is disclosed for the purpose of making full answer and defence should not be released to third parties either by the lawyer representing the accused or the accused person himself.” (Souligné ajouté).
[52] Dans Lac d’amiante, au paragraphe 75, la Cour suprême a écrit que :
Avant de conclure, quelques remarques sur l’étendue de la règle de confidentialité paraissent opportunes. Celle-ci s’applique durant le litige à la partie et à ceux qui la représentaient. (Souligné ajouté)
[53] De même, dans Juman c. Doucette, 2008 SCC 8, la Cour suprême du Canada a confirmé que les clients des avocats sont liés par un engagement tacite[20].
—Les obligations déontologiques des avocats
[54] Les obligations professionnelles et déontologiques engendrent une différence entre un défendeur représenté par un avocat et un autre se représentant seul. Effectivement, les devoirs auxquels sont soumis les avocats assurent une protection supplémentaire aux documents confidentiels[21].
[55] Point de vue déontologique, les dispositions pertinentes sont les suivantes :
Code des professions, L.R.Q., c.C-26 :
59.2 [Acte incompatible] Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l'honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l'ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l'honneur, la dignité ou l'exercice de sa profession.
60.5 [Consultation de documents] Le professionnel doit respecter le droit de son client de prendre connaissance des documents qui le concernent dans tout dossier constitué à son sujet et d'obtenir copie de ces documents.
[Accès aux documents] Toutefois, le professionnel peut refuser l'accès aux renseignements qui y sont contenus lorsque leur divulgation entraînerait vraisemblablement un préjudice grave pour le client ou pour un tiers.
Code de déontologie des avocats B-1, r. 3.1
18. L’avocat ne doit pas faire de déclarations publiques ni communiquer des renseignements aux médias au sujet d’une affaire pendante devant un tribunal s’il sait ou devrait savoir que ces renseignements ou ces déclarations risquent de porter atteinte à l’autorité d’un tribunal ou au droit d’une partie à un procès ou à une audition équitables.
45. L’avocat dénonce au client tout fait dont il a connaissance dans le cadre de sa prestation de services professionnels et qui, à son avis, peut constituer une violation d’une règle de droit par le client.
111. L’avocat sert la justice et soutient l’autorité des tribunaux. Il ne peut agir de manière à porter préjudice à l’administration de la justice.
Il favorise le maintien du lien de confiance entre le public et l’administration de la justice.
[56] Eu égard aux obligations professionnelles des avocats, la Cour provinciale de l’Alberta, dans la décision R. v. Little, 2001 ABPC 13, au paragraphe 50, a énoncé que l’engagement à la confidentialité est superflu pour ces derniers, en raison de leur statut d’officier de justice :
Having considered the nature, extent and effect of these trust conditions, I find that the three trust conditions in the Crown's Disclosure Letter are unnecessary because the obligations that the Crown seeks to place on defence counsel are already imposed on defence counsel as officers of the court. […].
[57] Dans Mercer, supra, la Cour était également d’avis que les devoirs auxquels sont soumis les avocats assurent une protection à l’encontre d’un usage inapproprié de la preuve communiquée :
The provisions of the Criminal Code, the professional ethics of counsel, and the Law Society's enforcement of same, should provide the Crown with ample ammunition to deal with most cases of contemplated abuse resulting from the misuse of photocopies. (par. 43.)
[58] Dans R. c. Lacroix, la Cour supérieure du Québec a tranché que les obligations déontologiques et professionnelles sont déjà imposées aux avocats et elle ne leur impose donc pas de signer un engagement de confidentialité[22].
[59] Malgré la représentation de l’accusé par un avocat, cette même cour, dans la décision Ouellet c. La Reine[23], a acquiescé à la demande de la poursuite concernant l’engagement de confidentialité, notant au passage que les circonstances de l’affaire le permettent.
—La mise en balance des droits des défendeurs et des droits des tiers
[60] En l’espèce, le Tribunal n’est pas appelé à mettre en balance le droit des défendeurs à une défense pleine et entière et le droit à la vie privée des tiers. De toute évidence, c’est le Tribunal qui sera saisi de la question de l’admissibilité de la preuve qui sera en meilleure position de mettre en balance les intérêts opposés des défendeurs et des tiers.
[61] Dans l’affaire Wagg, la Cour d’appel de l’Ontario, sous la plume du juge Rosenberg, a établi une procédure pour déterminer si la preuve communiquée dans une instance pénale devait ou pouvait être divulguée à la partie adverse dans une affaire civile. Sans rentrer dans les détails, cette procédure a comme objectif la mise en balance de l’intérêt public à promouvoir l'administration de la justice par une divulgation complète de la preuve contre l’intérêt public à garder certaines informations privées. Au paragraphe 17, le juge Rosenberg a repris avec approbation les propos de la Cour divisionnaire (Divisional Court) dans cette même affaire :
The judge hearing the motion for production will consider whether some of the documents are subject to privilege or public interest immunity and generally whether “there is a prevailing social value and public interest in non-disclosure in the particular case that overrides the public interest in promoting the administration of justice though full access of litigants to relevant information” .
[62] Dans l’arrêt McNeil, supra, la Cour suprême a tranché que la mise en balance des intérêts divergents entre le droit de l’accusé à une défense pleine et entière, d’une part, et le droit d’un tiers au respect de la vie privée, d’autre part, ne s’effectue qu’à la deuxième étape du régime de l’arrêt O’Connor—soit quand les renseignements peuvent être examinés par la cour afin de mieux déterminer la nature des intérêts privés en cause[24].
[63] Dans la présente affaire, le Tribunal ignore la nature de la preuve que la poursuite s’apprête à divulguer. De même, le soussigné ignore quels intérêts privés seront atteints par une divulgation de la preuve. Il appert, toutefois, que le sujet du présent litige ainsi que la preuve à être divulguée n’est pas de nature délicate ou hautement personnelle, telle une affaire d’agression sexuelle. Ceci étant dit, c’est le juge du procès qui est dans une meilleure position de mettre en balance les intérêts divergents, le cas échéant[25].
— La nature publique de l’information que la poursuite s’apprête à divulguer
Disponibilité de la preuve sur Internet
[64] La disponibilité sur Internet des éléments de preuve divulgués ne devrait pas déterminer si un engagement est justifié en l’instance. Dans Basi, la Cour suprême de la Colombie-Britannique constata que :
The public availability of documents produced pursuant to Stinchcombe obligations does not of itself displace the limited purpose for which the documents were produced to the defendants. Public availability may, however, be a factor a court considers in resolving an application to vary the terms of the undertaking.[26]
[65] La Cour supérieure de l’Ontario énonça un raisonnement semblable dans Mohammed, supra, un arrêt portant sur le terrorisme où les vidéos de décapitation contenues dans la preuve étaient disponibles sur Internet. En se penchant sur la possible dissémination des vidéos, le tribunal constata que :
The fact that such information is available on the internet is of no consequence, as what I am concerned about is protecting the integrity of the Crown disclosure process itself.
[66] Par ces décisions, est-ce que le Tribunal doit rejeter les arguments des défendeurs à l’effet qu’il serait inéquitable de les interdire d’utiliser la composante publique de la preuve Stinchcombe à des fins collatérales?
[67] Dans Basi, le juge MacKenzie a précisé que chaque cas doit être évalué au mérite :
[76] I emphasize it is the above combination of factors that has led me to conclude that an order for the return of the materials is appropriate here; the necessity of such an order in a future case will depend on the specific circumstances before the court.
[68] Au risque d’être redondant, la présente affaire ne traite pas de sujet hautement délicat ou personnel comme une agression sexuelle. Essentiellement, il s’agit d’infractions de nature économique où on reproche aux défendeurs, plus particulièrement, des transactions d’initiés.
[69] Par ailleurs, rappelons les propos de la Cour suprême dans Lac d’amiante, supra, voulant que la règle de la confidentialité ne peut s’appliquer à l’égard d’informations autrement accessibles au public :
Si elles (les informations) sont disponibles au public par d’autres sources, on ne peut imposer à une partie le fardeau d’une demande d’autorisation au tribunal avant de les utiliser, parce qu’elles ont aussi été communiquées au cours d’un interrogatoire préalable. L’obligation de confidentialité ne s’applique qu’aux informations qui seraient demeurées confidentielles, en l’absence de l’interrogatoire préalable. (par. 78)
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