dimanche 3 novembre 2024

Lors d’une discussion engagée entre un agent d’infiltration et l’occupant d’une résidence, l’information ne peut être obtenue que si l’occupant consent à parler

Tremblay c. R., 2020 QCCA 1131

Lien vers la décision


[29]        Une question demeure : ces mêmes principes tiennent-ils lorsque l’opération en question est menée par un agent d’infiltration? Il faut répondre à cette question par l’affirmative.

[30]        Certains tribunaux d’appels ont statué sur la légalité d’opérations d’infiltration se déroulant au domicile d’un accusé. Les arrêts Contant[27] et Joseph[28], rendus la même journée par une formation de cette Cour, portent tous deux sur des opérations d’infiltration ayant comme cible des trafiquants de drogue. Le contexte factuel des deux affaires est similaire : les policiers sont informés de l’existence d’un point de vente et de consommation de stupéfiants et y envoient un agent d’infiltration à plusieurs reprises pour se procurer des stupéfiants auprès de l’accusé. Dans ces arrêts, la Cour affirme que l’opération policière ne constituait pas une fouille au sens de l’article 8 de la Charte[29] et que les circonstances des deux dossiers se distinguent de l’arrêt Evans. L’analyse porte notamment sur le consentement de l’appelant à la remise des stupéfiants :

34      Les faits de cet arrêt sont, toutefois, différents de ceux en l'espèce. Dans Evans, les policiers s'approchent de la maison de ce dernier et profitent de l'invitation à frapper à la porte pour rechercher une odeur de marijuana. Comme les policiers veulent vérifier la présence de cette odeur, comme élément de preuve, tout ce qui importe c'est que quelqu'un ouvre la porte de la demeure. Point n'est besoin de poser quelque question que ce soit ou échanger quelque parole que ce soit pour recueillir l'élément de preuve recherché. Dans cette affaire, le juge Sopinka estime qu'il s'agit d'une fouille ou perquisition abusive puisqu'elle n'était pas autorisée par la loi, ajoutant que la conduite des policiers ne pouvait être qualifiée de raisonnable au sens de l'article 8, puisqu'elle n'avait pas fait l'objet d'une autorisation préalable. J'ajoute que rien n'indique que Evans avait renoncé à la protection de sa vie privée.

35      Ici, sur la foi d'une source enregistrée, réputée fiable, et d'autres renseignements recueillis au cours de l'enquête, les services policiers savent ou, du moins, ont des motifs raisonnables de croire que le domicile de l'appelant sert de point de vente de stupéfiants. L'agent double se rend chez l'appelant essentiellement dans le but de conclure une transaction, c'est-à-dire d'acheter les produits qu'on y vend. Dans les faits, il est en mesure d'acheter de l'appelant, à quatre reprises, des stupéfiants. J'estime qu'il ne peut s'agir, dans les circonstances, d'une fouille, puisque l'appartement de l'appelant était accessible à quiconque voulait se procurer de la drogue et que l'appelant avait, au moins implicitement, renoncé à une attente raisonnable en matière de protection de vie privée. Comme l'objet de la visite de l'agent double visait strictement l'achat de stupéfiants avec le consentement de l'appelant, on ne peut pas dire qu'elle équivalait à une fouille ou perquisition, et encore moins à une fouille ou perquisition abusive allant à l'encontre de l'article 8 de la Charte.[30]

[soulignements ajoutés]

[31]        En résumé, lors d’une discussion engagée entre un agent d’infiltration et l’occupant d’une résidence, l’information ne peut être obtenue que si l’occupant consent à parler. De ce fait, l’agent qui frappe à la porte d’une résidence avec l’intention d’interroger l’occupant à des fins d’enquête légitime n’outrepasse pas les balises de l’invitation implicite; l'obtention des informations est alors tributaire de la coopération de l'occupant. Le facteur du « consentement » est clé dans cette interprétation : l’information incriminante ne peut être recueillie que si l’occupant consent à la révéler.

[32]        Cette revue de la jurisprudence suffit pour démontrer que le juge n’a commis aucune erreur. C’est à bon droit qu’il a affirmé que « [l]es motifs obtenus […] par le biais d’une simple conversation, même suite à ce qui est appelé "investigative questioning", ne constituent pas pour autant une fouille ».

[33]        L’opération cadrait avec l’invitation implicite décrite dans l’arrêt Evans. Elle a été mise en branle pour poursuivre une enquête légitime. Comme le reconnaît le juge d’instance, « l’agent d’infiltration espérait que l’accusé, suite à la conversation, donne des informations ou adopte un comportement qui lui permette d’obtenir des éléments qui puissent transformer les soupçons en motifs raisonnables de croire qu’il se trouvait dans cette résidence des stupéfiants ». Il ne s’agit pas ici d’une enquête criminelle hypothétique ou d’une « partie de pêche » : les policiers étaient en possession d’informations permettant de faire un lien entre les occupants de la résidence et une conduite criminelle soupçonnée. En frappant à la porte de la résidence, l’agent d’infiltration a respecté la renonciation implicite au droit à la vie privée de l’occupant. Il n’a jamais agi comme intrus sur la propriété privée de ce dernier. Dans ces circonstances, la méthode d’enquête utilisée par le corps policier ne peut être assimilée à une fouille du domicile.

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