R c Leger, 2024 NBBR 72
Lien vers la décision
42. L’article 8 de la Charte garantit que chacun a « droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives » et il a pour but de « protéger les particuliers contre les intrusions injustifiées de l’État dans leur vie privée » (Hunter c Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 RCS 145).
Fouilles, perquisitions ou saisies
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
43. Comme l’a fait remarquer le juge Dickson dans l’arrêt Hunter c Southam Inc., cette limitation du droit garanti par l’article 8, qu’elle soit exprimée sous la forme négative, c’est-à-dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, ou sous la forme positive, comme le droit de s’attendre raisonnablement à la protection de la vie privée, indique qu’il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi.
44. Récemment, dans l’arrêt R c Bykovets, la Cour suprême du Canada a jugé qu’une adresse IP suscite une attente raisonnable en matière de vie privée. La cause R c Bykovets a pris naissance dans le contexte d’une enquête du service de police de Calgary sur des achats frauduleux effectués auprès d’un magasin de vins et spiritueux. La police a communiqué avec une société tierce de traitement des paiements pour obtenir les adresses IP, qui lui ont été remises volontairement. Muni de ces renseignements, le service de police de Calgary a obtenu un mandat comme celui visé dans l’affaire Spencer qui contraint le fournisseur à lui communiquer les renseignements sur l’abonné associé à l’adresse IP. La décision est axée sur les mesures prises par les forces policières pour obtenir les renseignements, plutôt que de les recevoir à l’improviste comme cela s’est passé en l’espèce.
45. Les faits de la présente cause ne font intervenir ni l’article 8 de la Charte ni les principes énoncés dans l’arrêt R c Bykovets. La GRC n’a ni pris des mesures d’enquête ni cherché à obtenir des renseignements pour trouver l’adresse IP qui, en définitive, a été rattachée à M. Leger. C’est plutôt l’UK NCA qui lui a fourni le nom d’utilisateur, l’ID TOX et l’adresse IP située au Canada qui était utilisée pour partager du matériel relatif à l’exploitation d’enfants et pour en discuter à une date donnée. Aucune perquisition n’a été menée par la GRC pour obtenir l’adresse IP de M. Leger.
Contestation du mandat de perquisition
46. La Cour suprême du Canada a décrit la procédure pour contester les autorisations judiciaires, comme les ordonnances de communication et les mandats de perquisition, dans R c Garofoli.
47. Dans R c Clayton, 2023 NSPC 51, au paragraphe 16, le juge Atwood a bien résumé les principes directeurs pour contester les autorisations judiciaires.
[TRADUCTION]
[16] La norme de révision et la procédure de contrôle sont alignées sur les principes directeurs suivants :
• Lorsque l’exclusion d’éléments de preuve est l’objectif premier d’une motion fondée sur la Charte, le procès est le forum approprié : Garofoli, page 1450.
• Un mandat qui autorise une forme de perquisition est assujetti à un niveau plus élevé de contrôle sur le plan constitutionnel qu’une conduite qui ne requiert pas de mandat : R. c. Golub, 1997 CanLII 6316 (ON CA), 1997 CarswellOnt 2448, paragraphes 18 et 19 (CA).
• Un mandat ou une ordonnance qui fait l’objet d’un contrôle est présumé valide : R c. Pires ; R. c. Lising, 2005 CSC 66, paragraphe 30 ; R. c. Knott, 2021 NSSC 255, paragraphe 11 ; R. c. Sadikov, 2014 ONCA 72, paragraphe 83.
• Le fardeau de prouver que la dénonciation était insuffisante repose sur l’accusé : R. c. Campbell, 2011 CSC 32, paragraphe 14.
• Une révision n’est pas une nouvelle audition de la demande : R. c. Araujo, 2000 CSC 65, paragraphe 51 [Araujo] ; R. c. Wint, 2022 NSSC 367, paragraphe 8 [Wint].
• Le juge siégeant en révision doit appliquer une norme de révision empreinte de déférence : R. c. Durling, 2006 NSCA 124, paragraphe 14.
• Le juge siégeant en révision ne substitue pas son évaluation de la dénonciation à celle du juge qui a accordé l’autorisation : R. c. Vu, 2013 CSC 60, paragraphe 16 [Vu] ; Wint ; R. c. Hobin, 2023 NSPC 12, paragraphes 14-25 [Hobin].
• La question fondamentale à résoudre est celle de savoir si le juge qui a accordé l’autorisation était fondé de le faire au vu de la preuve, et non de savoir si le juge siégeant en révision l’aurait accordée : Vu.
• Le critère consiste à savoir s’il existe quelque élément de preuve fiable auquel le juge aurait pu raisonnablement ajouter foi pour délivrer un mandat : R. c. Morelli, 2010 CSC 8, paragraphe 40 [Morelli] ; Araujo, paragraphe 51.
• Le tribunal siégeant en révision doit examiner l’ensemble de la dénonciation contestée et ne doit pas s’engager dans une analyse du texte paragraphe par paragraphe : R. c. Saunders, 2003 NLCA 63, paragraphes 11-15, conf. 2004 CSC 70 ; Hobin, paragraphe 15.
• Une dénonciation n’a pas à être un modèle de rédaction juridique : R. c. Downey, 2017 NSSC 65, paragraphe 7 ; R. c. Nguyen, 2011 ONCA 465, paragraphe 57 [Nguyen 2011].
• Le juge siégeant en révision doit reconnaître que le juge qui a délivré le mandat était autorisé à tirer des inférences raisonnables de la preuve présentée dans les dénonciations : Vu ; R. c. Shiers, 2003 NSCA 138, paragraphe 14 ; R. c. Burgoyne, 2018 NSPC 13, paragraphe 14 ; R. c. Allain, 1998 CanLII 12250 (NB CA), [1998] A.N.‑B. no 436, paragraphe 11 (C.A.).
• Une dénonciation n’a pas à offrir des éléments de preuve corroborant chaque détail des renseignements fournis par un dénonciateur confidentiel [DC] ; l’auteur de la dénonciation n’a pas non plus à confirmer un tuyau comme s’il avait été témoin de la perpétration d’une infraction : R. c. Bajich, 2019 ONCA 586, paragraphe 16.
• Néanmoins, un tribunal siégeant en révision doit être attentif aux déclarations faites dans la dénonciation dont la source est mal indiquée ou non indiquée. Les renseignements obtenus d’un DC doivent être convaincants, corroborés et crédibles : R. c. Debot, 1989 CanLII 13 (CSC), [1989] A.C.S. no 118, paragraphe 60.
• Le tribunal doit examiner le degré de détail fourni par un DC ; lorsque les détails sont peu nombreux, la police devra effectuer plus de vérifications quant au tuyau : Debot, paragraphe 50. Voir également M. Biddulph, « The Privacy Paradox: Marakah, Mills, and the Diminished Protections of Section 8 » (2020), 43:5 Man. L.J. 161, page 178.
• La dénonciation doit indiquer clairement si le DC était présent lorsque l’événement ou la transaction qui fait l’objet du tuyau s’est déroulé. Si le DC ne fait que transmettre de l’information reçue de quelqu’un d’autre, la fiabilité du tuyau est remise en cause. Le DC a-t-il été personnellement témoin de ce que décrit le tuyau ? R. c. Beauregard, 1999 CanLII 13778 (QC CA), [1999] J.Q. no 1109, paragraphe 17 (C.A.).
• Lorsqu’il évalue l’information contenue dans une dénonciation qui provient d’un DC, le tribunal siégeant en révision doit tenir compte de l’ensemble des circonstances, y compris : a) le degré de détail du tuyau ; b) la source des connaissances du DC ; c) les indices quant à la fiabilité du DC, comme ses réalisations passées ou des confirmations d’autres sources de renseignements : R. c. Demirovic, 2022 NSCA 56, paragraphes 23‑24 ; R. c. Morris, 1998 NSCA 229 (CanLII), [1998] N.S.J. No. 492, paragraphe 30 (C.A.).
• Un juge siégeant en révision doit vérifier si une dénonciation satisfait à toutes les conditions légales requises pour qu’une ordonnance soit rendue, comme le fait que la dénonciation contient l’information adéquate qui aurait permis au fonctionnaire judiciaire d’être convaincu qu’il était satisfait aux exigences : R. c. Nguyen, 2023 ONCA 367, paragraphes 45-55 [Nguyen 2023] ; R. c. Wallace, 2017 ONSC 132, paragraphe 78.
• Le juge siégeant en révision doit vérifier que l’auteur de la dénonciation y a fourni des informations complètes, franches et équitables : Nguyen 2011, paragraphes 48-50.
• Si un mandat ou une ordonnance est jugé invalide, toute perquisition autorisée sur son fondement doit être traitée comme une perquisition effectuée sans mandat, la rendant ainsi présumément abusive et donc contraire à l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, article 7, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [la Charte]. L’article 8 dispose :
Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
• Comme dans toute demande fondée sur la Charte, l’accusé doit convaincre le tribunal de révision, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu une atteinte à un droit protégé par la Charte suffisamment importante pour qu’il soit justifié d’écarter des éléments de preuve à titre de mesure de réparation accordée en application du paragraphe 24(2) de la Charte : R c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, page 277 [Collins].
[Je souligne]
48. Dans R c Savoy, 2012 NBCA 36, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a décrit la question à laquelle doit répondre le juge du procès qui examine si le mandat aurait dû être délivré. Essentiellement, il doit se demander si un juge qui aurait agi de façon judiciaire aurait délivré un mandat sur la foi de l’information fournie.
[20] Il ressort nettement des motifs du juge du procès qu’il n’a pas appliqué la norme appropriée lorsqu’il a révisé le fondement de la dénonciation expurgée. Au lieu de se demander s’il aurait décerné le mandat sur la foi de l’information réduite dont il disposait, il aurait dû s’appliquer à répondre à la question suivante : un juge, agissant de façon judiciaire, aurait‑il pu décerner le mandat sur la foi de l’information explicite, ou raisonnablement implicite, de la dénonciation expurgée? […]
[Je souligne]