R c Leger, 2024 NBBR 72
37. La question préliminaire à trancher dans le présent voir-dire est celle de savoir si l’UK NCA est assujettie à la Charte. Le paragraphe 32(1) de la Charte délimite la portée territoriale de l’application de cette dernière.
Application de la charte
32. (1) La présente charte s’applique :
a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les Territoires du Nord-Ouest ;
b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.
38. La Cour suprême du Canada a statué que la Charte ne s’applique pas aux fouilles, aux perquisitions ou aux saisies effectuées dans d’autres pays par des autorités étrangères (R c Harrer, 1995 CanLII 70 (CSC), [1995] 3 RCS 562, paragraphes 15 et 35, et R c Terry, 1996 CanLII 199 (CSC), [1996] 2 RCS 207, paragraphe 19). En effet, la Charte s’applique au gouvernement du Canada ou à ses mandataires (R c McGregor, 2023 CSC 4, paragraphe 70).
70. […] Appliquer la Charte à la conduite des agents canadiens exerçant leurs fonctions à l’étranger n’est pas la même chose que d’exiger que les lois canadiennes en matière de procédure criminelle régissent une enquête menée à l’étranger (Currie et Rikhof, p. 634). La Charte ne régit pas les activités des agents étrangers, et les agents canadiens qui se livrent à des activités d’exécution de la loi dans un autre État doivent respecter les lois de cet État (R. c. Terry, 1996 CanLII 199 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 207, par. 19 ; R. c. Harrer, 1995 CanLII 70 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 562, par. 15). […]
39. La qualification d’une partie comme « mandataire » du gouvernement canadien n’inclut pas les autorités d’un autre pays qui sont assujetties aux lois de ce pays. Par exemple, dans Schreiber c Canada (Procureur général), 1998 CanLII 828 (CSC), paragraphe 31, la Cour suprême du Canada a conclu que l’organisme du gouvernement canadien qui envoie une lettre aux autorités suisses n’est pas susceptible d’examen en application de l’article 8 de la Charte.
31. […] En elle‑même, la lettre de demande ne fait pas entrer en jeu l’art. 8 de la Charte. Toutes les mesures de contrainte étatique portant atteinte à la vie privée de l’intimé ont été prises en Suisse, par les autorités de ce pays. Ni les actions des autorités suisses ni les lois autorisant ces actions ne sont susceptibles d’examen en vertu de la Charte ; voir R c. Terry, 1996 CanLII 199 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 207, à la p. 217. La Charte ne protège personne contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives dans l’abstrait. Elle protège plutôt chacun contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives, notamment celles effectuées par le gouvernement du Canada.
40. L’arrêt R c Hape, 2007 CSC 26, fournit un autre exemple de ce principe. La Cour suprême y a examiné l’application de la Charte à l’analyse des actions d’agents de la GRC qui avaient effectué des fouilles, des perquisitions et des saisies dans un pays étranger. En examinant sa jurisprudence, la Cour a indiqué que, par leur nature même, les infractions commises en ligne le sont au mépris des frontières.
98. La criminalité transnationale s’accroît dans notre monde moderne où personnes, biens et fonds circulent avec fluidité d’un pays à l’autre. Certains des crimes les plus coûteux, abusifs ou dangereux sont commis à l’échelle mondiale, au mépris des frontières nationales. La collaboration entre les États s’impose pour la détection et la répression de cette activité criminelle. Dans une enquête menée en collaboration, le Canada ne peut pas simplement cesser de collaborer lorsque l’autre pays insiste pour suivre sa propre procédure d’enquête et d’application de la loi plutôt que la nôtre. Notre pays manquerait non seulement à son engagement envers les autres États et la communauté internationale en matière de lutte contre la criminalité transnationale, mais aussi à son obligation envers les Canadiens de veiller à ce que les crimes ayant un lien avec le Canada fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites. Dans l’arrêt Harrer, la juge McLachlin fait les remarques suivantes (par. 55) :
Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce [que les forces policières d’un autre pays] se conforment aux particularités de la loi canadienne. Insister sur la conformité à la loi canadienne reviendrait à insister pour que la Charte soit appliquée dans ce pays étranger de préférence à la loi nationale. Cela rendrait difficile, voire impossible, la poursuite des infractions qui revêtent des aspects internationaux. Et cela minerait l’éthique de réciprocité qui sous‑tend les efforts internationaux de lutte contre la criminalité transnationale : Argentina c. Mellino, 1987 CanLII 49 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 536, à la p. 551, le juge La Forest. Nous vivons à une époque où les personnes, les biens et l’information circulent d’un pays à l’autre très rapidement. Les autorités chargées d’appliquer la loi doivent, pour faire leur travail, arrêter des personnes et intercepter des biens et des communications là où ils se trouvent. Souvent elles travaillent avec des agents de police dans des pays étrangers ; souvent elles ne sont que les destinataires de renseignements recueillis ailleurs de façon indépendante [...] Nous devons composer avec le fait que des pays différents appliquent des règles différentes à la collecte des éléments de preuve, lesquelles règles doivent être respectées dans une certaine mesure si nous devons conserver la capacité de poursuivre ceux que les crimes et les voyages emmènent au‑delà de nos frontières.
99 L’individu qui se livre à une activité criminelle non confinée au territoire canadien ne peut être assuré de bénéficier à l’étranger des droits garantis par la Charte. Notre Cour a déjà affirmé qu’une personne doit s’attendre à être régie par les lois du pays où elle se trouve et dans lequel elle effectue des opérations financières — c’est la décision d’aller à l’étranger ou d’y exercer ses activités qui déclenche l’application du droit étranger : Terry, par. 24 et 26 ; Schreiber, par. 23. La collaboration entre les États s’impose pour que la criminalité transnationale ne demeure pas impunie en profitant des brèches que les problèmes de compétence ménagent dans les frontières nationales. Dans une affaire de trafic de drogues — États‑Unis d’Amérique c. Cotroni, 1989 CanLII 106 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1469 —, le juge La Forest a fait la remarque suivante (p. 1485) :
La communauté criminelle internationale ne respecte les frontières nationales que lorsqu’elles peuvent permettre de contrecarrer les efforts des autorités judiciaires et des organismes chargés d’appliquer la loi. Le trafic de drogues qui nous intéresse en l’espèce est une entreprise de niveau international dont les enquêtes et les poursuites y relatives ainsi que la répression, exigent le recours à des outils efficaces de coopération internationale.
Pour favoriser cette collaboration, et dans l’esprit de la courtoisie, le Canada ne peut exiger que la Charte s’applique dans d’autres pays et, à défaut, refuser sa coopération. Lorsque les autorités canadiennes sont les invitées de l’État étranger dont elles sollicitent l’assistance pour les besoins d’une enquête criminelle, les règles de l’État d’accueil priment.
[Je souligne]
41. En conséquence, en naviguant en ligne, M. Leger s’est exposé à des enquêtes d’autorités d’autres pays, des enquêtes qui ne seraient pas assujetties à la Charte. L’UK NCA serait un tel organisme auquel la Charte ne s’applique pas.
55. Bien que la Charte ne s’applique pas aux actions des gouvernements étrangers, les éléments de preuve obtenus à l’étranger sont susceptibles d’être écartés si leur admission a eu pour conséquence de rendre le procès inéquitable ou de porter atteinte aux principes de justice fondamentale dont bénéficie un accusé au Canada (R c Hape, paragraphes 100, 107 et 108).
56. Dans les arrêts R c Harrer, R c Terry et R c Hape, la Cour suprême du Canada a indiqué que les éléments de preuve recueillis à l’étranger peuvent être écartés dans un procès canadien s’ils ont été recueillis d’une manière qui minerait l’équité du procès ou qui violerait les principes de justice fondamentale.
57. Cependant, il est essentiel de retenir en l’espèce que les renseignements communiqués par l’UK NCA ne constituent pas la preuve sur laquelle était fondée la dénonciation préparée en vue d’obtenir l’ordonnance de communication ou celle en vue d’obtenir le mandat de perquisition. La GRC a mené sa propre enquête qui a été décrite en détail dans la dénonciation et qui a servi de fondement aux accusations portées contre M. Leger. Les renseignements communiqués par l’UK NCA ne prouvent pas la perpétration d’une infraction dont M. Leger a été accusé, mais sont plutôt les renseignements qui ont incité les autorités canadiennes à amorcer une enquête.
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