Autorité des marchés financiers c. Simard, 2023 QCCQ 10058
[13] L’article 13 de la Charte prévoit que « [c]hacun a droit à ce qu'aucun témoignage incriminant qu'il donne ne soit utilisé pour l'incriminer dans d'autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires. »
[14] Dès 1985, la Cour suprême mentionnait que cette protection s’appliquait à un nouveau procès, lequel doit être considéré comme une « autre procédure » dans ce contexte[9]. Dans Henry, arrêt sur lequel la Requérante appuie son argument, la Cour a refusé de reconsidérer Dubois et en a appliqué les principes[10]. Cependant, outre ce principe général, la Requérant n’appuie sa position sur aucune autre décision correspondant à l’espèce.
[15] Cette position se heurte à deux considérations dirimantes. Ainsi, si un second procès tenu à la suite de l’annulation du premier par une cour d’appel est une « autre procédure », ce n’est pas le cas du procès tenu à la suite du retrait d’un plaidoyer de culpabilité. Dans Poitras, la Cour d’appel a écarté cette analogie qui était alors proposée par la Couronne aux fins du calcul des délais dans le cadre d’une requête de type Jordan[11]. Selon la Cour, le retrait de plaidoyer qui est accordé constitue la reconnaissance de son invalidité[12] et la remise en état de l’instance au point où elle était lors de l’enregistrement du plaidoyer de culpabilité.
[16] Pour arriver à cette conclusion, notre Cour d’appel cite avec approbation[13] l’arrêt Way de la Cour d’appel de l’Alberta[14]. Dans cette affaire, encore dans un contexte de calcul des délais, la Cour est venue à la conclusion qu’un avortement de procès (« mistrial ») causé par l’impossibilité pour le jury de s’entendre sur un verdict, ne remettait pas à zéro l’horloge constitutionnelle. Comme notre Cour d’appel dans Poitras, elle distinguait cette circonstance de celle suivant une ordonnance de nouveau procès[15], notamment parce que les accusations et le procès n’avaient pas connu une fin définitive. La Cour concluait que les procédures se poursuivaient selon les paramètres usuels imposés dans Jordan, compte-tenu des délais pouvant être déduits en lien avec la « circonstance exceptionnelle » que constitue l’avortement du procès. Le Tribunal considère qu’il serait illogique qu’un plaidoyer de culpabilité reconnu comme invalide par son retrait puisse amener une conclusion différente.
[17] L’autre pierre d’achoppement de la proposition de la Requérante est qu’un aveu judiciaire auquel s’applique, avec les adaptations nécessaires vu le contexte d’une poursuite pénale, les principes applicables à l’art. 655 C.cr. ne constitue pas un « témoignage » au sens de l’art. 13 de la Charte. Dans Nedelcu, la Cour suprême concluait que « la partie qui invoque l’art. 13 doit d’abord démontrer qu’elle a été contrainte de donner un « témoignage incriminant » dans la procédure initiale. Si elle ne satisfait pas à cette double exigence, l’art. 13 ne s’applique pas et le débat est clos. »[16]
[18] Se fondant sur ce principe, la Cour d’appel de l’Alberta concluait dans Cameron[17] qu’un « exposé conjoint des faits » concernant des infractions à la loi sur les valeurs mobilières de la Colombie-Britannique signé précédemment par un accusé dans le cadre d’une convention de règlement pouvait être utilisé pour le contre-interroger lors d’un procès pour fraude fiscale. Selon la Cour, « la protection offerte par l’article 13 ne s’applique qu’aux témoignages faits sous serment dans une procédure antérieure. »[18] Après avoir rappelé le principe du quid pro quo énoncé dans Noël et Nedelcu[19], la Cour s’explique ainsi :
[38] Ce marché sous-jacent ne tient pas si le témoignage issu de la procédure initiale n’a pas été fait sous serment et ne peut donc pas donner lieu à une poursuite pour parjure ou pour témoignages contradictoires. Appliquer l’article 13 aux témoignages non solennels permettrait à une personne de fournir des témoignages incompatibles dans deux procédures et d’éviter d’être poursuivie et d’être tenue responsable des contradictions lors de la seconde procédure. Cette approche irait à l’encontre de l’objectif de cet article, qui est d’encourager une personne à dire la vérité lors de la première procédure en limitant l’utilisation de ce témoignage dans une procédure ultérieure à une poursuite pour ne pas avoir dit la vérité. À notre avis, compte tenu de l’objectif de l’article 13, il ne s’agit pas de l’interprétation qu’il convient de donner à cet article. La protection offerte par l’article 13 se limite aux témoignages faits sous serment dans la procédure initiale.
[19] Enfin, sur l’applicabilité de l’art. 13 de la Charte à des admissions, la Cour d’appel de l’Ontario avait eu à se pencher sur une question similaire dans Baksh[20], puis dans Smith[21]. Dans ces arrêts, elle en était venue à la conclusion que des admissions faites sous l’égide de l’art. 655 C.cr. dans le cadre d’un premier procès pouvaient être déposées en preuve lors d’un second procès mais sans les contraintes usuelles qui en découlent. Ainsi, ces admissions pouvaient être expliquées, attaquées ou contredites comme peut l’être tout autre aveu non-judiciaire d’un accusé.
[20] Pour arriver à cette conclusion, la Cour mentionnait :
[3] Nor do we agree that using that agreed statement of facts violated the appellant’s s.13 Charter rights. Making a voluntary admission is not the equivalent of testifying at trial and R. v. Dubois, 1985 CanLII 10 (SCC), [1985] 2 S.C.R. 350 and R. v. Henry, 2005 SCC 76 (CanLII), [2005] 3 S.C.R. 609 are distinguishable on that basis.[22]
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