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vendredi 4 juillet 2025

Le pouvoir discrétionnaire du poursuivant est une facette fondamentale de notre système de justice pénale contradictoire et il doit être assidûment protégé par les tribunaux

R. c. Meilleur, 2025 QCCQ 1437



[82]        Techniquement parlant, la décision de porter ou non des accusations relève du pouvoir discrétionnaire du DPCP.

[83]        Une jurisprudence abondante et constante des tribunaux d’appel énonce que le pouvoir discrétionnaire du poursuivant est une facette fondamentale de notre système de justice pénale contradictoire. Ainsi, il doit être assidûment protégé par les tribunaux. Les juges doivent se garder d’empiéter sur l’arène de l’Exécutif. Les décisions relatives aux poursuites criminelles mettent en cause des considérations importantes reliées à l’intérêt public, qui à son tour impliquent des attributs juridiques et politiques. Pourvu que le poursuivant agisse avec dignité et équité, en l’absence d’abus de procédure ou d’inconduite flagrante, la Couronne est ultimement redevable au Parlement ou à l’Assemblée nationale. Les membres du public sont libres de porter le comportement d’un procureur à l’attention des élus. Si les juges de procès tentaient de contrôler l’exercice par le poursuivant de son pouvoir discrétionnaire, le Tribunal deviendrait un « poursuivant superviseur » et il cesserait, par le fait même, d’être un arbitre indépendant et impartial.

[84]        Il n’appartient surtout pas aux tribunaux de dicter au ministère public comment exercer son pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à la décision de quelles personnes seront inculpées ou le timing du dépôt des accusations. La décision d’intenter – ou non – des poursuites est l’une des composantes essentielles du pouvoir discrétionnaire de la Couronne[79].

[85]        Par ailleurs, en l’absence d’une preuve claire justificative, le Tribunal ne peut même pas questionner la Couronne quant aux considérations qui ont servi de fondement à ses décisions discrétionnaires[80]. Une simple allégation d’abus de procédure ou encore des allégations non étayées de corruption ne suffisent pas pour déclencher l’examen judiciaire des décisions stratégiques du poursuivant. Comme l’a expliqué la juge Charron dans l’arrêt R. c. Nixon :

Avant de discuter du bien‑fondé de la demande, je veux traiter d’une question préliminaire importante. Comme il a déjà été mentionné, le PGCB est intervenu dans le présent pourvoi pour insister sur l’importance que les cours de juridiction criminelle s’abstiennent de contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites avant d’avoir d’abord pris la « décision préliminaire » que l’examen est justifié. Je suis d’accord que les tribunaux ne doivent pas examiner les motifs qui sous‑tendent les actes résultant de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites s’ils ne peuvent s’appuyer sur une preuve suffisante. Toutefois, selon moi, la preuve qu’une entente sur le plaidoyer a été conclue et, par la suite, répudiée par la Couronne satisfait au critère préliminaire. Je m’explique.

Comme le PGCB le souligne à juste titre, l’imposition aux tribunaux d’une exigence selon laquelle ils doivent d’abord se prononcer quant à l’utilité de la tenue d’une enquête fondée sur la Charte n’a rien de nouveau : R. c. Pires2005 CSC 66 (CanLII)[2005] 3 R.C.S. 343. Il faut également satisfaire à des critères préliminaires semblables dans d’autres domaines du droit criminel; ils ne constituent pas une anomalie. Des conditions préliminaires peuvent être imposées uniquement pour des raisons pragmatiques.  Comme la Cour l’a fait remarquer dans Pires (par. 35) :

Pour que notre système de justice fonctionne, les juges qui président les procès doivent être en mesure de veiller au bon déroulement des instances.  L’un des mécanismes leur permettant d’y arriver est le pouvoir de refuser de procéder à une audition de la preuve lorsque la partie qui en fait la demande est incapable de démontrer qu’il est raisonnablement probable que cette audience aidera à résoudre les questions soumises au tribunal.

Hormis de telles considérations pragmatiques, il existe de bonnes raisons d’imposer un fardeau initial au demandeur qui prétend qu’un acte résultant de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites constitue un abus de procédure.  Comme de telles décisions échappent généralement à la compétence du tribunal, il ne suffit pas d’entreprendre un examen pour qu’un demandeur puisse faire une simple allégation d’abus de procédure.  Par exemple, un demandeur ne saurait prétendre qu’il y a eu abus de procédure au simple motif que la Couronne a décidé de donner suite aux accusations portées contre lui mais retiré des accusations similaires portées contre un coaccusé.  En l’absence de tout autre élément, rien ne justifierait que le tribunal examine les motifs qui sous‑tendent l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites[81].

[gras ajouté]

[86]        Dans l’arrêt R. c. Anderson, le juge Moldaver a abondé dans le même sens, réitérant la nécessité d’une preuve apparente avant que le Tribunal n’embarque dans un examen des motifs ayant motivé la prise de décisions discrétionnaires par la Couronne :

 

Le fait d’obliger le demandeur à établir l’existence d’une preuve suffisante avant que la cour entreprenne l’examen des motifs qui sous‑tendent l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites respecte la présomption selon laquelle ce pouvoir est exercé de bonne foi : Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re)2004 CSC 42 (CanLII)[2004] 2 R.C.S. 248, par. 95.  Notre Cour a confirmé cette approche dans Sriskandarajah, par. 27, où elle a dit que « sauf preuve de sa mauvaise foi ou du caractère inapproprié de ce qui l’a animé, le poursuivant n’est pas tenu de motiver sa décision »[82].

[gras ajouté]

[88]        Bien que la requérante soit en désaccord avec cette décision de la Couronne, il n’appartient pas au Tribunal de reconsidérer le choix fait par le poursuivant. Elle a déposé une demande de révision auprès du DPCP, mais elle n’y fait pas confiance[84]. Cela lui appartient.

[89]        Malgré les allégations vagues de corruption et d’ingérence qu’avance la requérante dans sa requête, le Tribunal ne décèle aucune preuve de conduite malveillante, vexatoire ou autrement préjudiciable de la part du ministère public.

[90]        Au même effet, il n’y a aucune preuve suggérant que les policiers ont fait preuve de favoritisme[85] dans l’exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires ou dans leur façon de mener l’enquête. Comme l’a rappelé la Cour suprême dans l’arrêt Hill c. Hamilton, un enquêteur peut exercer son pouvoir discrétionnaire comme il le juge opportun, à condition de respecter les limites de la raisonnabilité. La norme de diligence dont on s’attend des policiers ne commande pas une démarche parfaite, ni même optimale, lorsqu’on la considère avec le recul[86].

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