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dimanche 4 mars 2018

Le privilège relatif au litige et sa portée

R. c. Antoine, 2016 QCCS 5047 (CanLII)

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[24]        Dans l’arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice), la Cour suprême examine la portée du privilège relatif au litige que les tribunaux américains désignent comme le attorney work product.
[25]        Selon le juge Fish, le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique servent une cause commune : l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit. En outre, ils sont complémentaires et n’entrent pas en concurrence l’un avec l’autre. Le privilège relatif au litige crée une « zone de confidentialité » à l’occasion ou en prévision d’un litige. Le privilège relatif au litige prend naissance et produit ses effets même en l’absence d’une relation avocat-client et il s’applique sans distinction à toutes les parties, qu’elles soient ou non représentées par un avocat. La partie qui se défend seule a autant besoin d’une « zone de confidentialité » qu’une partie représentée par avocat; elle devrait donc y avoir droit.
[26]        Dans l’arrêt R. c. Daveyla Cour suprême examine la question de savoir si les opinions formulées par les policiers au sujet de candidats jurés doivent être communiquées à l’accusé.
[27]        La juge Karakatsanis résume ainsi l’argumentation présentée par la poursuite :
[44]      L’intimée répond que l’obligation de communication ne s’est jamais appliquée aux opinions et aux connaissances générales des poursuivants et de la police (à l’exception des opinions pouvant constituer des éléments de preuve). De simples opinions exprimées par des personnes liées à la poursuite que la Couronne consulte en vue du procès, relativement à des décisions de nature tactique ou discrétionnaire, ne sont pas assujetties à l’obligation de communication. Le seul fait que ces opinions pourraient être utiles à la défense ne fait pas naître une obligation de communication. L’intimée assimile les annotations en cause aux analyses, opinions et stratégies protégées par le privilège relatif au litige ou le privilège relatif au produit du travail de l’avocat.
[28]        Ainsi, comme le fait voir ce passage, le privilège relatif au litige protège les analyses, opinions et stratégies de la poursuite et des corps policiers.
[29]        Les auteurs de l’ouvrage The Law of Evidence, Fourth Edition, décrivent la règle en ces termes :
§14.198 Litigation privilege applies to the work product of the Crown in a criminal case and includes the work produced by the police for the preparation of the trial. It would not include similar work produced by the police during the investigation stages leading up to the prosecution of the accused, which would be subject to disclosure obligations.
[30]        Les principes formulés dans l’arrêt R. c. Davey sont utiles à l’identification des principes qui devraient recevoir application en l’espèce.
[31]        Voici comment la juge Karakatsanis formule ses observations :
[46]      Il me semble que des impressions générales, des faits possédant un caractère notoire dans la communauté ou relevant d’une connaissance personnelle, des rumeurs ou des intuitions n’ont pas à être communiqués : voir Yumnu, par. 64. Dans la mesure où l’information à la base de tels renseignements peut être aisément trouvée par des membres de la communauté, elle n’est pas liée au rôle que joue la poursuite en qualité d’agent de l’État ou à l’accès disproportionné de la Couronne à certaines ressources, et cette dernière n’est pas tenue de communiquer de l’information qu’il est facile d’obtenir autrement. La même logique s’applique aux renseignements concernant un candidat juré qui sont aisément accessibles sur Internet. De plus, les sentiments subjectifs, les intuitions ou les soupçons des membres de l’équipe chargée des poursuites au sujet de candidats jurés ne suscitent pas « la crainte prépondérante que la non-divulgation n’empêche l’accusé de présenter une défense pleine et entière » : Stinchcombe, p. 336. Par exemple, la Couronne n’aurait donc pas à communiquer des observations concernant le comportement d’une personne en salle d’audience ou encore des opinions basées sur l’expérience générale, le jugement ou des renseignements publics.
[47]      Lorsque la Couronne obtient des renseignements susceptibles d’avoir une incidence sur le processus de sélection du jury, elle doit les communiquer à la défense. Comme l’a reconnu notre Cour dans McNeil, par. 24 : « . . . le ministère public ne peut justifier la non-communication de renseignements pertinents en faisant valoir que le service de police chargé de l’enquête a omis de les lui communiquer ». Bien que cette déclaration ait été faite dans le contexte de l’obligation de la police de communiquer des renseignements pertinents découverts durant une enquête sur un crime, elle s’applique tout autant dans le contexte des recommandations que formule un policier à propos de la composition d’un jury sur la foi d’informations recueillies dans le cours d’activités d’application de la loi. La Couronne doit s’enquérir du fondement des opinions qui lui sont fournies et déterminer si ces opinions reposent sur de l’information raisonnablement exacte et émanant de sources fiables.
[48]      Cela ne veut pas dire que la Couronne a l’obligation de communiquer les opinions exprimées par les policiers en plus de l’information sur laquelle ces opinions sont fondées. Tant que l’information à la base des opinions est communiquée, la défense a alors accès aux éléments sur lesquels repose l’opinion et elle pourra en tirer ses propres inférences en vue de l’utilisation de ses récusations péremptoires.
[49]      Toutefois, lorsqu’une policière possède des renseignements pertinents pour le processus de sélection du jury — qu’elle les ait obtenus dans son rôle de policière ou en tant que membre de la communauté concernée —, elle doit les communiquer. Lorsque des policiers font partie de l’équipe chargée de la poursuite, ils ont eux aussi l’obligation d’appuyer l’administration de la justice en communiquant de tels renseignements.
[Le soulignement est ajouté]
[32]        Les accusés soutiennent que les éléments de preuve recherchés sont raisonnablement utiles pour : 1) réfuter la preuve de la poursuite; 2) procéder à une contre-expertise de la traduction des communications privées que la poursuite souhaite présenter en preuve; 3) attaquer la crédibilité du policier qui a traduit ces communications du créole au français; 4) attaquer la force probante de la traduction préparée par ce policier.
[33]        En matière de communication de la preuve, l’arrêt Stinchcombe rejette l’adoption d’une approche restrictive, car la poursuite doit pêcher par inclusion. Bien que l'obligation de la poursuite ne soit pas absolue, elle admet peu d’exceptions. Cette approche s'applique à plusieurs égards : la définition de la pertinence, la portée de la notion « des fruits de l’enquête », les autres renseignements qui se rapportent manifestement à la poursuite engagée contre l’accusé, la détermination de la preuve sous le contrôle ou en possession de la poursuite, la réduction de l’écart entre la communication de la preuve et la preuve en possession des tiers (bridging the gap between first party disclosure and third party production) et l’application des privilèges.

La divulgation électronique est permise si l'information est raisonnablement accessible

R. c. Antoine, 2016 QCCS 5047 (CanLII)

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[39]        La poursuite a admis que même si la communication de la preuve est complétée, le support numérique actuel est inadéquat. En effet, la jurisprudence pose le principe que la divulgation électronique est utile si l'information est raisonnablement accessible. Ce n’est pas le cas pour l’instant.

L’obligation des policiers de rédiger des notes


R. c. Antoine, 2016 QCCS 5047 (CanLII)

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[20]        Dans l’arrêt Wood c. Schaeffer, la Cour suprême examine la question de l’obligation des policiers de rédiger des notes.
[21]        Selon le juge Moldaver, les policiers ont l'obligation de rédiger des notes exactes, détaillées et exhaustives dès que possible après l'enquête. L'obligation de rédiger des notes constitue, à tout le moins, un aspect implicite de l'obligation qu'a tout policier de faciliter le dépôt d'accusations et le déroulement des poursuites. L'importance que revêtent les notes prises par un policier aux yeux du système de justice pénale est évidente. Les notes de l'enquêteur constituent souvent la toute première source d'éléments de preuve concernant la perpétration d'un crime. Leur teneur se rapproche possiblement le plus de ce que le témoin a effectivement vu ou vécu. Comme elles représentent le premier constat dressé, les notes sont susceptibles d'être le compte rendu le plus fidèle.
[22]        Dans l’arrêt R. c. Vu, le juge Cromwell souligne l’importance pour les policiers de prendre des notes lors de l’exécution d’un mandat de perquisition, particulièrement lors de la fouille d’un ordinateur. Il écrit :
[70]      Cela dit, la fouille des ordinateurs en l’espèce présente toutefois deux aspects assez troublants. Premièrement, le sergent Wilde a admis dans son témoignage qu’il avait intentionnellement omis de prendre des notes durant cette fouille afin de ne pas avoir à témoigner sur les détails de celle-ci. Il s’agit là d’une conduite clairement répréhensible, qui ne saurait être tolérée. Bien que je ne décide pas, en l’espèce, que de telles notes sont requises sur le plan constitutionnel, les policiers devraient à mon avis prendre des notes sur la façon dont la fouille est effectuée, sauf en cas de situations pressantes ou inhabituelles. La prise de notes est particulièrement souhaitable lors de la fouille d’ordinateurs, étant donné que les policiers pourraient ne pas être en mesure de se rappeler en détail comment ils y ont procédé. Deuxièmement, tout comme la juge de première instance, je suis préoccupé par le fait que le sergent Wilde a obtenu des éléments de preuve en fouillant, après l’expiration de l’ordonnance de détention, l’un des ordinateurs qui avaient été saisis. Cette fouille visait toutefois l’ordinateur de sécurité, et la preuve ainsi recueillie n’est pas contestée en vertu du par. 24(2), comme je l’ai expliqué précédemment.
[Le soulignement est ajouté]
[23]        Compte tenu des arrêts Michaud et Wood c. Schaeffer, l’exigence formulée dans l’arrêt Vu requiert la prise de notes sur la manière dont la surveillance électronique est effectuée, car les policiers (ou les agents civils, le cas échéant) pourraient ne pas se rappeler en détail comment ils y ont procédé. Il va de soi que ces notes doivent être communiquées aux accusés à moins qu’une règle de droit, tel qu’un privilège, ne s’y oppose.

L'ampleur de la divulgation de la preuve et son organisation (intelligibilité)

R. c. Quan, 2016 QCCQ 170 (CanLII)

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[58]        Or, rien au dossier ne permet d’inférer que les droits constitutionnels des accusés, que ce soit en raison de l’ampleur insurmontable de la divulgation de la preuve ou de son incapacité à comprendre la preuve à venir, ont été violés.
[59]        Le dossier ne contient aucune demande de la défense visant à faire circonscrire la preuve divulguée, ou demandant des précisions ou des éclaircissements quant à la preuve qui sera déposée au procès ou encore la confection d’un cahier de procès.
[60]        La défense plaide qu’elle ne croit pas avoir d’obligation de faire de telles demandes. Le Tribunal n’est pas d’accord. Si pour quelque raisons que ce soit, la défense considère que la divulgation de la preuve est inadéquate, que ce soit parce qu’elle est incomplète ou qu’au contraire elle est tellement volumineuse qu’elle ne sera utile que si elle est circonscrite ou organisée de façon à pouvoir être efficacement consultée (voir par exemple R. c. Oszenaris (2008), 2008 NLCA 53 (CanLII)62 C.R. (6th) 47), elle doit agir de façon diligente pour assurer d’obtenir une divulgation adéquate (R. c. Bramwell 1996 CanLII 156 (CSC)[1996] 3  R.C.S. 1126R. c. Girimonte (1997), 1997 CanLII 1866 (ON CA)12 C.R. (5th) 332).
[61]        Lors de son témoignage, la gendarme Gagné a démontré au Tribunal de quelle façon est organisée la preuve divulguée, laquelle est offerte sur format informatique.
[62]        Le Tribunal fut à même de constater que la présentation de la preuve est conviviale, qu’elle permet de repérer relativement facilement les documents recherchés, que plusieurs résumés ou sommaires expliquent ce que démontrent les éléments de preuves qui y sont joints.
[63]        Le Tribunal note également qu’en aucun temps la défense n’a prétendu ne pouvoir procéder en raison de son incapacité à préparer le procès, le jury ayant même été choisi.
[64]        Le Tribunal note également que lors de l’exercice de gestion fait en utilisant la liste des témoins de la poursuite, la défense fut à même d’évaluer la durée prévue de ses contre-interrogatoires ainsi que celle d’une possible défense.
[65]        De plus, les discussions en salle d’audience quant aux admissions sollicitées par la poursuite révèlent un niveau étendu de compréhension de la preuve.

La requête en cassation de l’acte d’accusation direct


R. c. Quan, 2016 QCCQ 170 (CanLII)

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[39]        Il y a lieu dans un premier temps de rappeler la norme d’intervention lorsqu’on demande à un tribunal d’examiner le comportement de la poursuite dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.
[40]        À cet effet, récemment, dans l’arrêt Anderson, la Cour suprême du Canada vient justement de préciser ce qu’englobe le pouvoir discrétionnaire de la poursuite et les circonstances pouvant en justifier l’examen et le contrôle.
[41]        Parlant pour la Cour, le juge Moldaver mentionne spécifiquement que le pouvoir de procéder par voie de mise en accusation directe fait partie de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la poursuite (para. 44).
[42]        Il rappelle cependant que l’exercice de ce pouvoir ne permet pas au poursuivant de se libérer de ses obligations constitutionnelles (para. 45).
[43]        Bien que ce pouvoir ne soit pas à l’abri de toute surveillance, le juge Moldaver rappelle que les tribunaux doivent faire preuve de grande déférence envers l’exercice de celui-ci et s’abstenir de le remettre en cause systématiquement. Cette déférence permet le respect du principe du partage des pouvoirs de notre système démocratique et garantit l’efficacité du système de justice criminelle et pénale, ce pouvoir se prêtant particulièrement mal à l’exercice du contrôle judiciaire (para. 46).
[44]        Pour ces raisons, le pouvoir discrétionnaire de la poursuite ne doit faire l’objet d’une intervention judiciaire que dans les seuls cas où il y a abus, c'est-à-dire lorsqu’il est démontré que la conduite du poursuivant est inacceptable et compromet sérieusement l’équité ou l’intégrité du système de justice (para. 50 et 51). Le fardeau de faire la preuve d’un tel comportement par prépondérance, reposant sur les épaules du requérant (para. 52).
[45]        Qu’en est-il en l’espèce?
[46]        La défense a bien précisé qu’elle ne reproche aucune mauvaise foi ou malhonnêteté au poursuivant, plaidant plutôt que le motif invoqué par la poursuite pour justifier le dépôt d’un acte d’accusation direct n’étant pas l’un des motifs énoncés dans la ligne directrice du SPPC, elle a donc été illégitimement privée de l’enquête préliminaire, ce qui amène une violation de ses droits justifiant la réparation demandée.
[47]        Le Tribunal n’est pas de cet avis. La ligne directrice du SPPC mentionne dans la section Énoncé de principe qu’il pourra y avoir dépôt d’un acte d’accusation direct que dans des circonstances impliquant des violations graves de la loi et lorsqu’il est dans l’intérêt public de procéder ainsi.
[48]        Elle énonce, entre autres circonstances, qu’il est dans l’intérêt public de déposer un acte d’accusation direct lorsque le droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable pourrait être compromis ou lorsqu’il est nécessaire d’accélérer les procédures afin de maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice.
[49]        À première vue, les circonstances du présent dossier en mai 2013 pouvaient permettre à la poursuivante de considérer qu’il était dans l’intérêt public de procéder par acte d’accusation direct. Les procédures avaient commencé deux ans auparavant, la question des honoraires retardait toujours le dossier, les délais s’étiraient.
[50]        Il n’y a donc pas lieu, en l’absence de preuve prépondérante d’abus, de pousser plus loin l’examen de l’exercice de la discrétion de la poursuivante.
[51]        Lors de ses représentations, la défense a mis beaucoup d’emphase sur l’utilité de l’enquête préliminaire, ce qui n’est pas contesté en l’instance.
[52]        Elle a abondamment plaidé la décision de Guimond de la Cour supérieure par laquelle l’acte d’accusation direct avait été cassé. Cependant, cette décision fut renversée en appel, justement parce que la preuve d’abus de la part de la poursuivante n’avait pas été faite.
[53]        Accepter la proposition de la défense, que même en l’absence d’abus, de mauvaise foi ou de malhonnêteté, lorsqu’un acte d’accusation direct ne respecte pas les lignes directrices il doit être cassé car privant alors de façon illégitime la défense de l’enquête préliminaire, serait aller à l’encontre des enseignements de la Cour suprême dans Anderson.
[54]        Dans un premier temps, il faut se rappeler qu’en soi, l’utilisation d’un acte d’accusation direct ne contrevient pas à l’article 7 de la Charte (R. c. Ertel (1987) 1987 CanLII 183 (ON CA)35 C.C.C.(3d) 398 (OCA)) et que le droit à la tenue d’une enquête préliminaire n’est pas un principe de justice fondamentale (R. c. Arviv (1985) 1985 CanLII 161 (ON CA)19 C.C.C.(3d) 395 (OCA)). Simplement plaider qu’une enquête préliminaire aurait été utile n’est pas un argument suffisant.
[55]        Au surplus, en l’instance, la démonstration de l’atteinte aux droits constitutionnels des accusés est insuffisante.

Détermination de la peine en matière de trafic de cocaïne et de crack

R. c. Moreira, 2011 QCCA 1828 (CanLII)

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[18]           L'auteur Clayton C. Ruby présente une revue de la jurisprudence concernant les peines attribuées à travers le Canada pour les infractions en matière de stupéfiants. On constate que ces peines varient énormément en fonction de la nature de la drogue en question. Par exemple, en matière d'héroïne, « [i]t is not uncommon for trafficking sentences to begin at the one – to two – year mark where the offender is not an addict and had no prior record ». En comparaison, il explique que les infractions reliées à la cocaïne étaient généralement considérées comme étant moins graves, mais que cela change, entre autres, en raison du crack, un dérivé de la cocaïne :
Cocaine was once regarded by courts as a drug that is somewhat more serious than marijuana but less serious than heroin. However, due to the existence of crack cocaine and intravenous cocaine users, this attitude appears to be changing. More recent sentences for cocaine seem on par with those imposed for heroin possession or trafficking.
[Soulignage ajouté]
[19]           Le dérivé de la cocaïne que l'on appelle crack ou cocaïne-base serait d'une grande dangerosité et les infractions qui y sont liées entraîneraient des peines importantes. Ainsi, « [o]ffenders caught trafficking even minor amounts may be exposed to incarceration despite mitigating factors ».
[20]           Cette Cour a déjà traité des nombreux risques associés au trafic du crack. Dans l'arrêt R. c. Dorvilus, le juge Baudouin, s'exprimant au nom d'une cour majoritaire, décrivait ainsi les dangers reliés à cette drogue :
Le crack crée chez l'usager une sensation intense et très rapide, mais de courte durée, et une dépendance forte et pratiquement immédiate. C'est une drogue dont l'usage se propage à grande vitesse à l'heure actuelle surtout chez les enfants et chez les jeunes, parce qu'elle est bon marché par rapport à la cocaïne en poudre ou à l'héroïne. Une "roche" de crack se vend en effet entre 10 $ et 15 $ alors que 25 $ à 40 $ sont nécessaires à l'achat d'un quart de gramme de cocaïne en poudre.  On note aussi qu'elle provoque chez l'usager en manque, de l'agressivité et des tendances à la paranoïa.
[21]           Il concluait également à la nécessité pour les tribunaux d'adopter une attitude sévère à l'égard des trafiquants de crack :
[…] les tribunaux ont le devoir de se montrer sévères et non complaisants en matière de trafic de crack, eu égard surtout au fait que la substance crée une grande dépendance et une dépendance quasi-immédiate, qu'elle est une drogue bon marché à la portée donc de la bourse des enfants et des adolescents.
[22]           Il effectue par la suite une revue de la jurisprudence afin de présenter l'éventail des peines attribuées en matière de trafic de crack. Outre une affaire où l'accusé avait été détenu de manière préventive dans des conditions difficiles, toutes les peines mentionnées variaient entre 6 et 54 mois d'emprisonnement. En conséquence, le juge Baudouin décida de confirmer la peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour qui avait été attribuée par le juge de première instance.
[23]           Ainsi, tel que l'intimé l'admet dans son mémoire, la peine de 90 jours d'emprisonnement à purger de manière discontinue imposée par le premier juge se situe clairement à l'extérieur de la fourchette établie par la jurisprudence pour le type d'infraction que l'intimé a commise. Il faut donc évaluer si l'application des principes de détermination de la peine justifiait en l'espèce de s'écarter de cette fourchette.
[24]           L'arrêt majoritaire de cette Cour dans R. c. Lafrance constitue un bel exemple de la possibilité pour un juge de « prononcer une sanction qui déroge de la fourchette établie » à laquelle le juge LeBel faisait référence dans l'arrêt Nasogaluak.
[25]           L'arrêt Lafrance portait justement sur l'appel d'une peine discontinue de 90 jours d'emprisonnement infligée à un accusé ayant plaidé coupable aux infractions de trafic et de possession de cocaïne en vue d'en faire le trafic. L'accusé en était également à sa première infraction et il avait lui aussi commis cette infraction grave dans un esprit de lucre.
[26]           Alors que le juge en chef Bisson, dissident, proposait d'intervenir afin de remplacer la peine retenue par le premier juge par une peine de 9 mois d'emprisonnement, le juge LeBel, alors à la Cour d'appel, et la juge Otis concluaient plutôt au rejet de l'appel.
[27]           Dans ses motifs, le juge LeBel s'attardait à rejeter la théorie du starting point retenue dans d'autres provinces et selon laquelle la jurisprudence aurait défini des minimums absolus concernant la peine attribuable à certaines infractions. Il reconnaît que les tribunaux ont imposé des peines sévères en matière de stupéfiant, mais il considère que le juge a le pouvoir de s'en écarter si les facteurs individuels de l'accusé, par exemple ses possibilités de réadaptation, le justifient :
Clémente, la sentence du premier juge ne paraît pas illégale. Elle repose sur un pari raisonné et justifié par la preuve disponible voulant que Lafrance soit sorti de sa période criminelle. Pour le juge Poirier, il ne pose plus un risque pour la société, dans l'avenir. Il refait sa vie.
[28]           L'importance de l'objectif de réinsertion sociale des délinquants dans cette affaire apparaît encore plus clairement des motifs de la juge Otis. Elle écrit :
Une fois reconnues les dévastations sociales engendrées par les stupéfiants et les drogues et l'adéquation trop fréquente entre l'usage de ces substances et la commission des infractions contre la personne et les droits de propriété, il coule de source que le message de dissuasion et de neutralisation, en regard de ces crimes, doit être porté haut et fort.
Mais il arrive que le juge, à qui incombe le devoir de déterminer la peine, nourisse la conviction sincère que la fonction utilitaire de la sentence, soit la prévention par la dissuasion, ait plus de chances d'atteindre son accomplissement par la mise en oeuvre de la fonction individuelle de la sentence, soit la réhabilitation.
[Soulignage ajouté]
Et plus loin :
Si, dans les infractions reliées au trafic et à la possession pour fins de trafic des stupéfiants, le critère de la dissuasion générale constitue une considération de première importance, il n'en reste pas moins que le critère de la réadaptation, lorsqu'il fait l'objet d'une démonstration particulièrement convainquante, pourra devenir prééminent lors de la détermination de la peine.
[Soulignage ajouté]
[29]           Dans Lafrance, une telle démonstration avait été faite. L'agent de probation avait préparé une évaluation positive de l'accusé en le décrivant comme « une personne autonome et pourvu d'une bonne maturité » et le juge de première instance avait déclaré « [croire] à la réhabilitation possible de l'accusé ».
[30]           Appliquant ce raisonnement aux faits de l'espèce, il est évident qu'une telle démonstration convaincante n'a pas été effectuée. Bien au contraire, le rapport de l'agente de probation, loin d'être favorable à l'intimé, conclut à son immaturité et à son potentiel de récidive. En théorie, il aurait été possible pour le juge de rejeter les conclusions du rapport présentenciel. Or, il a plutôt décidé d'en reprendre de longs passages dans le libellé de son jugement. En particulier, il conclut lui aussi à l'immaturité de l'intimé et il retient même cet élément comme une circonstance aggravante. Il est vrai qu'il ne fait aucun commentaire sur les conclusions de l'agente de probation concernant le potentiel de récidive de l'intimé, mais il ne les rejette pas non plus. De toute façon, en pratique, aucun autre élément de preuve n’aurait pu justifier une telle conclusion.
[31]           Dans ce contexte, le résultat de l'affaire Lafrance n'est pas applicable en l'espèce. Le premier juge n'était pas justifié de s'écarter de la fourchette des peines applicables aux infractions de trafic de stupéfiant et notamment de trafic de crack.
[32]           Une question délicate est toutefois celle de déterminer la sentence qui conviendrait. Tel que mentionné ci-dessus, le juge a lui-même établi la liste des circonstances atténuantes et des circonstances aggravantes applicables en l'espèce. On pourrait même y ajouter, suivant le sous‑paragraphe a)(iv) de l'article 718.2 C.cr., le fait que selon le rapport présentenciel les infractions perpétrées « ont nécessité une association avec un milieu criminalisé et organisé ». Manifestement, il semble y avoir beaucoup plus de facteurs aggravants que de facteurs atténuants.
[33]           Dans ce contexte, une peine de 24 mois d'incarcération ferme est appropriée. Il s'agit en effet d'une peine qui se situe à l'intérieur de la fourchette des peines applicables aux trafiquants de crack, qui, rappelons-le, reçoivent généralement des peines plus sévères que les trafiquants de cocaïne. La peine imposée par cet arrêt doit néanmoins tenir compte des 25 fins de semaines ou 50 jours que l'intimé a purgé en application de la peine infligée par le premier juge.

Le stare decisis et les obiters

R. c. Amyot, 2016 QCCQ 12597 (CanLII)

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[25]                 La règle du stare decisis ou l’autorité des jugements est un principe fondamental. Lorsqu’un arrêt antérieur fixe le droit, une interprétation contraire « serait dépourvue de fondement juridique en raison de l’autorité que revêt celui-ci comme précédent ». Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux2014 CSC 49 (CanLII)[2014] 2 R.C.S. 477, par. 22.
[26]                 Alors, à la Cour d’appel du Québec, le juge Gascon, au nom de la Cour, résumait l’importance de la règle :
« [128]      La Cour l'a déjà dit par le passé : « Source de stabilité et de structure pour le système juridique, l'autorité du précédent est l'un des fondements de la primauté du droit. Ce principe qui assure au justiciable non seulement une prévisibilité relative par rapport à la prise de décision judiciaire, mais également une protection contre l'arbitraire dans l'exercice de ce pouvoir. » [31]. » Canada (Procureur général) c.Imperial Tobacco Ltd. 2012 QCCA 2034 (CanLII)
[27]                 Cette règle n’est plus de rigidité absolue. (Canada c. CSN, précité, par. 23) Le réexamen se justifie rarement. La juge en chef McLachlin écrivait dans Canada (Procureur général) c. Bedford2013 CSC 72 (CanLII) :
« [44]         […] la juridiction inférieure ne peut faire abstraction d’un précédent qui fait autorité, et la barre est haute lorsqu’il s’agit de justifier le réexamen d’un précédent.  Rappelons que, selon moi, le réexamen est justifié lorsqu’une nouvelle question de droit se pose ou qu’il y a modification importante de la situation ou de la preuve.  Cette approche met en balance les impératifs que sont le caractère définitif et la stabilité avec la reconnaissance du fait qu’une juridiction inférieure doit pouvoir exercer pleinement sa fonction lorsqu’elle est aux prises avec une situation où il convient de revoir un précédent. »
[28]                 Il est inutile de rappeler que la Cour du Québec doit suivre les arrêts de la Cour d’appel du Québec qui fixent le droit.
[29]                 Cependant, la Cour suprême dans R. c. Kowbel1954 CanLII 12 (SCC)[1954] R.C.S. 498, 502 faisait la distinction suivante quant aux obiters : « Obiter dicta » are not always of equal value. Some are mere casual expressions of opinion, unnecessary for the determination of the case. Some others are of a different nature and carry more weight, if they are not obiter to the view taken of the case by the judge. » (Voir également Power c. Griffin1902 CanLII 85 (SCC)1902 33 R.C.S. 39, 42 : « Anything that may be found in the report of that case (and of any case) that was not necessary for the determination of the controverted points therein is obiter and not binding as authority. »).

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les délais préinculpatoires peuvent être considérés en vertu de la Charte

R. c. Ketchate, 2019 QCCA 557 Lien vers la décision [ 16 ]          Plus récemment, dans l’affaire  Hunt , il a été réitéré que les délais p...