jeudi 2 avril 2009

Nécessité

Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232

Résumé des faits
Les appelants ont été accusés d’avoir importé du cannabis au Canada et d’en avoir eu la possession en vue d’en faire le trafic. Au procès, les accusés ont invoqué le moyen de défense fondé sur la nécessité, soutenant qu’ils n’avaient pas eu l’intention d’importer au Canada, puisque leur destination était l’Alaska, mais qu’à la suite d’une série d’ennuis mécaniques aggravés par le mauvais temps, ils avaient décidé, par mesure de précaution pour le navire et pour l’équipage, de chercher refuge sur la côte canadienne afin de réparer le navire. Le navire a trouvé une baie abritée mais s’est échoué par le milieu sur des rochers. La défense a soumis en preuve que le capitaine, qui craignait que le navire ne chavire, a ordonné à l’équipage de décharger la cargaison.

Analyse
Le moyen de défense fondé sur la nécessité peut être invoqué au Canada et il doit être considéré comme une excuse applicable en vertu du par. 8(3) du Code criminel. Le critère essentiel qui régit l’application de ce moyen de défense est le caractère involontaire, du point de vue moral, de l’acte mauvais, qui se mesure en fonction de ce que la société considère comme une résistance normale et appropriée à la pression.

(1) le danger est imminent ;
(2) il n’y a pas de solution raisonnable légale autre que de celle de commettre le crime ;
(3) la mesure est proportionnelle.

Ce moyen de défense ne s’applique qu’à une situation de danger imminent où l’on a agi afin d’éviter un péril imminent et immédiat. L’acte en question ne peut être qualifié d’involontaire que s’il était inévitable et s’il ne s’offrait à l’accusé aucune possibilité raisonnable d’adopter une autre ligne de conduite qui ne comportait pas d’infraction à la loi. De même, le mal causé par la violation de la loi doit être moindre que celui que l’accusé a cherché à éviter. Si l’accusé a prévu ou aurait dû prévoir que ses actes pourraient donner lieu à une situation d’urgence qui exigerait la perpétration d’une infraction à la loi, il se peut qu’il ne puisse pas faire valoir que sa réaction a été involontaire.

Toutefois, la simple négligence ou le simple fait qu’il participait à une activité criminelle ou immorale lorsque la situation d’urgence s’est présentée n’empêche pas l’accusé d’invoquer ce moyen de défense. Enfin, lorsque l’on fournit à la Cour suffisamment d’éléments de preuve pour soulever la question de la nécessité, il incombe à la poursuite de réfuter ce moyen de défense et de prouver hors de tout doute raisonnable que l’acte de l’accusé était volontaire; le fardeau de la preuve n’incombe pas à l’accusé.

Le moyen de défense de nécessité se fonde sur une appréciation réaliste de la faiblesse humaine, tout en reconnaissant qu’un droit criminel humain et libéral ne peut astreindre des personnes à l’observation stricte des lois dans des situations d’urgence où les instincts normaux de l’être humain, que ce soit celui de conservation ou d’altruisme, commandent irrésistiblement l’inobservation de la loi. Le caractère objectif du droit criminel est préservé; de tels actes sont toujours mauvais, mais dans les circonstances ils sont excusables. Ce n’est pas l’éloge qu’on provoque, mais l’indulgence, lorsqu’on accomplit un acte mauvais alors qu’on est soumis à une pression qui, selon l’expression d’Aristote dans l’Éthique a Nicomaque, précité, à la p. 121, «surpasse[…] les forces humaines et que personne ne pourrait supporter»

Le moyen de défense fondé sur la nécessité doit être restreint aux rares cas où l’on retrouve un véritable « caractère involontaire ». Ce moyen de défense doit être « strictement contrôlé et scrupuleusement limité »

L’exigence que l’obéissance à la loi soit «démonstrativement impossible» pousse cette appréciation un cran plus loin. Si l’accusé se devait d’agir, pouvait-il vraiment agir de manière à éviter le danger ou à prévenir le mal sans contrevenir à la loi? Y avait-il moyen de s’en sortir légalement? Il faut se demander si l’auteur de l’acte avait réellement le choix: pouvait-il faire autrement? S’il y avait une solution raisonnable et légale autre que celle de contrevenir à la loi, alors la décision de contrevenir à la loi est un acte volontaire, mu par quelque considération autre que les impératifs de la «nécessité» et de l’instinct humain.

On ne saurait trop insister sur cette exigence qu’il n’y ait pas d’autre solution légale et raisonnable possible.

Même si les exigences qu’il y ait urgence et absence de «moyen de s’en sortir légalement» sont remplies, il y a nettement une autre considération. Il doit y avoir un moyen quelconque d’assurer la proportionnalité

Aucun système raisonnable de justice criminelle, si libéral et humanitaire soit-il, ne pourrait excuser l’imposition d’un mal plus grand afin de permettre à l’auteur de l’acte d’éviter un moindre mal.

Par exemple, si la personne doit détruire une ville entière afin d’éviter de se briser un doigt, on s’attendrait à juste titre à ce qu’elle subisse le mal elle-même. Céder à la menace dans un tel cas ne correspond pas à la résistance normale et ordinaire aux pressions à laquelle on s’attendrait. Néanmoins, àmesure que diminue le mal fait aux autres et qu’augmente la menace de mal pour la personne soumise à la contrainte, on en vient à un seuil où, selon les termes du Model Penal Code, «une personne ayant une force de caractère raisonnable» serait «incapable de résister». La détermination de ce seuil relève manifestement d’une appréciation morale de ce à quoi on s’attend qu’une personne puisse résister dans des situations difficiles. Un moyen utile d’effectuer cette appréciation consiste à comparer les intérêts opposés qui sont en jeu et à évaluer la mesure dans laquelle le mal causé par une personne dépasse l’avantage qui découle de son acte.

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