vendredi 19 juin 2009

L'utilisation de l'hypnose VS le témoignage

R. c. A. B., 2004 CanLII 41327 (QC C.Q.)

[24] (...) l'hypnose peut, à cause de son caractère suggestif, mener à la création de faux souvenirs.

[25] En effet, bien que généralement la mémoire autobiographique soit fiable, la recherche a permis de démontrer qu'il est possible, en manipulant différents facteurs, de modifier ou de créer des souvenirs.

[26] Plus une personne est hypnotisable, plus ses croyances et ses attentes face à la séance d'hypnose risquent de se concrétiser, plus un souvenir est vague, plus il sera facile de le modifier.

[27] Une personne soumise à une séance d'hypnose devient profondément convaincue de la véracité du souvenir ravivé.

[28] C'est pourquoi, même si cette technique est reconnue et correctement appliquée, son utilisation à des fins particulières peut poser problème, notamment en ce qui concerne sa fiabilité.

[29] La fiabilité de l'hypnose afin de raviver la mémoire d'un témoin fait l'objet de controverse. Certains ordres professionnels se sont prononcés contre son utilisation dans le domaine légal, tandis que d'autres prônent une utilisation limitée accompagnée de conditions d'application strictes.

[30] Il est donc extrêmement important d'encadrer une intervention hypnotique menant à l'obtention d'une preuve qu'on entend utiliser dans des procédures judiciaires.

LE DROIT

A) La recevabilité d'une preuve par expert

[32] En droit canadien, la recevabilité d'une preuve qui se fonde sur une théorie dont l'exactitude n'est pas consacrée est soumise à un critère préliminaire de fiabilité.

[33] Dans R. c. J.-L.J., le juge Binnie précise le rôle du juge du procès dans les termes suivants:

«28. Dans Mohan et d'autres arrêts, la Cour a souligné que le juge du procès devrait prendre au sérieux son rôle de «gardien». La question de l'admissibilité d'une preuve d'expert devrait être examinée minutieusement au moment où elle est soulevée, et cette preuve ne devrait pas être admise trop facilement pour le motif que toutes ses faiblesses peuvent en fin de compte avoir une incidence sur son poids plutôt que sur son admissibilité.» (le tribunal souligne)

[34] Il confirme l'ouverture des tribunaux aux nouvelles théories ou techniques scientifiques en adoptant "le critère du fondement fiable" établi par la Cour suprême des Etats-Unis dans Daubert:

«29. En raison de sa fonction de gardienne, la Cour doit offrir aux parties la possibilité de soumettre la preuve la plus complète, conformément aux règles de la preuve. Comme l'a fait remarquer le juge McLachlin dans l'arrêt R. c. Seaboyer, 1991 CanLII 76 (C.S.C.), [1991] 2 R.C.S. 577, à la p. 611:

Les tribunaux canadiens, comme ceux de la plupart des ressorts de common law, ont beaucoup hésité à restreindre le pouvoir de l'accusé de présenter une preuve à l'appui de sa défense, cette hésitation tenant du principe fondamental de notre système judiciaire selon lequel une personne innocente ne doit pas être déclarée coupable.

Néanmoins, la recherche de la vérité exclut la preuve d'expert susceptible de «fausser le processus de recherche des faits» (Mohan, à la p. 21).»

B) La recevabilité d'un témoignage obtenu suite à l'utilisation de l'hypnose

[35] Selon nos recherches, aucune Cour d'appel au Canada ne s'est prononcée spécifiquement sur la fiabilité de l'hypnose comme technique pour raviver la mémoire d'un témoin, même si plusieurs décisions d'instance ont traité de la question.

[36] Certaines ont conclu que cette preuve était admissible et que l'hypnose comme technique pour rafraîchir la mémoire était un élément à considérer dans la valeur probante à accorder à une telle preuve, tandis que d'autres ont déterminé que cette preuve était inadmissible parce que non fiable.

[38] Dans Taillefer, le juge Proulx, bien qu'il n'ait pas tranché la question de fait de la fiabilité de la technique de l'hypnose, a fourni les paramètres pour décider de l'admissibilité d'une preuve obtenue par cette technique.

[39] Le voir-dire est la procédure appropriée pour déterminer:

­ la compétence de l'expert;

­ la fiabilité de l'hypnose comme technique pour raviver la mémoire et les garanties requises pour en assurer la fiabilité;

­ les conditions dans lesquelles la technique a été appliquée et le respect des garanties requises.

[40] Dans le cadre de cette procédure, la poursuite assume donc le fardeau d'établir que l'hypnose est une technique fiable, administrée par un expert compétent et dans le respect des garanties requises pour en assurer la fiabilité.

[41] Les garanties énoncées dans deux décisions américaines et adoptées par le juge Proulx sont les suivantes:

a. La personne qui conduit la séance d'hypnose devrait être un professionnel qualifié en psychiatrie ou en psychologie clinique avec de l'expérience dans le domaine de l'hypnose;

b. La personne qui conduit la séance d'hypnose devrait être indépendante de la partie qui requiert ses services et libre de conduire la séance selon des normes professionnelles et non en fonction des besoins de la personne qui a requis ses services.

c. La personne qui conduit la séance d'hypnose devrait recevoir par écrit le minimum d'information nécessaire pour conduire son entrevue.

d. Toute l'entrevue entre le sujet hypnotisé et la personne qui conduit la séance devrait être enregistrée par vidéo.

e. Ne devraient être présents lors de l'entrevue que le sujet hypnotisé et la personne qui conduit la séance.

f. La personne qui conduit la séance d'hypnose devrait, avant la séance, dresser avec le sujet hypnotisé son historique médical, obtenir l'information sur l'utilisation passée ou présente de drogue ainsi qu'une évaluation de l'intelligence et du jugement du sujet.

g. Le sujet hypnotisé devrait, avant la séance d'hypnose, fournir une description détaillée de tout ce dont il se rappelle (par écrit ou enregistrement).

h. La personne qui conduit la séance d'hypnose devrait éviter dans le choix des mots et du type de questionnaire ainsi que dans son comportement toute suggestion ou tout ce qui pourrait être interprété comme une suggestion par le sujet hypnotisé.

­Qualification de l'hypnotiseur

[43] Les autorités semblent unanimes à ce sujet. Principalement parce qu'il s'agit d'une technique « ultra-sensible », l'hypnotiseur doit être un professionnel de la santé ou de la psychologie ayant reçu une formation particulière sur l'hypnose.

[45] Sur ce point, un tribunal a déjà décidé qu'un témoignage obtenu suite à une séance d'hypnose, conduite par un médecin anesthésiste, était inadmissible en preuve parce qu'il n'était pas l'expert compétent.

­Indépendance de l'hypnotiseur

[46] Il est très important que l'hypnotiseur soit complètement indépendant du sujet dont il a à raviver la mémoire, pour des raisons évidentes.

[48] La preuve démontre que l'objectif poursuivi par Mme Tchanderli est manifestement et exclusivement thérapeutique.

[49] Même si sa démarche est de bonne foi, Mme Tchanderli ne rencontre aucunement le critère d'indépendance requis.

­ Information transmise à l'hypnotiseur

[50] La transmission de l'information à l'hypnotiseur devrait se faire par écrit et cette information devrait être limitée au strict minimum, tout cela dans le but de s'assurer de la neutralité et de l'objectivité de l'hypnotiseur.

­L'enregistrement vidéo ou audio de la séance d'hypnose

[52] Enregistrer la séance d'hypnose a pour but d'établir de façon précise le contenu des échanges entre l'hypnotiseur et le témoin avant, pendant et après la séance d'hypnose. Afin d'examiner le comportement des parties, l'enregistrement vidéo est fortement recommandé.

­Passé médical et personnalité du témoin

[54] Afin d'établir clairement l'état physique et mental du sujet soumis à l'hypnose ainsi que sa suggestibilité face à cette technique, il est important de dresser son historique médical, de déterminer s'il a consommé des drogues récemment et d'évaluer sa personnalité.

­Le comportement de l'hypnotiseur durant la séance

[56] Sachant qu'il est possible et même facile pour l'hypnotiseur de manipuler les souvenirs, il est important d'établir non seulement ce qui a été dit durant les séances mais aussi le comportement de l'hypnotiseur.

­En conclusion

[60] De toute façon, la poursuite n'a présenté aucune preuve quant à la fiabilité de la technique de l'hypnose pour raviver la mémoire d'un témoin, ce qui lui appartenait d'établir dans le cadre du présent voir-dire.

C) La recevabilité de la preuve existant avant les deux séances d'hypnose

[63] La plaignante n'a pas mis par écrit ce dont elle se rappelait avant les séances d'hypnose.

[67] Quels étaient les souvenirs qu'avait la plaignante de cette agression avant les séances d'hypnose? Il est absolument impossible pour le tribunal de le déterminer. Au surplus, ces souvenirs ont été fatalement contaminés par les deux séances d'hypnose mais aussi par les informations reçues de sa tante peu de temps avant.

[68] Vu l'impossibilité de déterminer ce dont la plaignante se souvenait avant les séances d'hypnose et les contaminations auxquelles cette dernière a été soumise, comment l'accusé pourra-t-il contre-interroger la plaignante à ce sujet dans le but de tester sa crédibilité?

[69] Le droit à une défense pleine et entière comprend le droit de contre-interroger de façon utile et efficace.

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