R. c. Théroux, 1993 CanLII 134 (C.S.C.)
L'actus reus de l'infraction de fraude sera établi par la preuve d'un acte prohibé, qu'il s'agisse d'une supercherie, d'un mensonge ou d'un autre moyen dolosif, et par la preuve de la privation causée par l'acte prohibé (qui peut consister en une perte véritable ou dans le fait de mettre en péril les intérêts pécuniaires de la victime). Tout comme ce qui constitue un mensonge ou une supercherie pour les fins de l'actus reus est déterminé en fonction des faits objectifs, l'actus reus de la fraude par un «autre moyen dolosif» est déterminé objectivement, selon ce qu'une personne raisonnable considérerait comme un acte malhonnête.
Étant donné que la mens rea d'une infraction est liée à son actus reus, il est utile d'entamer l'analyse par l'étude de l'actus reus de l'infraction de fraude. Au sujet de l'actus reus de cette infraction, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a énoncé les principes suivants dans l'arrêt Olan:
(i) l'infraction compte deux éléments: l'acte malhonnête et une privation;
(ii) l'acte malhonnête est établi par la preuve d'une supercherie, d'un mensonge ou d'un «autre moyen dolosif»;
(iii) l'élément de privation est établi si l'on prouve qu'en raison de l'acte malhonnête, les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu'il y a risque de préjudice à leur égard.
L'arrêt Olan a marqué un élargissement du droit de la fraude à deux égards. Il a d'abord renversé la jurisprudence antérieure qui laissait entendre que la supercherie était un élément essentiel de l'infraction. Il a plutôt énoncé le concept général de la malhonnêteté, qui pourrait se manifester dans la supercherie, le mensonge ou une autre forme de malhonnêteté. Tout comme ce qui constitue un mensonge ou une supercherie pour les fins de l'actus reus est déterminé en fonction des faits objectifs, l'«autre moyen dolosif» de la troisième catégorie est déterminé objectivement, selon ce qu'une personne raisonnable considérerait comme un acte malhonnête. L'arrêt Olan a ensuite précisé que la perte économique n'était pas essentielle à l'infraction; la mise en péril d'un intérêt pécuniaire est suffisante, même si aucune perte véritable n'est subie. En adoptant une interprétation libérale de l'infraction, la Cour a fait de la fraude une infraction de portée générale susceptible d'englober une large gamme d'activités commerciales malhonnêtes.
De même, la mens rea de la fraude est établie par la preuve de la connaissance subjective de l'acte prohibé et par la preuve de la connaissance subjective que l'accomplissement de l'acte prohibé pourrait causer une privation à autrui (laquelle privation peut consister en la connaissance que les intérêts pécuniaires de la victime sont mis en péril). Dans certains cas, la connaissance subjective du risque de privation peut être déduite de l'acte lui‑même, sous réserve de quelque explication qui vient mettre en doute cette déduction. Si la conduite et la connaissance requises par ces définitions sont établies, l'accusé est coupable peu importe qu'il ait effectivement souhaité la privation ou qu'il lui était indifférent qu'elle survienne ou non. La conviction de l'accusé que sa conduite n'est pas mauvaise ou que personne ne sera lésé en fin de compte ne constitue pas un moyen de défense opposable à une accusation de fraude.
Si l'infraction de fraude peut viser une large gamme d'activités commerciales malhonnêtes, la définition proposée de la mens rea ne visera pas une conduite ne justifiant pas la criminalisation. Seuls les actes frauduleux accomplis délibérément qui, à la connaissance de l'accusé, mettent vraiment en péril le bien d'autrui, constituent une fraude. L'exigence d'un acte frauduleux intentionnel exclut la simple déclaration inexacte faite par négligence ou la pratique commerciale déloyale.
Bien que la jurisprudence soit loin d'être uniforme, il vaut mieux considérer que la conviction de l'accusé que sa conduite n'est pas mauvaise ou que personne ne sera lésé en fin de compte ne constitue pas un moyen de défense opposable à une accusation de fraude
En général, un fraudeur veut avant tout se procurer un avantage. Le tort causé à sa victime est secondaire et incident. Il n'est «intentionnel» que parce qu'il fait partie du résultat prévu de la fraude.
Le droit de la fraude doit être suffisamment large pour viser ce résultat secondaire de l'intention du fraudeur, sinon il ne sera guère utile.
Ce point de vue est conforme à la conception de l'infraction de fraude qui a inspiré notre Cour dans l'arrêt Olan. Ce dernier arrêt ouvre la voie à une conception de la fraude assez large pour comprendre toute la gamme d'activités commerciales malhonnêtes. Il définit l'actus reus en conséquence; l'infraction est commise lorsque, par la supercherie, le mensonge ou un autre acte malhonnête, une personne cause une privation (dont un risque de privation) à autrui. L'adoption d'une définition de la mens rea qui exige une conscience subjective de la malhonnêteté et une conviction qu'une privation véritable (par opposition à un risque de privation) résultera est incompatible avec la définition de l'actus reus formulée dans Olan. Un tel critère aurait pour effet d'annuler la portée générale de l'arrêt Olan et de limiter la portée de l'infraction de fraude qui ne serait plus susceptible que d'englober une infime partie des activités commerciales malhonnêtes que l'arrêt Olan considérait comme visées par l'infraction de fraude.
À mon avis, l'interprétation de l'infraction de fraude adoptée dans l'arrêt Olan et examinée attentivement dans les présents motifs ne nous fait pas sortir du domaine approprié de la sanction criminelle. Pour établir l'actus reus de la fraude, le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé a eu recours à la supercherie ou au mensonge, ou qu'il a accompli quelque autre acte frauduleux. En ce qui concerne le troisième volet de l'infraction, il faudra démontrer que l'acte reproché en est un qu'une personne raisonnable considérerait comme malhonnête. Il faut ensuite démontrer qu'il y a effectivement eu privation ou risque de privation. Pour établir la mens rea de la fraude, le ministère public doit démontrer que l'accusé a sciemment employé le mensonge, la supercherie ou un autre moyen dolosif alors qu'il savait qu'une privation pouvait en résulter.
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