R. c. Duchaine, 2007 QCCQ 7779 (CanLII)
[143] Les deux éléments nécessaires de la fraude sont la malhonnêteté et la privation. La privation est établie par la preuve que les intérêts pécuniaires de la victime ont subi ou risquent de subir un préjudice.
[144] La malhonnêteté implique un dessein caché ayant pour effet de priver ou de risquer de priver d'autres personnes de ce qui leur appartient.
[145] En regard de la malhonnêteté du procédé utilisé, c'est le critère objectif qui prévaut. La perception de l'accusé qui n'estime pas le moyen malhonnête ne sera guère utile pour assurer sa défense, sauf si elle repose sur la conviction honnête et sincère de l'existence de faits qui, s'ils étaient avérés, dépouilleraient l'acte de son caractère malhonnête.
[146] Les mots autre moyen dolosif couvrent les moyens qui ne sont ni un mensonge ni de la supercherie. Ils comprennent tous les autres moyens que l'on peut proprement qualifier de malhonnêtes par lesquels on accède à l'emploi illégitime d'une chose sur laquelle une personne a un droit, de sorte que ce droit se trouve éteint ou compromis. Pour établir la fraude, la poursuite doit prouver qu'il y a eu privation malhonnête.
[147] Accepter des marchandises sans les payer et détourner les sommes perçues de leur revente vers des jeux de hasard constituent un emploi illégitime de ces sommes.
[148] L'infraction de fraude ne requiert pas que l'accusé ait spécifiquement fait des fausses représentations.
[149] Par exemple, lorsque des personnes se concertent pour utiliser les fonds d'une compagnie en recherchant par-là à détourner des fonds pour leur propre avantage, il y a fraude par un autre moyen dolosif.
[150] Autre moyen dolosif inclut l'utilisation des ressources financières d'une compagnie à des fins personnelles, la dissimulation de faits importants, l'exploitation de la faiblesse d'autrui, le détournement non autorisé de fonds et l'usurpation non autorisée de fonds ou de biens.
[151] L'intention de frauder est établie lorsqu'il est prouvé que l'accusé a poussé une personne à agir en amenant cette personne à croire en un état de fait qui est faux.
[152] Les éléments essentiels à prouver pour établir la culpabilité d’un accusé peuvent se résumer comme suit :
a) au niveau de l'actus reus
1) Que l'accusé a recouru à la supercherie ou au mensonge ou à un autre moyen dolosif.
[153] La supercherie est le fait d'amener une personne à croire vraie une chose fausse alors que l'auteur de la supercherie lui-même croit ou sait que la chose est fausse. La fraude est le fait de dépouiller une personne au moyen de la supercherie ou d'amener une personne, par la supercherie, à agir à l'encontre de ses intérêts.
[154] La supercherie est le fait d'induire un état d'esprit par le mensonge, et la fraude est le fait d'induire par la supercherie une ligne de conduite.
[155] Le fait de cacher ou taire les véritables intentions de son auteur constitue de la malhonnêteté.
[156] Le mensonge peut consister en un acte positif ou en une simple omission, c'est-à-dire une situation où, par son silence, un individu cache à l'autre un élément essentiel.
[157] Il est nécessaire que le silence ou l'omission soient de nature à induire une personne raisonnable en erreur.
[158] La supercherie et le mensonge s'établissent lorsque l'accusé a déclaré qu'une situation était d'une certaine nature, alors qu'en réalité elle ne l'était pas.
[159] Dans le cas de recours à un autre moyen dolosif, il importe de se demander, pour déterminer s'il s'agit d'un moyen de cette nature, si une personne raisonnable qualifierait de malhonnête la conduite visée.
2) Que l'acte ou la conduite ainsi reprochés ont causé à la victime une privation.
[160] Il est maintenant bien établi qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait perte véritable. Il suffit que les intérêts pécuniaires de la victime soient mis en péril ou aient risqué de l'être, ne serait-ce que temporairement, du fait des agissements de l'accusé.
B) au niveau de la mens rea
1) Que l'accusé avait connaissance subjective qu'il utilisait la supercherie, le mensonge ou un autre moyen dolosif.
2) Qu'il ait sciemment eu recours à l'un ou l'autre de ces agissements.
3) Que l'accusé avait la connaissance subjective que ses agissements ainsi qualifiés pouvaient causer une privation à la victime.
[161] En d'autres mots, il faut la preuve que l'accusé a compris ou réalisé à quelque moment de l’époque visée par les accusations que sa conduite pouvait causer à la victime une certaine privation ou encore afficher une attitude insouciante à cet égard.
[162] Le critère applicable à la mens rea de l'infraction de fraude est subjectif. Il s'agit de savoir si l'accusé était subjectivement conscient des conséquences possibles de l'acte prohibé ou s'il était insouciant quant aux conséquences possibles, et non s'il croyait que les actes ou leurs conséquences étaient moraux.
[163] L’espoir entretenu par l’accusé, voire sa conviction subjective que sa conduite n'est pas mauvaise et que personne ne sera lésé ne constituent pas un moyen de défense admissible.
[164] Dans certains cas, la conscience subjective des conséquences peut être déduite de l'acte lui-même, sous réserve des explications données par l'accusé.
[165] Le simple risque de privation de la victime suffit à établir l'actus reus de la fraude, si l'accusé est au moins subjectivement conscient que sa conduite mettra en péril le bien d'autrui ou compromettra ses attentes économiques.
[166] Pour que la mens rea de l'infraction soit établie, il n'est pas nécessaire que l'accusé saisisse subjectivement la malhonnêteté de ses actes. Il suffit qu’il ait sciemment adopté la conduite qui constitue l'acte malhonnête et compris subjectivement que cette conduite peut entraîner une privation, soit faire perdre ou mettre en péril l'intérêt pécuniaire d'une autre personne dans un certain bien.
[167] Ainsi, à titre d’illustration, le fait que l'accusé ait cru qu'il gagnerait au casino et serait en mesure de payer ses créanciers ne constitue pas un moyen de défense.
[168] En d'autres termes, il convient de se demander, lorsqu'on détermine la mens rea de la fraude, si l'accusé a intentionnellement accompli les actes prohibés (la supercherie, le mensonge ou autre acte malhonnête) tout en connaissant ou en souhaitant, voire en étant insouciant des conséquences, à savoir la privation ou le risque de privation.
[169] L'insouciance présuppose la connaissance de la vraisemblance des conséquences prohibées. Elle est établie s'il est démontré que l'accusé, fort d'une telle connaissance, accomplit des actes qui risquent d'entraîner des conséquences prohibées, tout en ne se souciant pas qu'elles s'ensuivent ou non.
[170] Si la conduite et la connaissance requises par ces définitions sont établies, l'accusé est coupable, peu importe qu'il ait effectivement souhaité la conséquence prohibée ou qu'il lui fût indifférent qu'elle se réalise ou non.
[171] En général, un fraudeur veut avant tout se procurer un avantage. Le tort causé à sa victime est secondaire et incident. Il n'est intentionnel que parce qu'il fait partie du résultat prévu de la fraude
Aucun commentaire:
Publier un commentaire