R. c. Proulx, 1992 CanLII 3362 (QC C.A.)
Il est depuis fort longtemps reconnu que
...de tous les types de preuves, c'est l'identification par témoin oculaire qui est la plus susceptible d'entraîner une erreur judiciaire.
Le même auteur poursuit:
Les commentateurs s'entendent à ce sujet depuis longtemps. Le Criminal Law Revision Committee a déclaré dans son onzième rapport: [TRADUCTION] "Nous considérons les identifications erronées comme la plus grande cause d'erreurs judiciaires réelles ou possibles, et de loin". Ce point de vue s'appuie sur des centaines de cas où des innocents ont été déclarés coupables, emprisonnés et même parfois exécutés à la suite de procès où l'accusation reposait en grande partie sur les dépositions de témoins oculaires. Les cas les plus célèbres ont été commentés en long et en large par les auteurs américains et britanniques. Dans les travaux portant sur les erreurs judiciaires, la conclusion est en fait toujours la même: l'identification erronée constitue la plus grande source d'injustice.
Et plus loin:
Mais l'étude des erreurs judiciaires connues ne révèle pas toute l'ampleur du problème. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles que les erreurs judiciaires sont portées à l'attention du public, par exemple lorsqu'une personne avoue être coupable d'un crime pour lequel une autre personne a été condamnée. On ne peut faire que des hypothèses sur le nombre total des cas où des personnes innocentes ont été déclarées coupables d'un crime par suite d'une erreur d'identification. Le nombre de cas de cette nature rapportés au Canada est relativement restreint, mais on peut penser que le risque est toujours présent, car les mesures de protection exigées par nos tribunaux et appliquées par les autorités, ne sont pas plus rigoureuses qu'en Angleterre et aux États-Unis et, à certains égards, elles le sont encore moins.
Au moment de la publication de cette étude, il faut le souligner, la Cour suprême du Canada ne s'était pas encore prononcée sur l'application au pays des directives au jury proposées en Angleterre par la Cour d'appel, division criminelle, dans l'arrêt Turnbull. Depuis 1986, cependant, la situation au Canada à cet égard ne fait plus de doute.
Parlant au nom de la majorité de la Cour Suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Mezzo, le juge McIntyre note d'abord (aux pages 843-44):
Dans l'arrêt Turnbull, ([1976] 3 All E.R. 549), le juge en chef lord Widgery, s'exprimant au nom de la Cour d'appel, division criminelle (les lords juges Roskill et Lawton et les juges Cusack et May), a souligné les dangers d'injustice qui peuvent être engendrés et qui dans certains cas l'ont été par suite d'erreurs commises lors d'identifications visuelles de personnes accusées d'un crime. Mais en même temps, il a pris la peine de faire clairement entendre qu'une identification visuelle ne peut être éliminée en tant que preuve admissible dans une instance criminelle. Il s'est étendu sur la nature et la portée des directives que le juge du procès doit donner à un jury qui est appelé à examiner une preuve d'identification visuelle et il a affirmé que le défaut de donner des directives adéquates peut entraîner l'annulation de déclarations de culpabilité. Somme toute, il se référait à ce qu'il a appelé la qualité de la preuve. Il dit, à la p. 552:
[Traduction] Si cette qualité est bonne et le demeure jusqu'à la fin de la présentation de la preuve de l'accusé, le danger d'erreur d'identification est réduit; mais plus la preuve est de piètre qualité plus grand est le danger.
Il est impossible de ne pas être d'accord avec le juge en chef lord Widgery lorsqu'il parle du danger d'erreur que comporte une identification visuelle. Personne ne peut être en désaccord avec lui lorsqu'il insiste sur la nécessité de donner au jury des directives complètes et minutieuses sur la façon dont il doit traiter une telle preuve.
et il poursuit ensuite (à la page 845):
Pour en revenir à l'espèce, on reconnaît qu'il y a une preuve directe d'identification. On aurait dû laisser le jury l'apprécier, après lui avoir fait une mise en garde appropriée de la manière proposée dans l'arrêt Turnbull.
Dans l'affaire Canning, un jugement que la Cour a déposé en même temps que celui de Mezzo, elle statuait:
La Cour - Nous sommes tous d'avis que, même s'il y a une certaine preuve d'identification de l'accusé et même si le juge du procès a informé le jury de la nécessité de montrer de la prudence en abordant cette preuve, il n'a pas établi de lien entre cette nécessité et les faits de l'espèce. Il s'ensuit que ces directives sur la question de l'identification sont insuffisantes, plus particulièrement en ce qui concerne les procédures d'identification utilisées au centre de détention.
En conséquence, nous sommes d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler la déclaration de culpabilité et d'ordonner un nouveau procès.
Enfin, prononçant le jugement de la Cour dans R. c. Deschamps[40], le Juge en Chef Bisson (alors juge puîné) écrivait (aux pages 367, 368):
In Turnbull v. The Queen (1976), 63 Cr.App.R. 132 at p. 137, the Lord Chief Justice said as follows:
Each of these appeals raises problems relating to evidence of visual identification in criminal cases. Such evidence can bring about miscarriages of justice and has done so in a few cases in recent years. The number of such cases, although small compared with the number on which evidence of visual identification is known to be satisfactory, necessitates steps being taken by the Courts, including this Court, to reduce that number as far as is possible. In our judgment the danger of miscarriages of justice occurring can be much reduced if trial judges sum up to juries in the way indicated in this judgment.
First, whenever the case against an accused depends wholly or substantially on the correctness of one or more identifications of the accused which the defence alleges to be mistaken, the judge should warn the jury of the special need for caution before convicting the accused in reliance on the correctness of the identification or identification. In addition he should instruct them as to the reason for the need for such a warning and should make some reference to the possibility that a mistaken witness can be a convincing one and that a number of such witnesses can all be mistaken. Provided this is done in clear terms the judge need not use any particular form of words.
Secondly, the judge should direct the jury to examine closely the circumstances in which the identification by each witness came to be made. How long did the witness have the accused under observation? At what distance? In what light? Was the observation impeded in any way, as for example, by passing traffic or a press of people? Had the witness ever seen the accused before? How often? If only occasionally, had he any special reason for remembering the accused? How long elapsed between the original observation and the subsequent identification to the police? Was there any material discrepancy between the description of the accused given to the police by the witness when first seen by them and his actual appearance? If in any case, whether it is being dealt with summarily or on indictment, the prosecution have reason to believe that there is such a material discrepancy they should supply the accused or his legal advisers with particulars of the description the police were first given. In all cases if the accused asks to be given particulars of such descriptions, the prosecution should supply them. Finally, he should remind the jury of any specific weaknesses which had appeared in the identification evidence.
Obviously, these remarks apply not only to the instructions to be given by a Judge to a jury but also to the questions that a Judge must ask himself.
Au titre des principes de base, et indépendamment des enseignements découlant de l'arrêt Turnbull, notre Cour avait déjà décidé en 1979 que
...le juge devait mettre en garde les jurés contre le danger d'une preuve d'identification ainsi que des forces et des faiblesses de celle en l'espèce
lorsque «l'identification reposait sur un seul témoin, ou qu'on ait fait usage de méthodes d'identification inacceptables lors d'une parade ou encore par un usage suggestif de photos de l'accusé» ou que «l'affirmation du ou des témoins d'identification était contredite par une preuve d'impossibilité ou encore d'alibi»: écrit le juge Lamer, s'exprimant au nom de la Cour dans l'arrêt Chartier
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