dimanche 13 septembre 2009

Analyse des décisions relatives à la nécessité

R. c. Sabourin-Thibeault, 2006 QCCQ 7340 (CanLII)

[68] Comme on peut le constater avec ce qui précède, l’accusé avance des éléments factuels qui sont caractéristiques d’une défense de la nature d’une contrainte et qui prennent aussi appui sur la nécessité. Il s’agit dans les 2 cas, d’excuses reconnues en common law et toujours en vigueur comme moyens de défense en vertu du paragraphe 3, de l’article 8 du Code criminel.

[69] Cela dit, ces deux moyens sont souvent confondus car mis à part la nature de l’élément déclencheur qui amène l’accusé à commettre l’acte reproché, ils sont identiques.

[70] Dans l’affaire Perka, la Cour suprême s’est penchée sur le fondement philosophique de l’excuse de la nécessité comme moyen de défense. Ainsi au paragraphe 29 :

«Vu comme une «excuse» cependant, le moyen de défense résiduel fondé sur la nécessité, à mon avis prête beaucoup moins à la critique. Il se fonde sur une appréciation réaliste de la faiblesse humaine, tout en reconnaissant qu’un droit criminel humain et libéral ne peut astreindre des personnes à l’observation stricte des lois dans des situations d’urgence où les instincts normaux de l’être humain, que ce soit celui de conservation ou d’altruisme, commandent irrésistiblement l’inobservation de la loi. Le caractère objectif du droit est préservé; de tels actes sont toujours mauvais, mais dans les circonstances ils sont excusables…»

[71] La nécessité, tel qu’explicitée au paragraphe 33 dans l’affaire Perka est avant tout une situation qui naît de l’environnement dans lequel se trouve l’accusé et qui amène ce dernier à se détourner du respect de loi.

[72] Quant aux limites de ce moyen de défense, on peut lire ce qui suit aux paragraphes 37 et 38 :

- Si le moyen de défense fondé sur la nécessité doit faire partie valable et logique de notre droit criminel, il faut, comme tout le monde s’est accordé à le reconnaître, qu’il soit strictement contrôlé et scrupuleusement limité aux situations qui répondent à sa raison d’être fondamentale. Cette raison d’être, comme je l’ai indiqué, est la reconnaissance qu’il ne convient pas de punir des actes qui sont «involontaires» sur le plan normatif. Les contrôles et limites appropriés imposées au moyen de défense fondé sur la nécessité visent donc à assurer que les actes auxquels on demande d’appliquer le bénéfice de l’excuse sont vraiment «involontaires» au sens requis.

- Dans l’arrêt Morgentaler, précité, j’ai exprimé l’avis que tout moyen de défense fondé sur la nécessité ne s’applique qu’aux cas de désobéissance «dans des situations urgentes de danger imminent et évident lorsque l’obéissance de la loi est démonstrativement impossible. À mon avis cette restriction vise directement le «caractère involontaire» de la conduite apparemment répréhensible, en fournissant un certain nombre de critères qui permettent de déterminer si l’acte mauvais était vraiment la seule réaction possible pour la personne en question ou si, en réalité, elle a fait ce qu’on pourrait à juste titre appeler un choix. Si elle a fait un choix, alors l’acte mauvais ne peut pas avoir été involontaire au sens pertinent.»

[73] Pour le Tribunal, il est évident qu’une interprétation littérale de ce qui précède peut mener à une analyse excessivement rigide en ce que toute action de l’accusé est un choix en soi. Ce qu’il faut déterminer, c’est si le choix fait est l’aboutissement d’un raisonnement en vertu duquel les autres choix, le cas échéant, ne pouvaient raisonnablement être retenus étant donné les circonstances.

[74] Il faut donc comprendre que la poursuite doit principalement s’attarder au caractère volontaire de l’acte. Ainsi au paragraphe 56, la cour traite du fardeau de la preuve dans les termes suivants :

Bien que la nécessité soit désignée comme un moyen de défense en ce sens que c’est l’accusé qui l’invoque, il incombe toujours à la poursuite de faire la preuve d’un acte volontaire. La poursuite doit prouver chacun des éléments du crime imputé. Un de ces éléments est le caractère volontaire de l’acte. Normalement, le caractère volontaire peut se présumer, mais si l’accusé soumet à la cour, au moyen de ses propres témoins ou d’un contre-interrogatoire des témoins de la poursuite, des éléments suffisants pour soulever un doute que la situation engendrée par des forces extérieures était à ce point urgente que l’omission d’agir pouvait mettre en danger la vie ou la santé de quelqu’un que, suivant une analyse raisonnable des faits, il était impossible d’observer la loi, alors la poursuite se doit d’écarter ce doute. Le fardeau de la preuve ne repose pas sur l’accusé.

[75] Contrairement à la nécessité qui fait référence aux circonstances dans lesquelles se trouvent une personne, la contrainte elle, est directement liée à une menace de laquelle pourrait découler pour l’accusé ou une tierce personne des lésions corporelles ou la mort.

[76] Dans l’affaire Ruzic, la cour suprême a précisé et explicité le moyen de défense qu’est l’excuse résultant de la contrainte et a, par la même occasion, fait les rapprochements entre l’excuse qui résulte de la contrainte et celle qui résulte de la nécessité. Ainsi, aux paragraphes 30 et 31 :

o Appliquant au moyen de défense fondé sur la contrainte le raisonnement qu’elle avait tenu dans l’arrêt Perka, notre Cour a conclu, dans l’arrêt R. c. Hibbert, 1995 CanLII 110 (C.S.C.), (1995) 2 R.C.S. 973, que ce moyen de défense repose également sur la notion de caractère volontaire au sens moral. Dans les cas ou les moyens de défense fondés sur la nécessité et la contrainte sont invoqués, l’accusé prétend qu’il ne devrait pas être reconnu coupable parce qu’il a réagi à une menace de préjudice imminent. La Cour a également confirmé, dans l’arrêt Hibbert, que la contrainte n’annule pas habituellement la mens rea d’une infraction. Comme elle l’a fait à l’égard du moyen de défense fondé sur la contrainte. Par conséquent, la contrainte exonère une personne de toute responsabilité criminelle seulement après qu’on a conclu qu’elle avait la mens rea pertinente lorsqu’elle a commis l’acte prohibé : voir également Bergstrom c. La Reine, 1981 CanLII 188 (C.S.C.), (1981) 1 R.C.S. 539, p. 544 ( le juge McIntyre).

o Ainsi la contrainte, à l’instar de la nécessité, est invoquée pour éviter que la conduite moralement involontaire d’une personne engage sa responsabilité criminelle. Cette notion du «caractère volontaire au sens moral» peut-elle être reconnue comme un principe de justice fondamentale visé par l’art. 7 de la Charte ?

[77] C’est aussi dans cette affaire que la Cour explicite l’évaluation de la preuve présentée par l’accusé : le tribunal doit appliquer à la fois une norme objective et subjective, c’est-à-dire que ferait une personne raisonnable placée dans la même situation.

[78] Finalement, c’est au paragraphe 64, que la Cour confirme que pour les 2 moyens de défense, il y a identité des principes juridiques qui s’appliquent même si l’origine de l’excuse est totalement différente :

«D’après le juge en chef Lamer, dans l’arrêt Hibbert, le moyen de défense fondé sur la contrainte et celui fondé sur la nécessité reposent sur (page 274) les mêmes principes juridiques. Néanmoins, ils visent deux situations différentes. Dans le cas de nécessité, l’accusé est victime des circonstances. La contrainte a son origine dans les actes répréhensibles que les êtres humains accomplissent. En outre, le juge en chef Lamer, a établi certaines distinctions entre les conditions applicables au moyen de défense fondé sur la contrainte et celles qui s’appliquent au moyen de défense fondé sur la nécessité. Plus particulièrement, les motifs du juge en chef Lamer ne semblent pas avoir intégré dans le moyen de défense fondé sur la contrainte une exigence absolue d’immédiateté qui correspondrait exactement au contenu de l’art. 17 du Code Criminel».

[79] On peut donc affirmer que la défense de nécessité tire son origine des circonstances alors que la contrainte tire son origine des menaces faites par une ou plusieurs personnes. Les 2 situations obligent l’accusé à commettre un acte illégal. La défense et la nécessité sont en quelque sorte les deux faces d’une même pièce de monnaie.

[80] Pour les 2 moyens de défense la preuve doit faire ressortir les éléments suivants :

a) il y avait pour l’accusé ou une tierce personne, un danger réel, actuel et immi-nent sans que ce danger soit pour autant immédiat (facteur circonstanciel);

b) le temps à la disposition de l’accusé ou la nature et l’ampleur des menaces ne permettaient pas à l’accusé une alternative raisonnable et légale (facteur temporel);

c) la nature et l’ampleur du danger dépassait la gravité et les conséquences de l’acte illégal (facteur de proportionnalité);

[81] Une fois présentés en preuve, ces éléments doivent être analysés en appliquant une norme objective modifiée : objective en référence à une personne raisonnable et subjective en référence aux caractéristiques personnelles de l’accusé.

[82] C’est avec les nuances et les précisions qui précèdent que le Tribunal entend analyser la preuve présentée par l’accusé, car tel qu’explicité précédemment, cette preuve fait appel aux deux moyens de défense.

[83] Les éléments de preuve à la charge de l’accusé peuvent être présentés par des témoins de la défense et par le contre-interrogatoire des témoins de la poursuite.

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