mardi 15 septembre 2009

Sens des expressions «situation d'autorité» et «situation de confiance»

R. c. Audet, 1996 CanLII 198 (C.S.C.)

Le législateur a adopté l'art. 153 du Code criminel dans le but de protéger les adolescents se trouvant en position de vulnérabilité vis‑à‑vis de certaines personnes en raison d'un déséquilibre inhérent à la nature de la relation qu'ils vivent avec celles‑ci. Pour obtenir une condamnation fondée sur cette disposition, le ministère public doit établir hors de tout doute raisonnable que le plaignant est un adolescent au sens du par. 153(2), que l'accusé s'est livré à l'une des activités énumérées au par. 153(1) et, enfin, que ce dernier était, lors de l'accomplissement des actes en question, en situation d'autorité ou de confiance vis‑à‑vis de l'adolescent, ou encore que ce dernier était alors en situation de dépendance par rapport à l'accusé.

Le ministère public doit aussi établir l'existence de la mens rea nécessaire à l'égard de chacun des éléments de l'infraction. Il n'a toutefois pas à prouver que l'accusé a effectivement exploité la situation privilégiée dans laquelle il se trouvait par rapport à l'adolescent. Pour atteindre son objectif, le législateur a choisi, en adoptant le par. 153(1), de criminaliser l'activité sexuelle elle‑même, qu'elle soit consensuelle ou non (par. 150.1(1) du Code), dans la mesure où y participe une personne se trouvant, vis‑à‑vis de l'adolescent, dans l'une des situations énumérées. En l'espèce, il ressort clairement des motifs du juge du procès qu'il a tenu pour acquis que le ministère public devait prouver que l'accusé avait abusé ou tiré profit de sa situation particulière par rapport à l'adolescente. Le juge du procès et, incidemment, la Cour d'appel ont donc commis une erreur de droit en évaluant incorrectement la nature des éléments constitutifs de l'infraction prévue au par. 153(1).

Les mots «autorité» et «confiance» utilisés au par. 153(1) doivent être interprétés selon leur sens courant et l'expression «situation d'autorité» ne doit pas être limitée aux cas où la relation d'autorité découle d'une quelconque fonction exercée par l'accusé, mais elle doit s'étendre à toute relation dans le cadre de laquelle l'accusé exerce en fait un tel pouvoir. En refusant d'énumérer spécifiquement au par. 153(1) les cas où une personne devait éviter tout contact sexuel avec un adolescent, le législateur a voulu faire porter l'analyse sur la nature de la relation entre l'adolescent et l'accusé plutôt que sur leur statut l'un par rapport à l'autre. La définition de la portée des expressions «situation d'autorité» et «situation de confiance», tout comme la détermination dans chaque cas de la nature de la relation entre l'adolescent et l'accusé, doit se faire en fonction du but et de l'objectif poursuivi par le législateur.

Il reviendra au juge du procès de tenir compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes à la qualification de la relation existant entre les deux, pour déterminer si l'accusé se trouvait en situation d'autorité ou de confiance par rapport à l'adolescent ou encore si ce dernier était en situation de dépendance par rapport à l'accusé au moment de l'infraction. Bien qu'un professeur ne soit pas de jure en situation d'autorité ou de confiance vis‑à‑vis de ses élèves, il le sera en fait dans la très grande majorité des cas vu l'importance du rôle que lui confie la société. En l'absence d'une preuve qui soulève dans l'esprit du juge des faits un doute raisonnable sur l'existence d'une situation de confiance ou d'autorité, conclure qu'un professeur n'est pas dans une telle situation vis‑à‑vis de ses élèves constituerait une erreur de droit. Cette approche, qui impose à l'accusé une charge de présentation, n'enfreint pas la présomption d'innocence puisqu'en l'absence d'une telle preuve le fait inconnu (l'existence d'une situation de confiance ou d'autorité) découle inexorablement du fait établi (la qualité de professeur de l'accusé vis‑à‑vis du plaignant, son élève). Dans de telles circonstances, il n'existe aucune possibilité que l'accusé puisse être condamné malgré l'existence d'un doute raisonnable.

Finalement, une telle approche n'a pas pour effet de transformer le crime d'exploitation sexuelle en infraction de responsabilité absolue. Le ministère public n'est pas relevé de son obligation d'établir hors de tout doute raisonnable l'existence de la mens rea nécessaire à l'égard de chacun des éléments de l'infraction, qui en est d'ailleurs une d'intention spécifique.

En l'espèce, il n'existe aucune circonstance pertinente à la qualification de la nature de la relation entre l'accusé et l'adolescente qui soit susceptible de soulever un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits quant à la situation de confiance dans laquelle l'accusé se trouvait vis‑à‑vis de l'adolescente. Même si l'incident a eu lieu lors des vacances d'été, ces vacances venaient de débuter et les circonstances indiquent que l'accusé allait de nouveau enseigner à l'adolescente. Il était donc tout au moins en situation de confiance vis‑à‑vis de celle‑ci. Notre Cour est donc justifiée d'exercer le pouvoir que lui confère le par. 686(4) du Code criminel de casser le verdict d'acquittement prononcé par le juge du procès et d'y substituer un verdict de culpabilité puisque n'eût été l'erreur de droit commise par ce dernier, il est évident que l'accusé aurait été déclaré coupable. Le juge du procès a d'ailleurs tiré toutes les conclusions nécessaires pour justifier un verdict de culpabilité.

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