dimanche 13 septembre 2009

Un individu accusé d'avoir flâné peut-il être trouvé coupable si la preuve établit qu'il n'a pas flâné mais qu'il a rôdé ?

R. c. Cloutier, 1991 CanLII 2831 (QC C.A.)

Leurs équivalents français "flâner" et "rôder" épousent les mêmes contours quand il s'agit de décrire les attitudes ou les gestes qu'ils impliquent. Au-delà des simples définitions de dictionnaires, ou ici pour en confirmer l'exactitude, l'homme moyen qui entend ces deux mots sait immédiatement faire la différence. Et, pour lui, elle est de première grandeur.

Dans le flâneur, il reconnaît l'individu qui erre, apparemment sans destination précise, qui n'a pas, dans sa façon de bouger, de but ou de raison de le faire autre que de passer le temps, qui ne cherche rien d'identifiable et dont, souvent, la démarche va au caprice de ses fantaisies. A ce verbe, le dictionnaire des synonymes Bordas (1988, page 424) assimile errer, se promener, baguenauder, se balader, traîner, musarder, boulevarder, lambiner, lécher les vitrines, lanterner et le reste. Bref, en l'occurrence il s'agit d'une conduite qui, essentiellement, n'aurait rien de répréhensible si, comme l'exige l'article 173 (177), elle ne se déroulait pas sur la propriété privée ou, en principe, un flâneur n'a pas d'affaires.

A l'encontre, à l'homme moyen rôder inspire une réaction péjorative.

Le verbe comporte une idée de mal, il déprécie à ses yeux la personne qui s'adonne à l'action qu'il représente. Le rôdeur n'agit pas avec désinvolture comme le flâneur. Les gestes qu'il accomplit laissent croire qu'il a quelque chose en tête et que ce quelque chose n'est pas recommandable. A le voir faire, on a raison de se dire qu'il va éventuellement passer à un acte précis, lequel sera de nature à attirer la réprobation des honnêtes gens, même s'il 'est pas par ailleurs spécifiquement interdit par le Code criminel.

Il y a, à mon avis, une autre raison pour laquelle il faut conclure qu'à l'article 173 (177) les deux actes qui font l'objet de l'alternative sont essentiellement différents l'un de l'autre et qu'ils ne peuvent être confondus. L'article précité énonce qu'une fois l'actus reus prouvé, ce qui est le fardeau du poursuivant, il incombe à l'accusé de fournir une excuse non pas simplement "raisonnable" mais, dit l'article, "légitime". Or il me paraît qu'il est beaucoup plus facile à un flâneur d'expliquer sa présence et d'en démontrer le légitimité lorsqu'elle a lieu la nuit sur la propriété d'autrui, près d'une maison d'habitation, que ce ne l'est pour un individu dont la preuve indique qu'il "rôdait" au même endroit et après le coucher du soleil. A mon avis, la personne accusée d'une infraction sous l'article 173 (177) est justifiée de s'en tenir à opposer une justification de sa présence sur les lien selon la nature précise de l'acte reproché et le juge qui préside n'a certainement pas le droit de lui imposer un fardeau plus lourd au motif que les faits entourant le flânage de la personne ainsi accusée constituent plutôt du rôdage.

C'est d'ailleurs ainsi, il est important de le souligner, que le juge de première instance a traité l'excuse offerte par l'appelant sur les lieux lorsqu'il se dit d'avis que, dans les circonstances, cette excuse ne permettait pas de lever le soupçon qu'un acte illégal était sur le point de se commettre.

Je conclus donc que rôder n'est pas flâner, que l'article 173 (177) n'implique pas simplement deux façons de commettre une infraction mais bien deux infractions distinctes, et que si la preuve au dossier ne correspond pas aux circonstances que l'on doit retrouver dans le cas de la plainte telle que rédigée, l'accusation doit être rejetée.

Dans l'affaire qui nous est soumise, je n'ai aucune hésitation à dire que si l'intimé a posé un geste illégal, il a rodé et non flâné. Sa présence de nuit, dans l'encoignure d'une porte de garage où, la veille, quelqu'un a forcé le dispositif servant à l'ouvrir, le bruit dont il y a lieu de présumer que c'est lui et son compagnon qui l'a fait et qui se prolonge au point de susciter l'inquiétude de Normandeau, enfin le fait qu'à la toute proximité de l'intimé on constate que de nouveau il y a manipulation du même dispositif, tout cela suggère fortement que, sauf excuse légitime, il se disposait à passer à des actes dont le résultat aurait pu donner lieu au moins à une accusation de tentative d'introduction par effraction.

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