R. c. Briand, 2005 CanLII 21597 (QC C.Q.)
[15] L'accusé était-il détenu au sens de l'article 9 de la Charte ?
[16] Dans l'arrêt Hufsky 1988 CanLII 72 (C.S.C.), (1988) 1 RCS 621, le Juge Le Dain estime qu'il n'y a en principe aucune raison de ne pas appliquer au mot "détention" à l'article 9 la définition générale du mot "détention" qui se dégage des arrêts Therens et Thomsen.
[17] Dans l'arrêt La Reine c. Therens, 1985 CanLII 29 (C.S.C.), (1985) 1 RCS 613, le Juge Le Dain (dont l'opinion quant à la définition de "détention" est partagée par ses collègues) s'exprime ainsi, à la page 644 :
"À mon avis, il est, en règle générale, irréaliste de considérer l'obéissance à une sommation ou à un ordre d'un policier comme un acte réellement volontaire en ce sens que l'intéressé se sent libre d'obéir ou de désobéir, même lorsque la sommation ou l'ordre en question n'est autorisé ni par la loi ni par la common law, et que, par conséquent, le refus d'y obtempérer n'entraîne aucune responsabilité criminelle. La plupart des citoyens ne connaissent pas très exactement les limites que la loi impose aux pouvoirs de la police. Plutôt que de s'exposer à l'usage de la force physique ou à des poursuites pour avoir volontairement entravé la police dans l'exécution de son devoir, il est probable que la personne raisonnable péchera par excès de prudence et obtempérera à la sommation en présumant qu'elle est légale. L'élément de contrainte psychologique, sous forme d'une perception raisonnable qu'on n'a vraiment pas le choix, suffit pour rendre involontaire la privation de liberté. Il peut y avoir détention sans qu'il y ait contrainte physique ou menace de contrainte physique, si la personne intéressée se soumet ou acquiesce à la privation de liberté et croit raisonnablement qu'elle n'a pas le choix d'agir autrement."
[18] La notion de détention a été analysée dans l'affaire de R. c. Margison, (2003) A. N.-B., no 211, par le Juge Russell qui s'exprime ainsi aux paragraphes 12 et 13 du jugement :
"Dans l'affaire R. c. H. (C.R.) [C.R.H.], 2003 M.J. No. 90, deux agents de police se trouvant dans un véhicule de police ont adressé la parole à trois jeunes piétons. Les réponses et la recherche faite plus tard par ordinateur ont donné lieu à une accusation de manquement aux conditions de probation. Aux paragraphes 15 à 18 de son jugement, la juge Steel a écrit ce qui suit :
para 15. Le simple fait d'avoir une conversation avec un agent de police ne fait pas naître une présomption de détention. Voir les propos du juge d'appel LeBel dans l'arrêt United States of America c. Alfaro 1992 CanLII 3117 (QC C.A.), (1992), 75 C.C.C. (3d) 211 (C.A.Q.), à la page 236. Les agents de police peuvent engager des conversations avec les gens et leur poser des questions. Voir par exemple l'arrêt Regina c. Esposito 1985 CanLII 118 (ON C.A.), (1985), 24 C.C.C. (3d) 88 (C.A. Ont.), aux pages 94 et 95.
Para 16. Les agents de police peuvent interroger les gens sur la rue, à l'arrière des voitures de police ou aux postes de police :
Selon la jurisprudence, la police peut communiquer avec quelqu'un par téléphone (Moran) [1987 CanLII 124 (ON C.A.), (1987), 36 C.C.C. (3d) 225 CC.A. Ont.)], en lui parlant quand il marche sur la rue (Grafe) (1987 CanLII 170 (ON C.A.), [1987], 36 C.C.C. (3d) 267 (C.A. Ont.)], en frappant à sa porte (Bazinet) [1986 CanLII 108 (ON C.A.), (1986), 25 C.C.C. (3d) 273 (C.A. Ont.)] ou en le suivant jusqu'à ce qu'il range sa voiture et en lui parlant ensuite (Clement) [1996 CanLII 206 (C.S.C.), [1996] 2 R.C.S. 289], le tout sans qu'il y ait détention.
[R. c. Swidnicki (E.S.) et al. 1999 CanLII 14141 (MB Q.B.), (1999), 136 Man. R. (2d) 161 (C.B.R.), au paragraphe 38, motifs de la juge Beard.]
para 17. Comme le dit le juge d'appel Krever dans l'arrêt Regina c. Grafe 1987 CanLII 170 (ON C.A.), (1987), 36 C.C.C. (3d) 267 (C.A. Ont.), à la page 274 :
La Charte ne vise pas à protéger tous les membres de la société contre tout contact avec les autorités constituées, si insignifiant que puisse être ce contact.
Para 18. L'emploi du mot "détention" se rapporte nécessairement à une certaine forme de contrainte. Il suppose le fait de retenir ou de garder quelqu'un malgré lui pendant une durée indéterminée. Une conversation n'entraîne pas nécessairement une détention au sens de la Charte. Il faut quelque chose de plus : la privation de liberté.
Au sujet de la détention psychologique, la juge Steel a écrit, au paragraphe 21 :
Para 21. L'élément d'une sommation ou d'une directive de la police, ajouté à celui d'une soumission volontaire qui entraîne une privation de la liberté, est essentiel à la détention psychologique. […] Sans un certain pouvoir sur les déplacements de quelqu'un, il n'y a aucune détention, pas même psychologique."
[19] En l'espèce, la preuve révèle que les agents de la paix se sont introduits dans l'entrée privée à la suite de l'automobile conduite par l'accusé puis ont activé les gyrophares du véhicule patrouille.
[20] Le conducteur du véhicule est sorti de lui-même mais les policiers se sont approchés de lui, l'ont interpellé et lui ont demandé de remettre pour examen le certificat d'immatriculation, l'attestation d'assurance et son permis de conduire.
[21] En procédant comme ils l'ont fait, les agents de la paix ont restreint la liberté d'action de l'accusé.
[22] Il est vraisemblable de déduire que le poids psychologique de la présence inattendue et impromptue de deux policiers dans l'entrée privée de sa résidence en pleine nuit a créé une pression coercitive sur l'accusé.
[23] Abstraction faite de savoir si la demande des policiers en ce qui concerne les documents était légale, la sommation ou l'ordre des policiers de remettre ses documents pouvait entraîner la responsabilité pénale de l'accusé en cas de refus d'obtempérer (articles 53 et 139 du Code de la sécurité routière). La responsabilité pénale qui peut découler de la désobéissance constitue une contrainte ou coercition réelle.
[24] Pour ces motifs, le Tribunal est d'avis que l'activation des gyrophares combinée à la sommation adressée à l'accusée de remettre ses documents pour en permettre l'examen conduisent à la conclusion que l'accusé était détenu au sens de l'article 9 de la Charte.
[25] La détention est-elle arbitraire au sens de l'article 9 de la Charte ?
[26] Les actes des agents de la paix doivent trouver une justification juridique dans les pouvoirs découlant de la loi ou de la common law.
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