R. c. Bernier, 2007 QCCQ 11881 (CanLII)
[22] Le procureur en défense soutiendra que l'un et l'autre de ses clients ne sont que de petits revendeurs, de peu d'importance et que les dispositions du Code criminel créant le renversement de fardeau ne les vise pas : ils ne seraient en quelque sorte selon lui que du menu fretin, des participants au bas de l'échelle de la distribution. Il soutiendra que les conditions suggérées constituent une sorte de détention à domicile, et que les garanties offertes tant par l'un que par l'autre nous assurent du respect de ces conditions.
[23] Au Ministère public on ne voit pas le dossier sous un même angle. Tant Monsieur Morneau que Monsieur Bernier approvisionnaient une multitude de clients avec des quantités respectables et jouissaient dans le milieu d'un certain renom. C'est surtout les deuxième et troisième motifs prévus à l'article 515(10) du Code criminel qui imposent la détention.
ANALYSE
[24] Nous nous abstiendrons de commentaires quant à la présence de l'accusé devant le tribunal (515(10)a) C.cr.), personne n'ayant soulevé la question. Les sous-paragraphes (10)b) et (10)c) énoncent les principes guidant le magistrat statuant sur la mise en liberté d'un prévenu. La remise en liberté est la règle en matière de cautionnement, la détention étant l'exception.
[25] Or les articles 515(6)a)(ii) et 515(6)d) inverseront cette règle, et imposeront aux accusés le fardeau d'établir que leur détention n'est pas nécessaire en attendant l'issue des procédures. Le législateur a adopté ces dispositions parce qu'on lui a démontré que le trafic de stupéfiants constitue d'une part une activité criminelle des plus lucratives, incitant le délinquant à récidiver, et dans un deuxième temps, une activité commerciale dont les effets sont tristement lourds pour les usagers.
[26] Dans l'affaire Pearson, était en litige le caractère constitutionnel de l'article 515(6)d), les procureurs de l'accusé soutenant qu'il allait à l'encontre de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Rendant jugement pour la majorité, le Juge Lamer d'écrire (p. 696) :
« Les particularités exceptionnelles des infractions qui font l'objet de l'al. 515(6)d) semblent indiquer qu'elles sont perpétrées dans un contexte très différent de celui de la plupart des autres crimes. La majorité des infractions ne sont pas commises systématiquement. Par contre, le trafic des stupéfiants est une activité systématique, pratiquée d'ordinaire dans un cadre commercial très sophistiqué. Il s'agit souvent une entreprise et d'un mode de vie. C'est une activité très lucrative, ce qui pousse fortement le contrevenant à poursuivre son activité criminelle même après son arrestation et sa mise en liberté sous caution. Vu ces circonstances, le processus normal d'arrestation et de mise en liberté sous caution ne sera normalement pas efficace pour mettre un terme à l'activité criminelle. Il faut des règles spéciales pour établir un système de mise en liberté sous caution qui maintient le droit du prévenu à être mis en liberté provisoire tout en décourageant la poursuite de l'activité criminelle ».
[27] Notre collègue, le juge Martin Vauclair dans l'affaire Salvatore Brunetti a relevé un commentaire des plus pertinents, émis en 1974 par le juge François Chevalier lorsqu'il écrivait :
« In fact, unless we close our eyes and deliberately plug our ears, it is impossible not to be aware of certain widespread phenomena in our society: first, the daily increase in the use of drugs and narcotics; secondly, the fact that this usage is almost exclusively confined to young people; thirdly, the alarming case with which users are able to obtain them, and finally, the deleterious effects that these drugs, especially "hard" drugs, produce on those who use them.
The three categories of persons who come before our Courts are, beginning with those at the end of the chain, the user; on the way toward him, the middleman or "pusher", and at the beginning of the chain, the wholesaler. The simple possessor is harmful only to himself; the pusher profiteers. As forthe wholesaler, it is especially against him that society must protect itself, because he is the source of the evil, which eventually contaminates public health both physical and mental.
It is therefore this Court's opinion with respect to interim release, that while one can and must give sympathetic attention to the case of the simple possessor, one must look severely upon that of the wholesaler, who initiates the distribution and marketing process, since were it not for the wholesaler's existence, our young drug addicts would be much less likely to be exposed, or at least they would be infinitely less numerous. »
[28] Quant au degré d'importance à accorder à l'appartenance à une organisation criminelle, comment ne pas partager l'opinion de notre collègue Richard Grenier de la Cour supérieure lorsqu'il écrit :
« L'appartenance à des groupes criminels structurés qui visent, par définition, à devenir des monopoles de la vente de drogue, que ce soit sur le plan local ou national, démontre un choix de vie, celui de mener des affaires lucratives en violation et au mépris de la loi.
La société, par l'entremise des tribunaux, a le devoir de réagir à ce phénomène en privilégiant la dissuasion comme remède. Cette dissuasion doit s'exercer, non seulement à l'endroit des têtes dirigeantes des réseaux, mais aussi à l'endroit de tous les individus constituant des rouages importants permettant à ces organisations d'être opérationnelles et de se régénérer avec rapidité quand elles sont décapitées. »
[29] Convenons par ailleurs que l'appartenance à une organisation criminelle et/ou le fait de répondre à une accusation spécifique (Art. 515(6) C.cr.), qui fait en sorte que le fardeau est sur les épaules de l'accusé, ne signifie pas que la détention doive être forcément ordonnée.
[30] Enfin en sus des principes émis par le regretté Michel Proulx de notre Cour d'appel dans l'affaire Rondeau, la disposition prévue au paragraphe (10)c) de l'article 515 ne doit pas être ignorée. Cette disposition oblige la détention si la remise en liberté risque de miner la confiance du public envers l'administration de la justice. On y énonce un motif de refuser la mise en liberté sous caution, que ne visent pas les articles 515(10)a) et b). Il n'est pas inutile de rappeler que la confiance du public envers l'administration de la justice est essentielle au bon fonctionnement de notre système judiciaire.
[31] Le plus haut tribunal du pays a statué que le refus d'accorder la mise en liberté sous caution "pour ne pas miner la confiance du public envers l'administration de la justice", eu égard aux facteurs énoncés à l'article 515(10)c), est conforme à l'article 11e) de la Charte, et qu'un juge pouvait ordonner la détention s'il était persuadé, à la lumière des facteurs énoncés au sous-paragraphe (10)b) et des circonstances de l'accusation, qu'un membre raisonnable de la population serait convaincu que ce refus est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public dans l'administration de la justice.
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