samedi 26 septembre 2009

L'attaque de panique est de nature à constituer une preuve contraire et à repousser la présomption édictée à l'article 252(2)

R. c. Vézina, 2002 CanLII 25504 (QC C.Q.)

[2] La question en litige porte sur l'intention spécifique requise, soit celle d'échapper à toute responsabilité civile ou criminelle, puisque l'accusé justifie sa fuite des lieux de l'accident par la panique qui l'a envahi.

[9] Deux psychiatres, l'un à la demande de la défense, l'autre à celle de la poursuite pour obtenir une contre-expertise, concluent que l'accusé a été l'objet d'une "attaque de panique", que décrit ainsi le DSM-IV (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, utilisé notamment en Amérique du nord):

"La caractéristique essentielle de l'Attaque de panique consiste en une période bien délimitée d'anxiété ou de malaise très intense accompagnée par au moins 4 à 13 symptômes somatiques ou cognitifs. L'attaque a un début soudain et atteint rapidement son acmé (habituellement en 10 minutes ou moins) et est souvent accompagnée d'un sentiment de danger ou de catastrophe imminente et d'un besoin urgent de s'échapper".

Le DSM-IV rapporte encore que:

"Les sujets consultant pour des Attaques de panique inattendues décrivent habituellement la peur comme intense et disent qu'il ont pensé être sur le point de mourir, de perdre le contrôle d'eux-mêmes, d'avoir une crise cardiaque, ou un accident vasculaire cérébral ou de "devenir four". Ils rapportent aussi habituellement un désir urgent de fuir l'endroit quel qu'il soit où l'attaque est survenue"

[10] Cette preuve est-elle de nature à constituer une preuve contraire et à repousser la présomption édictée à l'article 252(2) du Code criminel qui stipule que:

"Dans les poursuites prévues au paragraphe (1), la preuve qu'un accusé a omis d'arrêter son véhicule, bateau ou aéronef, d'offrir de l'aide, lorsqu'une personne est blessée ou semble avoir besoin d'aide et de donner ses nom et adresse constitue, en l'absence de toute preuve contraire, une preuve de l'intention d'échapper à toute responsabilité civile ou criminelle"?

La jurisprudence s'entend pour dire que face à une telle présomption, l'accusé n'a qu'à soulever un doute raisonnable dans l'esprit du Tribunal, à apporter une preuve que le Tribunal ne doit pas nécessairement croire mais qu'il doit considérer plausible, pouvant raisonnablement être vraie. Par contre, dans un cas comme celui-ci, il faut plus que la simple affirmation de l'accusé qu'il a été pris de panique, et une preuve extérieure est généralement exigée.

[11] Les symptômes physiques associés à une attaque de panique ont ici été observés par les policiers, tant au domicile de l'accusé qu'au poste de police, par les ambulanciers et par le personnel de l'hôpital. De plus, le Dr. Chamberland a pris soin de s'assurer qu'il n'était pas victime de simulation de la part de l'accusé. Le Tribunal se trouve donc devant une preuve plus que plausible et vraisemblable que l'accusé a alors souffert d'une attaque de panique.

[12] Mais cette attaque de panique constitue un trouble mental, selon le DSM-IV, que le Dr. Gagné décrit comme étant "un épisode dissociatif bref". Ce trouble mental est-il de la nature de ceux qui entraînent un verdict de non responsabilité criminelle au sens des articles 16 et 672.34 C.cr. ou entre-il dans la catégorie des automatismes entraînant un verdict d'acquittement?

[13] Le Tribunal estime que la défense avancée par l'accusé en est une d'automatisme. La Cour suprême du Canada, en 1980 avait adopté la définition suivante de l'automatisme:

"L'automatisme désigne un comportement qui se produit à l'insu de la conscience et qui échappe à la volonté. C'est l'état d'une personne qui, tout en étant capable d'agir, n'est pas consciente de ce qu'elle fait. Il désigne un acte inconscient et involontaire, où l'esprit ne sait pas ce qui se produit".

M. le juge Bastarache, dans l'arrêt Stone, proposait en 1999 une définition plus large de l'automatisme qu'il décrivait:

"comme étant un état de conscience diminué, plutôt qu'une perte de conscience, dans lequel la personne, quoique capable d'agir, n'a pas la maîtrise de ses actes".

La description que donnait le Dr. Gagné de l'état de l'accusé en proie à son attaque de panique cadre tout à fait avec chacune des deux définitions de l'automatisme données par la Cour suprême du Canada. La preuve dans son ensemble établit donc par prépondérance des probabilités que l'accusé a souffert d'un automatisme après l'accident, lequel l'a empêché d'avoir l'intention d'échapper à toute responsabilité civile ou criminelle, ce qui constitue pourtant l'essence de l'infraction qui lui est reprochée.

[14] Finalement, rien dans la preuve ne permet de penser que cet automatisme découle "d'une maladie organique ou de la constitution psychologique ou émotionnelle de l'accusé", mais tout démontre que "le déséquilibre mental momentané de l'accusé a été provoqué par un facteur externe", ici un choc psychologique traumatisant. Or, comme le disait le juge Martin, cité avec approbation dans l'arrêt Rabey, "des troubles momentanés de la conscience dus à des facteurs externes spécifiques ne relèvent pas du concept de la maladie mentale". Le Tribunal ne peut donc pas considérer que cet automatisme constitue une maladie mentale selon la théorie de la cause interne.[12] Il ne le peut pas davantage en invoquant la théorie du risque subsistant ou un autre facteur d'ordre public.

[15] La preuve apportée par la défense indique que lorsque l'accusé a quitté la scène de l'accident, ce n'était pas pour échapper à sa responsabilité civile ou criminelle, car il était alors dans un état de conscience qui le rendait incapable de former une telle intention. La défense d'automatisme offerte a la qualité voulue pour être une preuve contraire qui repousse la présomption établie à l'article 252(2) C.cr. Comme rien d'autre dans la preuve n'établit que la fuite des lieux de l'accident visait à soustraire l'accusé de sa responsabilité civile ou criminelle, là encore un élément essentiel que doit prouver le ministère public, le Tribunal n'a d'autre choix que de constater que ce dernier ne s'est pas déchargé de son fardeau.

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