mardi 15 septembre 2009

Les policiers avaient-ils des motifs raisonnables de croire que l’accusé était en train de commettre l'infraction prévue à l'article 253?

LSJPA — 0887, 2008 QCCQ 13570 (CanLII)

[35] Le soussigné considère que ce qui a été établi à cet égard dans la décision de l’honorable Richard Laflamme, qui n’a pas été portée en appel, est l’état du droit qu’il reprend et fait sien pour ce qui est du cadre général seulement.

[15] L'article 9 de la Charte se lit comme suit :

Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraire.

[16] Il est maintenant bien établi que la détention dont il est question à l'article 9 de la Charte réfère à une certaine forme de contrainte. Ce principe suppose le fait de retenir ou de garder quelqu'un malgré lui pendant une durée quelconque. Dans certains cas, la détention est permise par la loi. Qu'il suffise de référer à l'article 636 du Code de la sécurité routière. Ou encore aux articles 48 et 50 de la Loi sur la police où l'on reprend, ni plus ni moins, les pouvoirs de common law accordés aux agents de la paix.

[17] Le Code criminel précise les pouvoirs policiers en matière d'arrestation. Les deux premiers paragraphes de l'article 495 du Code criminel édictent que ce qui suit :

495. (1) Arrestation sans mandat par un agent de la paix — Un agent de la paix peut arrêter sans mandat :

a) une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d'après ce qu'il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel;

b) une personne qu'il trouve en train de commettre une infraction criminelle;

c) …

(2) Restriction — Un agent de la paix ne peut arrêter une personne sans mandat :

a) soit pour un acte criminel mentionné à l'article 553;

b) soit pour une infraction pour laquelle la personne peut être poursuivie sur acte d'accusation ou punie sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire;

c) soit pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire,

dans aucun cas où :

d) d'une part, il a des motifs raisonnables de croire que l'intérêt public, eu égard aux circonstances y compris la nécessité :

(i) d'identifier la personne,

(ii) de recueillir ou conserver une preuve de l'infraction ou une preuve y relative,

(iii) d'empêcher que l'infraction se poursuive ou se répète, ou qu'une autre infraction soit commise,

peut être sauvegardé sans arrêter la personne sans mandat;

e) d'autre part, il n'a aucun motif raisonnable de croire que, s'il n'arrête pas la personne sans mandat, celle-ci omettra d'être présente au tribunal pour être traitée selon la loi.

[18] L'arrestation requiert la présence de motifs raisonnables qu'un crime a été commis ou est sur le point de l'être.

[19] Lorsqu'il s'agit d'une interpellation au hasard ou pour un motif en vertu du Code la sécurité routière, le policier possède le pouvoir d'exiger des tests de coordination.

636.1. Un agent de la paix qui a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme de la personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle peut exiger que cette personne se soumette sans délai aux tests de coordination physique raisonnables qu'il lui indique, afin de vérifier s'il y a lieu de la soumettre aux épreuves prévues à l'article 254 du Code criminel (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-46). Cette personne doit se conformer sans délai à cette exigence.

[20] Il va sans dire que l'exercice du pouvoir édicté à cet article n'est pas obligatoire dans la mesure où le policier croit déjà détenir des motifs raisonnables de croire en la commission d'une infraction. Pour sommer une personne à fournir un échantillon d'haleine, l'article 254(3) C.cr. oblige l'agent de la paix à détenir des motifs raisonnables de croire que cette personne est en train de commettre, ou a commis au cours des trois heures précédentes, par suite d'absorption d'alcool, une infraction à l'article 253. L'article 254(2) exige plutôt, aux fins d'un test de dépistage, la présence de soupçons quant à la présence d'alcool dans l'organisme de la personne qui conduit un véhicule à moteur. (nos soulignements)

[21] Il est utile de rappeler les propos du juge Cory dans R. c. Storey :

Il existe une autre protection contre l'arrestation arbitraire. Il ne suffit pas que l'agent de police croie personnellement avoir des motifs raisonnables et probables d'effectuer une arrestation. Au contraire, l'existence de ces motifs raisonnables et probables doit être objectivement établie. En d'autres termes, il faut établir qu'une personne raisonnable, se trouvant à la place de l'agent de police, aurait cru à l'existence de motifs raisonnables et probables de procéder à l'arrestation. Voir R. v. Brown 1987 CanLII 136 (NS C.A.), (1987), 33 C.C.C. (3d) 54 (C.A.N.‑É.), à la p. 66; Liversidge v. Anderson, [1942] A.C. 206 (H.L.), à la p. 228. (nos soulignements)

En résumé donc, le Code criminel exige que l'agent de police qui effectue une arrestation ait subjectivement des motifs raisonnables et probables d'y procéder. Ces motifs doivent en outre être objectivement justifiables, c'est‑à‑dire qu'une personne raisonnable se trouvant à la place de l'agent de police doit pouvoir conclure qu'il y avait effectivement des motifs raisonnables et probables de procéder à l'arrestation. Par ailleurs, la police n'a pas à démontrer davantage que l'existence de motifs raisonnables et probables. Plus précisément, elle n'est pas tenue, pour procéder à l'arrestation, d'établir une preuve suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité.

[22] La Cour suprême a réitéré ce principe dans l'arrêt R. c. Bernshaw où l'on traite plus spécifiquement des « motifs raisonnables » dont on fait mention à l'article 254(3) C.cr. Elle rappelle que l'existence de motifs raisonnables comporte un élément objectif et un élément subjectif; le policier doit subjectivement croire sincèrement que le suspect a commis l'infraction et, objectivement, cette croyance doit être fondée sur des motifs raisonnables.

[23] Notre Cour d'appel dans R. c. L. (C.) s'exprime ainsi :

Un seul soupçon ne permet pas à un agent de la paix d'arrêter ou de détenir une personne: R. c. Simpson, 1993 CanLII 3379 (ON C.A.), (1993) 79 C.C.C. (3d) 482; R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (C.S.C.), (1990) 1 R.C.S. 241; R. c. Duguay, 1985 CanLII 112 (ON C.A.), (1985) 18 C.C.C. (3d) 289. Le pouvoir d'un agent de la paix de procéder à une arrestation sans mandat ne vaut que s'il s'agit d'« une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d'après ce qu'il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel » (a. 495 C.cr.) (je souligne). Sans ces motifs raisonnables, point d'arrestation légale. (nos soulignements)

25 En matière de conduite de véhicules à moteur, cette exigence fondamentale est également codifiée. L'arrestation sans mandat d'une personne n'est possible que si l'agent de la paix a des motifs raisonnables de croire que cette personne a commis, au cours des trois heures précédentes, ou est en train de commettre une infraction à l'article 253 C. cr. Une fois ces motifs acquis, l'agent peut ordonner à cette personne de fournir des échantillons d'haleine (254 (3) C.cr.).

26 Rappelons que la détermination de l'existence de motifs raisonnables est une question de fait et non une question de droit: R. c. Murphy, (1972) 5 C.C.C. (2d) 259 (C.A.N.E.); R. c. Jewers, (1972) 6 C.C.C. (2d) 301 (C.A.N.E.); R. c. Babineau, (1981-1982) 11 M.V.R. 204 (C.A.N.B.); R. c. Bernshaw, 1995 CanLII 150 (C.S.C.), [1995] 1 R.C.S. 254. (nos soulignements)

27 Les motifs raisonnables à la base d'un ordre donné en vertu de l'article 254 (3) C.cr. peuvent être valablement fondés sur des observations des policiers qui ont intercepté le prévenu. Il n'est pas dans tous les cas indiqué ni nécessaire d'effectuer un contrôle à l'aide de l'appareil de détection prévu à l'article 254 (2) C.cr.: R. c. MacLennan, (1995) 11 M.V.R. (3d) 42 (C.A.N.E.); R. c. Oduneye, (1996) 15 M.V.R. (3d) 161 (C.A.A.); R. c. Bernshaw, précitée.

28 L'agent de la paix doit posséder des motifs tels qu'ils permettent à une personne raisonnable de croire que le prévenu, «more likely than not», a conduit en état d'ébriété dans les trois heures précédant son interception: R. c. Gavin, (1994) 50 M.V.R. (2d) 302 (C.A.I.P.E.).

[24] La Cour supérieure, en sa qualité de tribunal d'appel des poursuites sommaires, a appliqué ces principes dans R. c. Lafrance. Dans cette affaire, la preuve établissait « que la façon de conduire de l'accusé n'était pas irrégulière au point de justifier de penser que ses facultés étaient affaiblies ». Selon le juge d'appel, il ne restait qu'à décider si les policiers avaient des motifs raisonnables de procéder à l'arrestation conformément à l'article 254(3) C.cr. Comme en l'espèce, les policiers n'avaient pas requis que l'accusé se soumette à un test de dépistage en vertu de l'article 254(2) C.cr. Malgré une odeur d'alcool, des yeux rouges « mais pas vitreux », une légère perte d'équilibre, la présence d'une bière dans le porte-verre du véhicule, une élocution lente, mais cohérente, le juge conclut à l'absence de motifs raisonnables. Il analyse les nombreux indices que la poursuite considère être des motifs raisonnables dont plusieurs s'apparentent à l'affaire sous étude. Il souligne surtout de nombreux éléments qui laissent croire, de façon objective, en l'absence de motifs raisonnables. Il conclut que les policiers avaient tout au plus des soupçons, tout en rappelant avec justesse que l'alcootest ne doit surtout pas être substitué à l'appareil de détection approuvé prévu par la loi.

[25] En matière de conduite avec les facultés affaiblies, l'absence de motifs raisonnables ou la violation du droit prévu à l'article 9 amène généralement l'exclusion de toute preuve obtenue subséquemment.

[36] De plus, en raison de l’enseignement donné par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Bernshaw, le soussigné se permet de douter de l’actuelle force du jugement Babineau c. R. dont la principale conclusion est la suivante :

“As long as there is evidence of impairment or consumption of alcohol, i.e., red eyes, unsteadiness, admission of consumption of liquor, that is sufficient evidence upon which a peace officer may acquire reasonable and probable grounds to believe and if he does the trial Judge should be satisfied.”

[37] En effet, l’opinion de la majorité dans l’arrêt précité se résume comme suit :

« Lorsqu’un policier a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis une infraction à l’art. 253 du Code, il peut lui ordonner de se soumettre à un alcootest. En vertu du par. 254(3) du Code, le policier doit subjectivement croire sincèrement que le suspect a commis l’infraction et, objectivement, cette croyance doit être fondée sur des motifs raisonnables. Le législateur a établi un régime législatif qui permet au policier de faire subir un test de détection lorsqu’il a simplement des raisons de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme d’une personne. Le policier peut tenir compte d’un « échec » ainsi que de tout autre signe d’ébriété pour déterminer qu’il a des motifs raisonnables d’ordonner un alcootest.

(…)

L’exigence de motifs raisonnables prévue au par. 254(3) est une exigence non seulement légale, mais aussi constitutionnelle, qu’il faut respecter, en vertu de l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés à titre de condition préalable à une fouille, saisie ou perquisition légitime. »

[38] Parlant du test de dépistage, bien qu’il ne soit pas obligatoire le soussigné en convient tout à fait, l’opinion de la majorité dans ce même arrêt est que :

« Le paragraphe 254(2) prévoit expressément qu’un policier a le droit d’ordonner à une personne de lui fournir l’échantillon d’haleine nécessaire à l’analyse. Cette démarche souple est conforme à l’objet du régime législatif et garantit qu’un policier a une conviction sincère fondée sur des motifs raisonnables avant d’ordonner un alcootest. (…) La démarche permet aussi d’établir l’équilibre approprié entre l’objectif du législateur dans sa lutte contre les méfaits de la conduite en état d’ébriété, d’une part, et les droits des citoyens de ne pas faire l’objet de fouilles, de perquisitions ou de saisies abusives, d’autre part. »

Le juge en chef Lamer et les juges Cory et Iacobucci :

« L’ivresse au volant entraîne énormément de décès, de blessures, de peine et de destruction. Pour remédier à ce problème, le législateur a adopté un régime législatif en deux étapes, les par. 254(2) et (3) du Code criminel, comme moyen de vérifier si les facultés des conducteurs sont affaiblies. La première étape offre un moyen de découvrir les conducteurs dont les facultés sont affaiblies et constitue un examen préliminaire visant à déterminer si un conducteur peut constituer un danger pour le public à cause de l’alcool qu’il a consommé. À la seconde étape, il s’agit de déterminer précisément l’alcoolémie du conducteur. C’est seulement à cette seconde étape que l’on examinera si l’alcoolémie est supérieure à la limite établie, auquel cas la personne a commis une infraction criminelle. Les appareils de détection ALERT sont des instruments approuvés pour utilisation au cours de la première étape. Ces appareils offrent un moyen de détection rapide et cause beaucoup moins d’inconvénients à un conducteur que l’alcootest. »

[39] Il est vrai que dans cet arrêt la question qui se posait était de savoir si le policier qui, selon son témoignage, n’avait pas de motifs raisonnables avant d’avoir fait passer le test de dépistage pouvait s’appuyer sur une base solide lorsqu’on allègue que d’avoir pris une consommation quelques minutes avant ce test, peut le fausser.

[40] Il n’en demeure pas moins que même si le test n’est pas obligatoire, au sens qu’il faille nécessairement et en toute circonstance le faire passer même dans les cas qui sont évidents, comme s’il s’agissait d’une étape incontournable, l’enseignement des juges de la Cour suprême dans ce dossier affaiblit grandement la position retenue dans la décision Babineau c. R. où il s’agit davantage de soupçons que de motifs raisonnables et probables de croire qu’un crime, au sens de l’article 253 du Code criminel a été commis justifiant d’arrêter quelqu’un et de le sommer de passer le test de l’ivressomètre.

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