samedi 3 octobre 2009

La question du comportement après le fait d’un accusé est délicate

Saucier c. R. 2009 QCCA 1789 N° : 200-10-002028-079 (350-01-016311-059) DATE : 24 SEPTEMBRE 2009

[21] La question du comportement après le fait d’un accusé est délicate. Comme le rappelait le juge Major, pour la Cour suprême, dans l'arrêt R. c. Arcangioli :

39. Il est bien établi que la culpabilité peut s'inférer d'un élément de preuve circonstancielle comme la fuite des lieux du crime ou le fait d'avoir menti relativement à l'infraction en cause. Dans son exposé au jury, le juge du procès doit toutefois prendre soin de s'assurer que la preuve de la fuite ne soit pas mal utilisée. Le jury qui n'a pas reçu de directives appropriées risque de se servir à tort de cette preuve pour conclure immédiatement à la culpabilité; […]

[…]

41. Dans la présente affaire, on a dit clairement au jury qu'il arrive parfois à certaines personnes de s'enfuir des lieux d'un crime sous l'effet de la panique, même si elles sont totalement innocentes. Dans certaines circonstances cependant, la directive donnée dans l'arrêt Gudmondson sera insuffisante et le jury devrait en recevoir d'autres. C'est le cas en l'espèce. L'appelant a avoué avoir commis une infraction, celle de voies de fait simples, mais il a nié en avoir commis une autre, celle de voies de fait graves. Il s'agit donc de déterminer si la preuve de la fuite pourrait justifier une conclusion de culpabilité à l'égard de cette dernière infraction, plutôt qu'à l'égard de la première.

[…]

43. Le critère énoncé dans l'arrêt Myers apporte un éclairage utile quant aux conclusions qu'il est possible de tirer de la preuve de la fuite d'un accusé (ou d'autres indices possibles d'une conscience de culpabilité, tel le mensonge). Cette preuve ne peut servir à indiquer l'existence d'une conscience de culpabilité que si elle se rapporte à une infraction précise. Par conséquent, lorsque le comportement de l'accusé peut s'expliquer tout autant par une conscience de culpabilité de deux infractions ou plus, et que l'accusé a reconnu sa culpabilité à l'égard d'une seule ou de plusieurs parmi ces infractions, le juge du procès devrait donner comme directive au jury que cette preuve n'a aucune valeur probante relativement à une infraction précise.

44. Ces principes peuvent s'appliquer aux faits du présent pourvoi. Le juge du procès a simplement dit au jury qu'il arrive souvent que des gens parfaitement innocents s'enfuient des lieux d'un crime. S'étant exprimée comme elle l'a fait à ce sujet, le juge aurait également dû dire au jury qu'étant donné que la fuite de l'appelant était tout aussi compatible avec les voies de fait simples qu'avec les voies de fait graves, elle ne pouvait constituer une preuve de culpabilité de cette dernière infraction. Toute conclusion à tirer de la fuite disparaît lorsqu'il est possible, comme en l'espèce, d'en fournir une explication.

45. Le jury aurait dû être averti de ne tirer aucune conclusion de la fuite. La directive du juge du procès selon laquelle même des personnes innocentes peuvent parfois s'enfuir des lieux d'un crime était insuffisante compte tenu du fait que l'appelant a avoué avoir commis des voies de fait simples en frappant Heffern à coups de poing et qu'il avait donc des raisons de s'enfuir. La question n'était pas de savoir si l'appelant s'est enfui parce qu'il était coupable ou parce qu'il a été pris de panique même s'il était innocent. Il s'agissait plutôt de savoir si la fuite de l'appelant indiquait une conscience de culpabilité découlant du fait qu'il avait poignardé Heffern ou du fait qu'il l'avait frappé à coups de poing. Or, la preuve ne pouvait avoir de valeur probante à ce sujet.

[22] Quelques années plus tard, dans l'affaire White, le juge Major a, de nouveau, l’occasion de préciser sa pensée sur le sujet. Il écrit, avec l’approbation de ses collègues, que : dans certaines circonstances, le comportement de l’accusé après la perpétration d’un crime peut constituer une preuve circonstancielle de sa culpabilité, par exemple lorsqu’il y a fuite des lieux ou actes de dissimulation; il faut alors attirer l’attention du jury sur les éléments de preuve précis présentés et sur leur pertinence sur la question ultime à trancher, soit la culpabilité ou l’innocence de l’accusé.

[23] Le juge Major poursuit cependant :

Il est toutefois reconnu que la preuve relative au comportement postérieur à l’infraction présentée à l’appui d’une conclusion de conscience de culpabilité crée une grande ambiguïté et est susceptible d’induire le jury en erreur. Comme l’a signalé notre Cour dans l’arrêt Arcangioli, le jury risque de ne pas prendre en considération les autres explications possibles du comportement de l’accusé et de se servir à tort de cet élément de preuve pour conclure immédiatement à la culpabilité. En particulier, le jury pourrait attribuer une conscience de culpabilité à une personne qui a fui ou qui a menti pour un motif parfaitement innocent, telle la panique, la gêne ou la crainte d’être accusée à tort. Le jury pourrait aussi conclure que le comportement de l’accusé était imputable à un sentiment de culpabilité sans se demander si ce sentiment de culpabilité est lié au crime dont il est inculpé, et non à un autre acte coupable.

[24] Après avoir rappelé que « le jury ne doit pas être autorisé à tenir compte d’un élément de preuve se rapportant au comportement de l’accusé après l’infraction lorsque l’accusé a avoué avoir commis une autre infraction et que cet élément de preuve ne peut logiquement appuyer une conclusion de culpabilité à l’égard d’un de ces crimes, à l’exclusion de l’autre », la Cour suprême ajoute que « lorsqu’est présenté au jury un élément de preuve relatif au comportement de l’accusé après l’infraction, des «directives appropriées» doivent lui être données afin que cet élément ne soit pas mal utilisé ».

[25] Enfin, la Cour réitère qu’un élément de preuve ne doit être présenté au jury que s’il est pertinent aux fins de trancher un point litigieux. Au sujet des directives du juge du procès, elle explique :

La question de savoir s’il faut autoriser le jury à tenir compte du comportement de l’accusé après l’infraction dépend des faits de chaque espèce. Il faut tout d’abord se demander ce qui suit: que tente d’établir le ministère public grâce à cet élément de preuve ? […]

En règle générale, il appartient au jury de déterminer, eu égard à l’ensemble de la preuve, si le comportement de l’accusé après l’infraction est lié au crime qui lui est reproché, plutôt qu’à un autre acte coupable. Il est également du ressort du jury de déterminer le poids qu’il convient d’accorder à cette preuve aux fins de rendre ultimement un verdict de culpabilité ou de non-culpabilité. Dans la plupart des cas, le juge du procès qui s’immisce dans ce processus usurpe le rôle de juge des faits exclusivement dévolu au jury. Par conséquent, une directive selon laquelle un élément de preuve n’a « aucune valeur probante », comme celle exigée dans l’arrêt Arcangioli, ne s’impose que dans certaines circonstances particulières.

Une telle directive sera très probablement justifiée lorsque, comme dans l’affaire Arcangioli, l’accusé avoue avoir accompli l’actus reus, mais nie un degré de culpabilité donné à l’égard de cet acte ou nie avoir perpétré une infraction connexe découlant du même ensemble de faits considérés. En pareil cas, la participation de l’accusé à l’acte coupable n’est pas contestée; seule l’ampleur de cette participation ou son incidence sur le plan légal doit être déterminée. Dans l’arrêt R. c. Marinaro, [1996] 1 R.C.S. 462 , inf. (1994), 95 C.C.C. (3d) 74 (C.A. Ont.), notre Cour donne raison au juge en chef Dubin de l’Ontario, dissident, qui a conclu ce qui suit à la p. 81 de son jugement :

[traduction] Si, au procès, l’appelant avait continué de nier toute participation à l’assassinat de la victime, le jury aurait été en droit — en se fondant sur la preuve relative à la fuite de l’appelant, à ses déclarations mensongères et à la destruction d’éléments de preuve — de tirer une conclusion de conscience de culpabilité sur la base de laquelle il aurait pu en outre conclure que l’appelant était coupable du crime. Toutefois, à partir du moment où l’appelant avoue pendant le procès qu’il a causé la mort de la victime, cette preuve a très peu de pertinence. Elle ne permet pas de déterminer si l’appelant est coupable de meurtre ou d’homicide involontaire coupable

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