R. c. M.M., 2006 QCCQ 18239 (CanLII)
[9] Le juge Le Dain, pour la majorité dans la cause Dedman c. R., 1985 CanLII 41 (C.S.C.), [1985] 2 R.C.S. 2, (par. 58) énonçait:
« À mon avis, lorsque les agents de police agissent ou sont censés agir à titre officiel en tant qu'agents de l'État, ils n'agissent légalement que s'ils exercent un pouvoir qu'ils possèdent en vertu d'une loi ou qui découle de leurs fonctions par l'effet de la common law.»
[10] Nous examinerons donc si une loi ou si la common law donnait au policier, dans les circonstances de l’espèce, le pouvoir d’agir?
[11] Tout comme la Charte canadienne des droits et libertés (dont l’art.7 ), le Code Civil du Québec pose le principe de l’inviolabilité et du droit à l’intégrité de la personne. (...)
«3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée. (…)
«10. Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité. Sauf dans les cas prévus par la loi, nul ne peut lui porter atteinte sans son consentement libre et éclairé.
[12] Or à la SECTION II de ce même CHAPITRE, section intitulée DE LA GARDE EN ÉTABLISSEMENT ET DE L'ÉVALUATION PSYCHIATRIQUE, se trouve l’une des exceptions auxquelles fait référence l’art. 10 précité. Elle se lit comme suit :
«27. S'il a des motifs sérieux de croire qu'une personne représente un danger pour elle-même ou pour autrui en raison de son état mental, le tribunal peut, à la demande d'un médecin ou d'un intéressé, ordonner qu'elle soit, malgré l'absence de consentement, gardée provisoirement dans un établissement de santé ou de services sociaux pour y subir une évaluation psychiatrique. Le tribunal peut aussi, s'il y a lieu, autoriser tout autre examen médical rendu nécessaire par les circonstances. Si la demande est refusée, elle ne peut être présentée à nouveau que si d'autres faits sont allégués. Si le danger est grave et immédiat, la personne peut être mise sous garde préventive, sans l'autorisation du tribunal, comme il est prévu par la Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. »
[13] Notons d’abord que le législateur n’y parle pas nécessairement de maladie mentale mais simplement d’état mental.
[14] J’estime qu’il va de soi, qu’une personne qui cherche de façon délibérée, immédiate et concrète à se suicider et qui, après avoir ingurgité une quantité potentiellement mortelle de médicaments, refuse les soins nécessaires à la préservation de sa vie représente un danger grave et immédiat pour elle-même « en raison de son état mental » au sens de l’art. 27 : en effet, la décision de mettre ainsi fin à ses jours est nécessairement le résultat d’un état mental, peu importe ce qui a amené cet état mental, que ce soit le résultat d’une situation émotionnelle ou le résultat d’une cogitation plus ou moins heureuse.
[15] À son tour, la Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui prévoit au CHAPITRE II intitulé LA GARDE, dans la SECTION I intitulé GARDE PRÉVENTIVE ET GARDE PROVISOIRE que:
« 8. Un agent de la paix peut, sans l'autorisation du tribunal, amener contre son gré une personne auprès d'un établissement visé à l'article 6:
1) à la demande d'un intervenant d'un service d'aide en situation de crise qui estime que l'état mental de cette personne présente un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui;
2) à la demande du titulaire de l'autorité parentale, du tuteur au mineur ou de l'une ou l'autre des personnes visées par l'article 15 du Code civil du Québec (Lois du Québec, 1991, chapitre 64), lorsqu'aucun intervenant d'un service d'aide en situation de crise n'est disponible, en temps utile, pour évaluer la situation. Dans ce cas, l'agent doit avoir des motifs sérieux de croire que l'état mental de la personne concernée présente un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui. »
[16] En l’espèce, il y a donc d’abord lieu de s’interroger sur l'applicabilité de l’un ou l’autre de ces paragraphes.
[17] La demande d’assistance faite par les ambulanciers à la police était-elle, au sens du par. 8. 1), une « demande d'un intervenant d'un service d'aide en situation de crise »?
[21] Force est de constater qu’en l’absence d’une preuve des protocoles d’intervention, des modalités des contrats de service, etc., il est impossible de déterminer si l’intervention des policiers entrait dans le cadre y prévu. La Poursuite n’a donc pas réussi à démontrer que cet article fournissait l’autorité nécessaire pour établir que le policier agissait à l’intérieur de ses fonctions.
La demande d'une des personnes mentionnées au par. 8. 2) .
[22] Ce paragraphe énonce :
8. Un agent de la paix peut, sans l'autorisation du tribunal, amener contre son gré une personne auprès d'un établissement visé à l'article 6:
(…)
2) à la demande du titulaire de l'autorité parentale, du tuteur au mineur ou de l'une ou l'autre des personnes visées par l'article 15 du Code civil du Québec (Lois du Québec, 1991, chapitre 64), lorsqu'aucun intervenant d'un service d'aide en situation de crise n'est disponible, en temps utile, pour évaluer la situation. Dans ce cas, l'agent doit avoir des motifs sérieux de croire que l'état mental de la personne concernée présente un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui.
[23] En l’absence d’une preuve permettant de conclure qu’aucun intervenant d'un service d'aide en situation de crise n'était disponible, en temps utile, j’estime qu’il est impossible de retenir l’applicabilité des dispositions de ce paragraphe. En conséquence, ici non plus la Poursuite n’a pas réussi à démontrer que cet article fournissait l’autorité nécessaire pour établir que le policier agissait à l’intérieur de ses fonctions.
Pouvoir en vertu de la common law
[24] En l’espèce, la démarche des policiers s’inscrivait dans l’accomplissement de leur devoir de protéger la vie, devoir d’ailleurs reconnu et par statut et par la common law. En effet, l'article 48 de la Loi sur la police [L.R. 1985, ch. C-46] énonce :
«48. Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membre, ont pour mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et, selon leur compétence respective énoncée aux articles 50 et 69, les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d’en rechercher les auteurs.
Pour la réalisation de cette mission, ils assurent la sécurité des personnes et des biens, sauvegardent les droits et les libertés, respectent les victimes et sont attentifs à leurs besoins, coopèrent avec la communauté dans le respect du pluralisme culturel. Dans leur composition, les corps de police favorisent une représentativité adéquate du milieu qu’ils desservent.»
[25] De son côté, la common law fournit un guide (Waterfield) quant vient le temps de déterminer l’étendue des pouvoirs nécessaires à l’accomplissement des devoirs de la police. La common law reconnaît également qu’en présence de divers droits fondamentaux, l’ordre public saura parfois dicter l’ordre des priorités. Les deux propositions qui précèdent ont été discutées entre autres dans l’arrêt Godoy 1999 CanLII 709 (C.S.C.), [1999] 1 R.C.S. 311. Cet arrêt m’apparaît particulièrement approprié à l’étude du cas en l’espèce et ce à quelques différences près, différences que j’estime par ailleurs plus apparentes que réelles.
[26] Le résumé des faits de l’arrêt Godoy s’y lit comme suit :
Deux agents de police ont reçu un appel du répartiteur radio au sujet d'un appel d'urgence au 911 provenant de l'appartement de l'accusé et dont la communication a été coupée avant que l'auteur ait pu parler. Avec le renfort de deux autres agents de police, ils sont arrivés à l'appartement de l'accusé et ont frappé à la porte. L'accusé a entrouvert la porte et, quand on lui a demandé si tout allait bien à l'intérieur, il a répondu qu'il n'y avait pas de problème. L'un des agents a demandé s'ils pouvaient entrer pour enquêter, mais l'accusé a essayé de fermer la porte. L'agent l'en a empêché et les quatre agents de police sont entrés dans la maison. L'agent a témoigné que dès qu'ils sont entrés, il a entendu une femme pleurer. Il a trouvé la conjointe de fait de l'accusé dans la chambre à coucher, recroquevillée en position fœtale et sanglotant.
Le juge Lamer au nom de la Cour décide qu’au nom de l'ordre public l'entrée par la force chez l'accusé était justifiée compte tenu de l'ensemble des circonstances. Les agents de police avaient le devoir de vérifier les raisons de l'appel au 911 et ils étaient autorisés, en raison des pouvoirs qui leur sont conférés en common law pour s'acquitter de ce devoir, à entrer dans l'appartement pour s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'un cas d'urgence.
[27] Je me permets ici de citer au long certains extraits de l’analyse que le juge Lamer nous livre. Je me contenterai d’y adapter quelques commentaires que j’estime utiles au cas de monsieur M… M… :
¶ 12 Le critère reconnu pour évaluer les pouvoirs et les devoirs des agents de police en common law a été exposé dans l'arrêt Waterfield, précité, que notre Cour a suivi dans …(citations omises). Si la conduite policière constitue de prime abord une atteinte à la liberté ou à la propriété d'une personne, le tribunal doit trancher deux questions: Premièrement, la conduite entre-t-elle dans le cadre général d'un devoir imposé par une loi ou reconnu par la common law? Deuxièmement, la conduite, bien que dans le cadre général d'un tel devoir, comporte-t-elle un exercice injustifiable des pouvoirs découlant de ce devoir?
¶ 13 Il ne fait aucun doute que l'entrée par la force des agents de police dans une maison privée constitue de prime abord une atteinte à la liberté et à la propriété d'une personne. Par conséquent, il incombe à notre Cour d'examiner les deux questions posées dans l'arrêt Waterfield, précité.
(…)
¶ 15 Dans l'arrêt Dedman, précité, aux pp. 11 et 12, notre Cour a statué que les devoirs incombant aux agents de police en common law (prévus par la loi au par. 42(3)) comprennent la "préservation de la paix, la prévention du crime et [. . .] la protection de la vie des personnes et des biens" (je souligne). Comme le juge Finlayson l'a souligné en Cour d'appel, les devoirs incombant aux agents de police en common law n'ont pas encore été délimités par les tribunaux. En outre, la protection de la vie est un [Traduction] "devoir général", comme l'a dit le juge Finlayson, qui ne se limite donc pas à la protection de la vie des victimes de crime.
(…)
¶ 17 Devant notre Cour, les parties n'ont pas sérieusement débattu la question de savoir si les agents de police ont le devoir en common law de répondre aux appels de détresse. La vraie question est plutôt de savoir si l'exécution de ce devoir reconnu par la common law donne aux agents de police le droit d'entrer par la force dans une maison. Autrement dit, la question fondamentale porte sur la deuxième partie du critère de l'arrêt Waterfield.
¶ 18 Dans l'arrêt Simpson, précité, le juge Doherty a appliqué à la fois Waterfield, précité, et Dedman, précité, et, à la p. 499, il a défini de la façon suivante ce qu'on entendait par l'exercice [Traduction] "justifié" des pouvoirs conférés aux agents de police:
[Traduction] . . . un lot de facteurs doivent être pris en considération pour déterminer si la conduite d'un agent de police est justifiée, notamment le devoir dont il s'acquitte, la mesure dans laquelle il est nécessaire de porter atteinte à la liberté individuelle afin d'accomplir ce devoir, l'importance que présente l'exécution de ce devoir pour l'intérêt public, la liberté à laquelle on porte atteinte ainsi que la nature et l'étendue de l'atteinte.
Je conviens que ces considérations doivent constituer le fondement de l'analyse. En l'espèce, il était nécessaire que les agents de police entrent dans l'appartement de l'appelant afin de déterminer la nature de l'appel de détresse. Il n'y avait pas d'autres moyens raisonnables de s'assurer que la personne dont l'appel avait été coupé avait obtenu l'aide nécessaire en temps utile. Bien que l'appelant ait soutenu que la police pouvait frapper aux portes des voisins et les questionner, ou attendre dans le couloir de l'appartement d'autres signes de détresse, j'estime que ces propositions sont non seulement peu pratiques, mais dangereuses. Si la personne qui compose le 911 court un grave danger et est incapable soit de communiquer avec le répartiteur du 911 ou d'aller ouvrir la porte à l'arrivée des agents de police, son seul espoir est que ceux-ci la trouvent dans l'appartement et viennent à son secours.
COMMENTAIRE : En l’espèce, le devoir de protection de la vie était de la plus haute importance et il était urgent et nécessaire que les agents reste dans l’appartement de monsieur M… jusqu’à ce qu’il obtempère à la demande d’accompagner les ambulanciers et les policiers à l’hôpital : en effet les ambulanciers et les policiers avaient des motifs sérieux de croire que monsieur M… avait ingurgité des médicaments dans le but de se suicider et donc que sa vie était en danger puisqu’il persistait dans son intention en refusant de recevoir les soins appropriés: il y avait donc une urgence grave.
¶ 19 Indiscutablement, chacun a droit au respect de la vie privée dans l'intimité de son foyer qui est tenu pour inviolable. Dans l'arrêt R. c. Plant, 1993 CanLII 70 (C.S.C.), [1993] 3 R.C.S. 281, notre Cour a reconnu que les valeurs sur lesquelles repose le droit à la vie privée protégé par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés sont (les motifs du juge Sopinka, à la p. 292) la "dignité, [. . .] l'intégrité et [. . .] l'autonomie" de la personne. Dans l'arrêt R. c. Edwards, 1996 CanLII 255 (C.S.C.), [1996] 1 R.C.S. 128, le juge Cory, au par. 50, a expliqué que l'un des éléments du droit à la vie privée est "[l]e droit d'être à l'abri de toute intrusion ou ingérence". Toutefois, la dignité, l'intégrité et l'autonomie sont précisément les valeurs qui sont en jeu de la façon la plus immédiate et la plus pressante lorsqu'un appel au 911 est coupé. Dans un tel cas, la vie et la sécurité de la personne inspirent encore plus l'inquiétude. Par conséquent, l'intérêt de la personne qui demande de l'aide en signalant le 911 ressortit davantage à la dignité, à l'intégrité et à l'autonomie que celui de la personne qui cherche à refuser l'entrée aux agents de police dépêchés sur les lieux pour répondre à un appel à l'aide.
COMMENTAIRE : En l’espèce, monsieur M… exigeait le respect de son droit à la vie privée protégé par l'art. 8 de la Charte canadienne pour mieux porter lui-même atteinte à cette autre composante de son droit à l’intégrité de sa personne qu’était le droit à la vie. Tout comme dans l’arrêt Godoy, l’ordre public dictait que les policiers aient le pouvoir de faire en sorte que soit priorisé ce qui ressortit d’avantage à la dignité, à l'intégrité et à l'autonomie que de la personne, soit la protection de la vie. J’estime par ailleurs que bien que dans le cas de monsieur M… dernier ait été le détenteur des divers droits protégés par la Charte canadienne (alors que dans l’arrêt Godoy les circonstances amenaient à contrebalancer le droit à la sécurité de la victime avec celui du droit à la vie privée de l’accusé), le principe m’apparaît être le même : l’importance du droit à la vie l’emportait sur les autres droits fondamentaux en cause.
(…)
¶ 22 Par conséquent, j'estime que l'importance du devoir qu'ont les agents de police de protéger la vie justifie qu'ils entrent par la force dans une maison afin de s'assurer de la santé et de la sécurité de la personne qui a composé le 911. L'intérêt que présente pour le public le maintien d'un système d'intervention d'urgence efficace est évident et est suffisamment important pour que puisse être commise une atteinte au droit à la vie privée de l'occupant. Cependant, j'insiste sur le fait que l'atteinte doit se limiter à la protection de la vie et de la sécurité.
COMMENTAIRE : En l’espèce, j’estime que l'importance du devoir qu'ont les agents de police de protéger la vie justifie qu'ils refusent de quitter les lieux malgré les directives contraires de la part de monsieur M… J’estime également que « l'intérêt que représente pour le public le maintien d'un système d'intervention d'urgence efficace est évident et est suffisamment important pour que puisse être commise une atteinte au droit à la vie privée de l'occupant. ».
¶ 23 (…) Ils avaient le devoir en common law (codifié par le par. 42(3) de la Loi) d'agir en vue de protéger la vie et la sécurité. Par conséquent, leur devoir leur imposait de répondre à l'appel au 911. Une fois rendus à l'appartement de l'appelant, les agents de police avaient le devoir de vérifier les raisons de l'appel. S'ils avaient accepté la simple affirmation de l'appelant qu'il n'y avait "pas de problème", ils auraient manqué à leur devoir. Les agents de police étaient autorisés, en raison des pouvoirs qui leur sont conférés en common law pour s'acquitter de ce devoir, à entrer dans l'appartement pour s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'un cas d'urgence. (…) Comme je l'ai déjà dit, le droit au respect de la vie privée de la personne qui ouvre doit s'incliner devant l'intérêt de quiconque se trouve à l'intérieur. La menace pesant sur la vie ou l'intégrité physique intéresse plus directement la dignité, l'intégrité et l'autonomie qui sont les valeurs sous-tendant le droit à la vie privée que le droit d'être à l'abri de l'intrusion minimale de l'État que constitue l'entrée des agents de police dans l'appartement pour enquêter sur un cas d'urgence potentiel.
COMMENTAIRE : En l’espèce, les policiers auraient manqué à leur devoir s’ils avaient obtempéré à la demande de monsieur M… de quitter sa résidence: il n’y avait aucun autre moyen raisonnable que celui de la démarche policière en question pour s’assurer que monsieur M… n’avait pas ingurgité des médicaments pouvant entraîner sa mort. À tout le moins il fallait l’emmener à l’hôpital pour le garder sous observation jusqu’à ce qu’il devienne évident qu’il n’y avait plus de danger pour sa vie.
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