vendredi 25 décembre 2009

Application de la règle sur la preuve circonstancielle

R. c. Therrien , 2008 QCCQ 9175 (CanLII)

[104] L'arrêt de principe en matière de preuve circonstancielle est la cause de R. c. Hodge, supra. Dans cette cause, le Baron Alderson a dicté la façon dont un juge doit instruier un jury quand la cause consiste uniquement d'une preuve circonstancielles:

"…the case was made up of circumstances entirely; and that, before they they could the prisoner guilty, they must be satisfied not only that those circustances were consistent with his having committed the actr, but they msut also be satsified that the facts were such as to be inconsistent with any other rational conclusion than that the prisoner was the guilty person."

[105] La règle ou le "test" énoncé par le Baron Alderson dans Hodge a été reconnu par la Cour suprême du Canada dans l'arret Comba, 1938 CanLII 7 (S.C.C.), [1938) CanLII 7 (S.C.C) . Dans cette cause, le juge en chef Duff a adopté la formulation du Baron Alderson quant aux conclusions qu'un juge des faits peut tirer d'une preuve circonstancielle:

"It is admitted by the Crown, as the fact is, that the verdict rests solely upon a basis of circumstantial evidence. In such cases, the long settled rule of the common law, which is the rule of law in Canada, the jury, before finding a prisoner guilty upon such evidence, must be satisfied not only that the circumstances are consistent with a conclusion that the criminal act was committed by the accused, but also that the facts are such as to be inconsistent with any other rational conclusion than that the accused is the guilty person." (Mes soulignés)

[106] Dans la cause de R. c. McIver, [1965] 1 O.R., 306, 1, le juge McRuer, juge en chef de la Haute Cour d'Alberta, reprend le test de Hodge et ajoute que la décision du juge des faits doit être fondée sur les faits prouvés et non sur la spéculation:

"The rule in the Hodge's case makes it clear that the case is to be decided on the facts proved in evidence and the conclusions alternative to the guilt of the accused must be rational conclusions based on inferences drawn from proven facts. No conclusion can be a rational conclsuion that is not founded on evidence. Such a conclsuion would be a speculative, imaginative conclsuion, not a rational one."

[107] Les propos du juge McRuer furent adoptés par la Cour suprême dans les causes de R c. Wild, 1970 CanLII 148 (C.S.C.), [1971] R.C.S. 101, R. c. Paul, 1 R.C.S 181 et dans R. c. Bagshaw 1971 CanLII 13 (C.S.C.), [1972] R.C.S. 2.

[108] Ainsi, pour conclure à la culpabilité de l'accusé, il faut que la seule explication logique de la preuve circonstancielle soit que le défendeur ait commis le crime. Une déclaration de culpabilité fondée sur une preuve circonstancielle nécessite qu'un juge fasse certaines inférences au regard des faits prouvés. Les inférences devant toutes être logiquement tirées de la preuve et ne pouvant se réduire à de simples hypothèses, conjectures, suppositions ou soupçons. Il incombe au poursuivant d'établir que la culpabilité de l'accusé est la seule inférence logique qui puisse découler des faits prouvés. Si d'autres inférences peuvent résulter de la preuve, l'accusé doit être acquitté.

[109] La règle de Hodge ne change rien au principe de base qui est fondamental à notre droit criminel, à savoir que l'accusé doit être acquitté si la preuve donne ouverture à un doute raisonnable. En effet, dans la cause de R. c. Cooper, 1977 CanLII 11 (C.S.C.), (1978), 1 R.C.S. 860, la Cour suprême du Canada a décidé de ne pas maintenir l'obligation d'instruire le jury quant à la règle de Hodge. Il suffit pour le juge d'instruire le jury que l'accusé a droit au bénéfice du doute puisque la règle n'est qu'une illustration du principe du doute raisonnable.

[110] Revenons à la preuve circonstancielle dans notre cause. Est-ce qu'elle conduit l'esprit logique uniquement à la conclusion de culpabilité hors de tout doute raisonnable ou est-ce qu'elle est compatible avec une autre solution logique?

[113] La jurisprudence a clairement établi que fonder un doute raisonnable sur la spéculation constitue une erreur de droit. Le juge Chipman J.A. de la Cour d'appel de la Nouvelle Écosse, dans la cause de R.c. White Q.L. [1994] N.S.J. No 149 (N.S.C.A.), au para. 57 explique ce principe de droit:

"The cases establish that there is a distinction between conjecture and speculation on the one hand and rational conclusions from the whole of the evidence on the other. The failure to observe the distinction involves an error on a question of law. This court is therefore empowered and obliged to intervene when such error has occured."

[114] Les inférences qu'un juge peut tirer de la preuve circonstancielle doivent se fonder uniquement sur les éléments de preuve établis et non sur la spéculation. Le processus de tirer des inférences logiques de la preuve fut décrit par le juge Doherty J.A. dans la cause de R. v. Morrissey (1995), 97 C.C.C. (Ont. C.A.) de la façon suivante:

"A trier of fact may draw factual inferences from the evidence. The inferences must, however, be ones which can be reasonably and logically drawn from a fact or group of facts established by the evidence. An inference which does not flow logically and reasoably from established facts cannot be made and is condemned as conjecture and speculation."

[115] Si les faits primaires ne sont pas établis, les inférences tirées de ceux-ci ne seront que le produit de la spéculation ou de la conjecture. La décision du juge Lord Wright dans l'affaire de Caswell v. Powell Duffryn Associated Collieries Ltd. [1940] A.C. 152, à la page 169, est souvent citée comme autorité sur ce principe:

"Inference must be carefully distinguished from conjecture or speculation. There can be no inference unless there are objective facts from which to infer the other facts which it is sought to establish. In some cases the other facts can be inferred with as much practical certainty as if they had been actually observed. In other cases the inference does not go beyond probability. But if there are no positive proved facts from which the inference can be made, the method of inference fails and what is left is mere speculation or conjecture." (Mes soulignés)

[117] Dans les arrêts Tripp, Panko et Triessera, la preuve circonstancielle s’apprêtait à une solution logique autre que la culpabilité. Par exemple, dans lesdites causes, il y avait une preuve à l’effet que d’autres personnes avaient accès au disque dur. Il y avait également une preuve à l’effet que le matériel pornographique aurait pu être installé à distance par une tierce personne à l’insu de l’accusé. Dans la cause devant le Tribunal, la situation est toute autre: à la place de la preuve, la Défense propose de la spéculation. Comme nous l'avons déjà vu, un doute raisonnable ne peut se fonder sur la spéculation.

[119] En somme, la preuve circonstancielle dans cette cause est renforcée par l'improbabilité d'une coïncidence. En considérant les éléments nécessaires pour rendre plausible la thèse du coup monté (tel qu'énumérés plus haut), le Tribunal trouve tout à fait approprié l'expression anglaise suivante: «It's too much of a coincidence to be a coincidence.»

[123] Le ministère public a apporté une preuve complète qui mène uniquement à la conclusion de culpabilité. Il faut noter que devant cette preuve — qualifiée de complète par la Cour — l'accusé n'a pas offert de preuve ou d'explication pour justifier une conclusion contraire. Dans l'arrêt R. c. P (M.B), 1994 CanLII 125 (C.S.C.), [1994] 1 R.C.S. 555, le juge Lamer explique que «lorsqu'on présente une preuve complète qui, si digne de foi, entraînerait une déclaration de culpabilité, l'accusé ne peut plus demeurer passif dans le processus accusatoire et devient — dans un sens large — contraignable, c'est-à-dire que l'accusé doit répondre à la preuve présentée contre lui ou courir le risque d'être trouvé coupable».

[124] Dans notre cause, la seule déduction qui puisse être tirée des faits prouvés est la culpabilité de l'accusé. À l'encontre de cette preuve, il n'y avait que la spéculation et la conjecture. Devant une telle situation, il incombait à l'accusé de présenter une preuve capable de soulever un doute raisonnable. Dans l'arrêt R. v. To, Q.L. [1992] B.C.J. No. 1700, le juge McEachern de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, dans une cause de possession aux fins de trafic, après avoir cité trois arrêts, écrit ceci:

"In each of these cases, the Court drew inferences amounting to guilt because the highly suspicious facts permitted no other rational conclusion, and the accused either did not give evidence or was not believed so the rational inference was not rebutted.

Thus it seems to me, with respect that it is legitimate to infer knowledge from mere physical possession in proper circumstances which inference will be displaced if an explanation is offered which raises a reasonable doubt or if, as in Hess, other inferences consistent with innocence may be drawn from all the proven circumstances. It is this rational process which distinguishes inference from from conjecture. At the end of the case, of course, the Crown must prove the guilt of the accused beyond a reasonable doubt, but once this was done, on the circumstances of this case, the burden of adducing an explanation that raises a reasonable doubt, or of extracting reasonablt doubt from the evidence rested with the accused."

[125] Au risque d'être redondant, la preuve circonstancielle présentée par la Couronne était complète et conduisait l'esprit logique uniquement à un verdict de culpabilité. Dans son examen de la preuve, la Cour n'était pas capable d'extraire un élément de preuve sur lequel elle pouvait tirer une inférence compatible avec une autre solution logique. Dans une telle situation, il incombait à l'accusé de présenter une preuve susceptible de soulever un doute raisonnable. Mais au lieu de présenter une telle preuve, la Défense s'est repliée sur la spéculation et la conjecture.

[126] Tel que mentionné plus haut dans ce jugement, la Couronne n'est pas tenue de prouver l'inexistence d'un fait. De même, elle n'est pas obligée dans sa preuve de fermer la porte à toutes les conjectures ou hypothèses de la Défense. En droit criminel, le fardeau de la preuve imposé au ministère public est celui de convaincre hors de tout doute raisonnable. On n'exige pas une certitude mathématique quant à la culpabilité de l'accusé. Dans l'arrêt Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 350, le juge Cory écrit que les instructions sur le doute raisonnable données au jury devraient inclure (entre autres) l'enseignement suivant:

«…vous devez vous rappeler qu'il est virtuellement impossible de prouver quelque chose avec certitude absolue, et le ministère public n'est pas tenu de le faire. Une telle norme de preuve est impassiblement élevée. (Para. 39, in fine)»

[127] Dans l'arrêt To, supra, le juge McEachern exprime la même opinion à l'effet que le fardeau de la Poursuite n'est pas celui de prouver de façon absolue ou mathématique la culpabilité de l'accusé:

"It must be remembered that we are not expected to treat real life cases as a completely intellectual exercise where no conlusion can be reached if there is the slightest competing possibility. The criminal law requires a very high degree of proof, especially for inferences consistent with guilt, but it does not demand certainty. (page 7)"

[128] En somme, le fardeau de la Couronne ne consiste pas à éliminer toute conjecture ou spéculation proposée par la Défense. Pour trouver un accusé coupable, le juge de faits doit être convaincu de la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Demander au juge de faits de tirer des inférences fondées sur la spéculation, fera en sorte qu'une condamnation ne devrait être prononcée que si la preuve démontre la culpabilité de l'accusé de façon absolue ou mathématique. Or, le droit criminel n'exige pas un fardeau basé sur la certitude totale.

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