jeudi 31 décembre 2009

Excuse raisonnable VS refus de fournir un échantillon d’haleine

R. c. Normandin, 2009 QCCQ 2468 (CanLII)

[33] Les tribunaux ont déjà largement disserté sur cette notion d’excuse raisonnable et, sans pour autant établir une définition hermétique, ont fixé les balises principales qui devaient encadrer celle-ci. L’énoncé de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans la cause R. v. Nadeau, retenu comme bien fondé par la Cour suprême, demeure toujours d’actualité, bien qu’il ait été fait en 1974.

[34] Ainsi, le sens que l’on peut retenir de l’expression « excuse raisonnable » dans le contexte actuel fût exposé de la façon suivante :

«In my judgment the "reasonable excuse" envisaged must be some circumstance which renders compliance with the demand either extremely difficult or likely to involve a substantial risk to the health of the person on whom the demand has been made. »

[35] On comprend que, malgré son étroitesse, cette définition demeure un énoncé général et les tribunaux sont demeurés réticents à élaborer une définition qui se voudrait exhaustive de ce qui est susceptible de constituer une excuse raisonnable telle que l’illustrent les propos du juge Hart dans l’arrêt Phinney.

«In my opinion it would be dangerous for the courts to try to enunciate an all inclusive meaning to the expression "reasonable excuse" because there are always factual situations arising that are novel and do not fit into static categories. This is the approach that most of the court decisions have been taking and the results have been confined to the individual factual situations in the various cases. »

[36] C’est donc en portant attention aux particularités de chaque espèce qu’un tribunal doit évaluer si l’excuse raisonnable alléguée par la défense est telle qu’on peut en inférer que l’obéissance à l’ordre donné de fournir un échantillon d’haleine était extrêmement difficile ou représentait un risque substantiel pour la santé de l’individu en cause.

[37] Ajoutons que dans l’appréciation du caractère raisonnable de l’excuse invoquée la jurisprudence a également établi qu’un critère d’objectivité devait entrer en ligne de compte.

[38] C’est donc par le biais d’une analyse objective qu’on doit considérer de la « raisonnabilité » de l’excuse. Autrement dit, est-ce que dans des circonstances similaires une personne raisonnable aurait adopté le même comportement et signifié un refus à l’agent de la paix qui lui a formulé une demande en vertu de l’article 254?

[39] Par ailleurs, s’est posée la question dans la présente affaire de déterminer la nature exacte du fardeau de preuve incombant à l’accusé qui allègue qu’il dispose d’une excuse raisonnable pour ne pas s’être conformé à l’ordre donné par un agent de la paix.

[40] La défense soumet à cet égard qu’il lui suffit de soulever un doute concernant l’existence d’une telle excuse et appuie ses dires en reprenant le raisonnement de la Cour d’appel de Saskatchewan dans l’affaire R. v. Lewko; décision qui s’adresse particulièrement à cette question du niveau de preuve requis de la part de la défense.

[41] Sans reprendre de façon exhaustive le raisonnement élaboré du juge en chef Bayda, on comprend que celui-ci est d’avis que le législateur, tant en édictant les articles 254 que 794(2) du Code criminel, a voulu que le fardeau de preuve reposant sur les épaules de la défense n’en soit un que de présentation et non de persuasion.

[42] Il tire cette conclusion du libellé même de l’article 794(2) qui n’aurait pas prévu le droit de la poursuite de réfuter cette preuve si cette dernière avait dû être établie suivant la balance des probabilités.

[43] Ce raisonnement sophistiqué n’a pas connu beaucoup d’écho dans la jurisprudence et celle-ci de façon majoritaire considère que c’est suivant la règle de la balance des probabilités qu’un accusé doit faire la démonstration de l’existence d’une excuse raisonnable répondant aux critères mentionnés plus avant.

[44] L’énoncé suivant extrait de la décision Peck v. R. de la Cour d’appel de Nouvelle-Écosse synthétise bien l’état du droit et demeure d’actualité.

«The reasonable excuse the accused must prove on a balance of probabilities is not tied to a presumed fact. Rather, the accused is presented with an opportunity to mount a defence. The accused may, by proof on a balance of probabilities, establish that he or she has a reasonable excuse for the failure to provide the sample. »

[45] La question est donc maintenant, suivant cette norme, de savoir si l’accusé a démontré une excuse qui, de façon objective, peut être considérée comme raisonnable suite à son refus d’obéir à la demande qui lui était formulée par l’agent de la paix.

[50] De la même façon, le motif même du refus de souffler, soit la condition physique de M. Normandin, demeure relativement peu documenté et le Tribunal n’estime pas avoir une preuve probante qu’il aurait, résultat de celui-ci, été exposé à un risque sérieux s’il s’était conformé à la demande ou encore qu’il aurait été extrêmement difficile pour lui de le faire.

[51] D’un point de vue strictement médical, la preuve entendue soulève davantage de questions qu’elle ne donne de réponses.

[52] Dans une décision récente, l’honorable Paul Cloutier, J.C.M., s’exprimait de la façon suivante à l’égard de la nature et de la qualité de la preuve devant être présentées en semblable matière :

139 En matière de preuve, il importe de rappeler que lorsqu'une preuve comporte des éléments de nature scientifique, technique ou médicale, cette preuve doit être apportée par un témoin spécialiste dans le domaine sur lequel porte son témoignage. À moins que l'accusé ne soit lui-même formé dans le domaine scientifique qui est à la base de son explication, il ne peut lui-même présenter cette preuve technique ou scientifique.

140 Ainsi, un accusé ne peut, s'il n'est pas médecin, diagnostiquer une condition médicale et en évaluer les causes et les effets (Fontaine c. R., [2002] J.Q. no 2120, REJB 2002-32390 (C.A.). L'opinion du médecin s'avère nécessaire pour identifier un problème de nature médicale, pour en expliquer les causes et en préciser les conséquences, plus particulièrement celles qui pouvaient se retrouver chez l'accusé à l'époque pertinente.

[53] Sans dire qu’un accusé ne peut témoigner de son état, des symptômes qui l’affectent et des malaises qu’il ressent, il est évidemment nécessaire que la preuve soit complète et probante pour que le Tribunal puisse conclure en faveur de la thèse qu’il soutient.

[54] En l’espèce, la conclusion qui s’impose est que M. Normandin n’a pas réussi à se décharger de son fardeau de prouver, suivant la balance des probabilités, qu’il disposait d’une excuse raisonnable pour refuser de se conformer à l’ordre qui lui avait été donné par le policier.

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