mercredi 20 janvier 2010

Imposition de la peine dans des causes de conduite dangereuse causant la mort ou de conduite avec facultés affaiblies causant la mort

R. c. Dupuis, 2009 QCCQ 12470 (CanLII)

[29] Dans une décision rendue le 31 janvier 2008, La Reine c. Duguay, le juge Richer de la Cour du Québec procède à une revue de la jurisprudence et des principes qui régissent l'imposition de la peine dans des causes de conduite dangereuse causant la mort ou de conduite avec facultés affaiblies causant la mort. Le Tribunal reproduit ici une partie de l'excellente étude faite par son collègue :

(11) La Cour d'appel du Québec a eu à se pencher à de nombreuses reprises, sur des peines concernant la conduite dangereuse et la négligence criminelle causant la mort.

(12) La Cour d'appel du Québec dans l'arrêt R. c. Olivier mentionne à propos des peines de négligence criminelle et de conduite dangereuse causant la mort ce qui suit :

Il s'en dégage que les peines tant pour la négligence criminelle que pour la conduite dangereuse causant la mort varient entre un à trois ans d'emprisonnement, quatre ans étant considérés comme une peine sévère, mais non anormale.

(13) Dans cet arrêt, la Cour d'appel reprend à son compte les propos tenus par le juge en chef de la Cour suprême du Canada, Antonio Lamer, dans l'arrêt R. c. Proulx. Le juge Lamer mentionnait que la conduite dangereuse soit une infraction à l'égard de laquelle "il est plausible que l'infliction de peines sévères ait un effet dissuasif général " :

Souvent, ces crimes sont commis par des citoyens qui respectent par ailleurs la loi, qui sont de bons travailleurs et qui ont un conjoint et des enfants. Il est possible de supposer qu'il s'agit là de personnes les plus susceptibles d'être dissuadées par la menace de peines sévères.

(14) La Cour d'appel du Québec a maintenu dans l'arrêt R. c. Lépine une peine de trois ans d'emprisonnement pour des accusations de facultés affaiblies et conduites dangereuse causant la mort.

(15) Dans l'arrêt Lépine, la Cour d'appel mentionne :

Pour ce type de crime, la sévérité s'impose malgré la présence de facteurs atténuants tels que le jeune âge de l'appelant au moment de l'infraction et son absence d'antécédents judiciaires.

(16) Toujours dans cet arrêt, la Cour d'appel du Québec rappelle que les peines pour ce genre de crimes "doivent viser à dissuader le public de façon générale quant à ce genre de conduite."

17) Dans l'affaire Garneau, mon collègue le juge Gilles Cadieux, de la Cour du Québec, a imposé une peine de trois ans d'emprisonnement à un jeune homme qui n'avait aucun antécédent judiciaire. De plus, dans le rapport présentenciel de monsieur Garneau, on apprend que l'accusé avait des remords sincères et que le risque était peu probable.

(18) Le juge Cadieux, après une analyse de certaines données statistiques sur les jeunes conducteurs que la poursuite avait produites en preuve, écrit:

Le message que la sentence doit transmettre aux conducteurs délinquants quel que soit leur âge, doit être clair et non équivoque. Conduire un véhicule routier de façon dangereuse, sans se préoccuper de la sécurité d'autrui, plus particulièrement en participant à des courses dans les rues, sera réprimé et sévèrement puni, nonobstant le jeune âge du délinquant, le cas échéant.

[30] Dans une décision récente de la Cour du Québec, mon collègue le juge Claude Leblond, dans la cause de La Reine c. André Belec, a prononcé une sentence de quatre ans et demi à un individu qui fut trouvé coupable de deux chefs de conduite dangereuse causant la mort et un chef de conduite dangereuse causant des lésions corporelles. L'accusé dans cette cause conduisait à haute vitesse sur une distance de 149 mètres. Il n'applique les freins qu'à la toute dernière seconde avant la collision. Au moment de celle-ci, sa vitesse est de 117 km/h. La collision constitue un face-à-face franc avec la voiture des victimes. L'accusé avait un antécédent judiciaire de conduite avec facultés affaiblies.

[31] Dans l'affaire de R. v. Ramage, [2008] O.J. No. 192 (Ont. S.C.J.), il s'agissait d'une conduite avec facultés affaiblies causant la mort et de conduite avec facultés affaiblies causant des blessures. L'accusé avait des condamnations reliées à des accidents de la route. Son véhicule est entré en collision avec deux autres véhicules, son passager est tué et un tiers est blessé. Il a reçu une peine de quatre ans d'emprisonnement.

[32] Dans la cause de R. v. Hall 2007 ONCA 8 (CanLII), 2007 ONCA 8 (CanLII), il s'agissait d'une conduite avec les facultés affaiblies causant la mort. Un piéton fut tué par le camion de remorquage conduit par l'accusé. Il avait des antécédents en semblable matière. La Cour d'appel de l'Ontario a maintenu la sentence prononcée en première instance de quatre ans et dix mois de prison plus une interdiction de conduire de dix ans.

[33] Dans Lépine c. R., 2007 QCCA 70 (CanLII), 2007 QCCA 70 (CanLII), l'accusé fut trouvé coupable des infractions d'avoir conduit un véhicule automobile avec les facultés affaiblies causant la mort et de conduite dangereuse causant la mort. Le juge du procès lui a imposé une peine de 36 mois d'emprisonnement pour chaque chef, à être purgée concurremment, avec une interdiction de conduire pour une période de deux ans. L'accusé était âgé de 19 ans et n'avait aucun antécédent judiciaire.

[34] Aux paragraphes 18 et 21 du jugement, la Cour d'appel explique que pour ce type de crime, la sévérité s'impose malgré la présence de facteurs atténuants tels que le jeune âge de l'appelant au moment de l'infraction et son absence d'antécédents judiciaires. Pour la Cour, « la perte d'une vie humaine occasionnée par la conduite d'un véhicule sous l'effet des facultés affaiblies est une conséquence à laquelle on ne peut remédier, d'où l'importance pour les tribunaux d'envoyer un message de réprobation à l'endroit des personnes qui se placent dans une situation potentiellement dangereuse, et ce, même si le délinquant n'est pas une personne criminalisée non plus qu'il n'ait voulu cet incident tragique ".

[35] Dans la cause de R. v. Prasad, 2006 BCCA 470 (CanLII), 2006 BCCA 470 (CanLII), l'accusé, comme dans le présent cas, devait répondre à des accusations de conduite dangereuse causant la mort et de délit de fuite. La poursuite demandait une sentence entre deux et trois ans. Le juge en première instance a imposé une sentence globale de cinq ans. En appel à la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, cette peine fut maintenue.

[36] Dans R. v. Boukchev, [2003] O.J. No. 3944 (QL) (C.A.). le juge de première instance a imposé une peine de 21 mois à un accusé qui a plaidé coupable à des infractions de conduite dangereuse causant la mort et de délit de fuite. Selon les faits, il a brûlé deux feux rouges et a frappé une victime, la traînant sur 190 mètres. Il a abandonné son véhicule plus loin et ne s'est pas rapporté aux policiers. Monsieur Boukchev était âgé de 52 ans et il avait des antécédents importants par rapport à la conduite d'un véhicule automobile, telles conduite négligente, sept condamnations pour conduite pendant une interdiction et conduite avec facultés affaiblies. En appel, la Cour d'appel de l'Ontario a substitué à cette première peine de 21 mois une peine globale de 5 ans.

[37] Dans la cause de Marc André Houle, décision datée du 31 mars 1995, la Cour d'appel du Québec, sous la plume du juge Delisle, a procédé à une revue exhaustive les sentences imposées pour les crimes suivants : négligence criminelle au volant d'un véhicule causant la mort, conduite dangereuse causant la mort et conduite avec facultés affaiblies causant la mort. De ces arrêts, la Cour d'appel a dégagé les principes suivants :

a) les peines d'emprisonnement de quatre ans et plus, pour les crimes mentionnés ci-dessus, se situent dans une catégorie singularisée, sans pour autant constituer des anomalies;

b) d'une façon générale, les personnes à qui de telles peines ont été imposées avaient des antécédents judiciaires en semblables matières; il y a cependant des cas où il n'en était pas ainsi; et

c) il est tenu compte des faits propres à chaque cas: nombre de morts et de blessés, degré d'insouciance manifestée, endroit même de l'accident, etc.

[38] La Cour d'appel du Québec, dans une décision récente, Ferland c. La Reine, a repris l'analyse du juge Delisle dans Houle et a poursuivi avec une analyse de la jurisprudence depuis l'année 2000 pour des accusations similaires. De cette étude exhaustive de la jurisprudence, la Cour d'appel fait les observations suivantes :

[46] Un certain nombre de constats peut être tiré du tableau annexé. D'abord, il y a des dossiers où la peine infligée est supérieure à deux ans même si l'alcool n'est pas en jeu.

[47] Dans d'autres dossiers, la peine excédera deux ans d'emprisonnement en raison des antécédents judiciaires du délinquant… Dans St-Laurent c. R., la Cour a maintenu une peine de trois ans d'emprisonnement. Dans ce cas, l'alcool n'était pas en cause. Les risques de récidive étaient faibles. Il n'y avait pas d'antécédents judiciaires. Le dossier de conduite automobile était toutefois chargé de multiples violations au Code de la sécurité routière.

[48] Si je remonte un peu plus loin, je note l'affaire R. c. Kelley. À la majorité, la Cour a maintenu une peine de six ans d'emprisonnement imposée à l'égard de trois chefs de conduite dangereuse causant la mort. Dans sa dissidence, le juge Fish, alors à notre Cour, aurait réduit la peine à 42 mois. L'individu avait un casier judiciaire (voies de fait contre un agent de la paix, vol par effraction et vol simple). L'alcool n'était pas en cause.

[39] Dans cette cause de Kelly, les juges majoritaires disaient :

[71] Ni l'accident ayant causé la mort des trois jeunes filles ni les procédures judiciaires qui ont suivi ne semblent avoir eu d'effet dissuasif sur l'appelant. En effet, il a fait l'objet de nombreuses accusations depuis les événements. Ces faits postérieurs ne sont pas mentionnés au soutien d'une peine plus lourde pour les accusations auxquelles l'appelant fait face, mais pour illustrer son caractère.

[40] Dans la décision de Ferland, la Cour d’appel confirme une peine de 42 mois pour une conduite dangereuse causant la mort et des lésions corporelles. L'accusé avait un antécédent de conduite avec les facultés affaiblies qui remontait à 14 ans alors qu'il avait 21 ans. Au chapitre des facteurs atténuants dans Ferland, mentionnons que l'alcool n'était pas en cause et que le dossier de conduite de l'appelant ne contenait aucun point d'inaptitude. Selon le rapport présentenciel auquel le juge de première instance a référé, l'accusé éprouvait des remords sincères à l'égard des victimes.

[41] Quant à l'importance de dénoncer les infractions reliées à la conduite automobile et de la dissuasion sociale que doit comporter la peine, la Cour d'appel dit :

[31] Les tribunaux d'appel ont constamment rappelé l'importance de dénoncer les infractions reliées à la conduite automobile et de la dissuasion sociale que doit comporter la peine.

[42] La Cour a, par la suite, repris les propos du juge Lamer dans Proulx cités plus haut à l'effet qu'il s'agit du genre de crime où une peine exemplaire pourrait avoir un effet dissuasif.

[43] En somme, les facteurs reliés à la dénonciation et la dissuasion individuelle et générale doivent primer, et cela même s'il y a des éléments qui militent en faveur de la réhabilitation et la réinsertion sociale.

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