Salame c. R. // 2010 QCCA 64 // N° : 500-10-004113-088 // DATE :
15 janvier 2010
[35] Tout récemment, dans R. c. Beatty, la Cour suprême a reconsidéré toute cette question et étudié la notion d'écart de conduite marquée à l'occasion d'une accusation de négligence pénale de conduite d’une automobile pour déterminer et évaluer le comportement ou l'actus reus et l'aspect moral, la mens rea. Quel critère le juge doit-il utiliser pour déterminer si l'accusé a commis une faute par négligence qui justifie une sanction criminelle? Autrement dit, si la preuve est faite d'un écart marqué de la conduite de l'accusé, la faute ou la mens rea est-elle, dans tous les cas, établie?
[36] La juge Charron a d'abord affirmé que le critère objectif modifié, développé dans l'arrêt Hundal, est le critère approprié « pour déterminer la mens rea reprise dans les infractions criminelles fondées sur la négligence ». Elle rappelle cependant la nécessité d'une analyse « de nature contextuelle et des moyens de défense comme l'incapacité et l'erreur de fait (qui) peuvent être invoqués ». Au terme de son analyse, elle propose de reformuler le critère objectif modifié en ces termes :
Je reformulerais donc le critère reproduit ci-haut comme suit :
a) L'actus reus
Le juge des faits doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que, du point de vue objectif, l'accusé, suivant les termes de la disposition concernée, conduisait « d'une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l'état du lieu, l'utilisation qui en est faite ainsi que l'intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu ».
b) La mens rea
Le juge des faits doit également être convaincu, hors de tout doute raisonnable, que le comportement objectivement dangereux de l'accusé était accompagné de la mens rea requise. Dans son appréciation, le juge des faits doit être convaincu, à la lumière de l'ensemble de la preuve, y compris la preuve relative à l'état d'esprit véritable de l'accusé, si une telle preuve existe, que le comportement en cause constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence raisonnable que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l'accusé. En outre, si l'accusé offre une explication, il faut alors, pour qu'il y ait déclaration de culpabilité, que le juge des faits soit convaincu qu'une personne raisonnable dans des circonstances analogues aurait dû être consciente du risque et du danger inhérents au comportement de l'accusé.
[37] La juge Charron précise néanmoins ses propositions. Aussi, elle rappelle qu'au stade de l'étude de l'actus reus, il est nécessaire d'examiner la conduite même de l'accusé; elle fait remarquer qu'en matière de conduite automobile ce n'est pas la conséquence de la conduite qui constituera une conduite dangereuse, mais la façon de conduire le véhicule :
[46] Comme l'indiquent clairement les termes de la disposition, c'est la façon de conduire le véhicule à moteur qui est en cause, et non la conséquence de cette conduite. La conséquence — par exemple des décès, comme en l'espèce — peut entraîner l'infraction plus grave prévue au par. 249(4), mais elle n'a aucune incidence sur la question de savoir si l'infraction de conduite dangereuse a été établie ou pas. Il s'agit là encore d'une distinction importante. Si l'accent est mis indûment sur la conséquence, il devient alors presque superflu de se demander si un acte ayant causé la mort était dangereux. Le tribunal ne doit pas tirer de conclusion hâtive au sujet de la façon de conduire en se fondant sur la conséquence. Il doit procéder à un examen sérieux de la façon de conduire. Il va de soi que la conséquence peut aider à apprécier le risque en cause, mais elle ne permet pas de déterminer si le véhicule a été conduit d'une façon dangereuse pour le public.
[38] Quant à la détermination de la mens rea, la juge Charron affirme que si le juge doit prendre en considération l'ensemble de la preuve « y compris l'état mental de l'accusé, si une telle preuve existe », cela ne signifie pas pour autant que le poursuivant a l'obligation « de prouver que l'accusé avait l'intention subjective de commettre l'infraction pour établir le bien-fondé de l'accusation ».
[39] La juge Charron conclut donc cette partie de son analyse en ces termes :
[49] Si le comportement ne constitue pas un écart marqué par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnablement prudent, il n'est pas nécessaire de poursuivre l'analyse. L'infraction n'aura pas été établie. En revanche, si le juge des faits est convaincu, hors de tout doute raisonnable, que la conduite objectivement dangereuse constitue un écart marqué par rapport à la norme, il devra considérer la preuve relative à l'état d'esprit véritable de l'accusé — si une telle preuve a été présentée — pour déterminer si elle permet de douter raisonnablement qu'une personne raisonnable, placée dans la même situation que l'accusé, aurait été consciente du risque créé par ce comportement. En l'absence d'une telle preuve, le tribunal pourra déclarer l'accusé coupable.
[40] La juge en chef McLachlin, pour sa part, exprime l’avis que l'actus reus exige un écart marqué par rapport à la norme. Quant à la mens rea, elle estime qu'elle peut se dégager de la façon de conduire : « De la conclusion relative à l'écart marqué, on déduit que l'accusé ne présentait pas l'état mental de diligence d'une personne raisonnable qui est requis », écrit-elle. La juge en chef ajoute cependant un troisième élément suivant lequel si la mens rea se déduira généralement « de l'acte constituant un écart marqué commis par l'accusé, il est possible que dans un cas donné la preuve exclue cette déduction ou suscite un doute raisonnable ».
[41] Le juge Fish, enfin, estime qu'il ne faut pas confondre le comportement qui constitue un écart marqué avec l'élément moral de l'infraction. Tout en reconnaissant que, par déduction et imputation, on peut démontrer l'élément de faute de façon objective, il ajoute :
[88] Cependant, l'élément de faute ne réside pas dans l'écart marqué par rapport à la norme du comportement qu'aurait eu un conducteur raisonnablement prudent, mais plutôt dans le fait qu'un tel conducteur, placé dans les circonstances où se trouvait l'accusé, aurait été conscient du risque de ce comportement et, s'il avait été en mesure de le faire, aurait agi afin de l'éviter. La présence de l'élément moral requis ne peut être inférée que dans les cas où le comportement reproché constitue un écart marqué par rapport à la norme; une telle inférence ne peut être tirée du seul fait que l'intéressé a conduit le véhicule à moteur d'une façon dangereuse.
[42] De cette revue de la jurisprudence et, en particulier de l'arrêt Beatty, je crois pouvoir résumer l’approche à adopter au moment de statuer sur le mérite d’une accusation de négligence criminelle. Il faut d’abord garder à l’esprit que l’analyse doit être contextuelle et que le comportement de l’accusé doit révéler un écart de conduite marqué, ce qui distingue la faute criminelle de la faute civile. Cette analyse du comportement doit être conduite en fonction d’un critère objectif, ce qui signifie que le juge doit être satisfait hors de tout doute raisonnable que la conduite de l'accusé est entièrement et à tous égards hors norme et constitue donc cet écart marqué de comportement. Le juge doit donc apprécier cette conduite par rapport à celle de la personne raisonnable et décider si cette personne raisonnable, placée dans la même situation que l'accusé, aurait connu le risque que le comportement de l’accusé aurait entraîné pour la vie ou la sécurité d’autrui. Les caractéristiques personnelles de l'accusé comme son âge, son degré d'instruction, ne sont pas pertinentes, mais le juge « devra considérer la preuve relative à l’état d’esprit véritable de l’accusé – si une telle preuve a été présentée – pour déterminer si elle permet de douter raisonnablement qu’une personne raisonnable, placée dans la même situation que l’accusé, aurait été consciente du risque créé par ce comportement ».
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